
J’ai lu la pièce avant de visionner l’adaptation de Xavier Dolan qui a remporté, en 2016, le Grand Prix du Festival de Cannes.
Après douze ans d’absence, Louis retourne voir sa famille. Mises à part quelques cartes postales lapidaires, il n’a que peu donné de nouvelles. Cette fois, celle qu’il veut annoncer est de taille : il va bientôt mourir. Les retrouvailles sont à la fois étranges et tendues : entre la joie de revoir cet Ulysse qui a réussi sa vie loin des siens et cette rancœur tenace, subsiste quelque chose de bien moins palpable : ces êtres unis par le lien du sang ne se connaissent pas réellement, ne parlent pas toujours la même langue. Il y a ceux qui en disent trop, toujours, ceux qui se taisent, ceux qui essaient de calmer les tensions. Et peu de place pour Louis pour exprimer le peu qui lui reste à vivre.
Lire une pièce de théâtre n’est jamais facile et je lis souvent sur les blogs que peu aiment s’y coller. Pourtant, celle-ci peut se lire aisément si l’on aime la poésie. En effet, derrière les formulations très orales, les répétitions et les digressions qui miment bien les paroles échangées lors d’un repas de famille, se cachent de petits bijoux où la puissance du mot s’associe à l’urgence de vivre ou ne pas pouvoir vivre dans une famille. L’urgence de dire qu’on va mourir sans pouvoir l’exprimer. Le texte est très beau, humain, bouleversant et mélancolique. Le film de Dolan s’est bien saisi de cette ambiance familiale très étriquée, une geôle où il est difficile de s’échapper. Les tensions sont encore plus exacerbées que dans la pièce, chacun vit sa vie sans réellement croiser l’autre, les nombreux gros plans et très gros plans insistent sur cet aspect intimiste. Le texte n’est pas complètement respecté, certaines répliques sont résumées, d’autres ajoutées (des injures notamment). Le dénouement n’est pas le même dans le texte et dans le film : au cinéma, le dernier plan montre Louis qui n’a pas réussi à parler et qui quitte la maison avec l’image de ce petit oiseau mort (dont il est tout de même très facile d’interpréter la signification) à ses pieds. Dans la pièce, j’ai trouvé la fin moins violente, un monologue fait état des souvenirs heureux de Louis, de sa nostalgie à les quitter maintenant qu’il est mort. Il suit une tirade de son frère Antoine qui exprime à la fois l’incompréhension, le manque de communication et l’amour maladroit dont la famille a toujours fait preuve. Une pièce riche – Jean-Luc Lagarce se savait déjà condamné lui aussi quand il l’a écrite, ses mots résonnent avec force et poésie.
A noter, la très belle interprétation de Louis par le regretté Gaspard Ulliel, touchant et très doux.
Antoine : « Il faut toujours que vous me racontiez tout, toujours, tout le temps, depuis toujours vous me parlez et je dois écouter. Les gens qui ne disent jamais rien, on croit juste qu'ils veulent entendre, mais souvent, tu ne sais pas, je me taisais pour donner l'exemple. »
Antoine : « tu m'accables,
tu nous accables,
je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais enfant,
et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre existence,
qu’elle est paisible et douce
et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir failli se lamenter,
alors que toi,
silencieux, ô tellement silencieux,
bon, plein de bonté,
tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début. »












