Michelangelo alias Mimo naît en Italie en 1904 mais ses parents émigrent en France : son père sculpteur décède prématurément et sa mère préfère le confier, à l’âge de douze ans, à un oncle de Pietra d’Alba, en Italie, pour qu’il apprenne le métier de sculpteur. Apprendre, il ne le fera pas tant que ça puisque non seulement Zio Alberto est un fainéant toujours ivre mais, surtout, Mimo a un talent inné pour cet art de la sculpture. Très tôt, malgré les quolibets qu’il essuie à cause de son nanisme, il réalise des merveilles d’une beauté et d’une originalité sans pareilles. La rencontre avec Viola Orsini, fille d’une riche famille d’héritiers qui règne sur la région, sera décisive pour toute la vie de Mimo : créature aussi impertinente que céleste qui écoute les morts, se couche sur les pierres tombales, se souvient de tout ce qu’elle lit, rêve de voler, se lie d’amitié avec une ourse, et devient « démiurge » de la vie Mimo. Mais les aléas de la vie vont séparer les deux amis, l’une va se retrouver grièvement blessée tandis que l’autre - après maintes pérégrinations et infortunes - va gravir les échelons du succès. Mais j’en dis déjà trop...
Après deux coups de cœur (Cent millions d’années et un jour et Des diables et des saints) du même auteur, la barre était placée très haut pour ce roman. A la fois récit d’aventure, Bildungsroman, livre sur la sculpture, roman à suspense, apologie de la différence, ce texte est aussi un éloge de l’amitié. Le tout est nimbé de bout en bout d’un charme italien qui traverse les décennies du XXè siècle : guerres, fascisme et antifascisme, Cinecittà, séismes, tout y passe. Riche et dense comme un ouvrage de Luca Di Fulvio, virevoltant et coloré comme un Carlos Ruiz Zafón, Veiller sur elle se distingue surtout par une alchimie mystérieuse, une magie qui opère à chaque page et se clôt par un dénouement grandiose. L’admirable plume de Jean-Baptiste Andrea magnifie cette intrigue envoûtante. Ce roman vient de recevoir le Prix du roman Fnac 2023 et, au vu des critiques (quasi) unanimes, il ne se contentera pas d’une seule récompense. (edit 5 septembre : on vient d'apprendre qu'il fait partie de la Première Sélection du Prix Goncourt). Je crois cependant que Cent millions d'années et un jour et Des diables et des saints méritent aussi une ovation ... (oui je les ai préférés !)
« Elle me sourit, un sourire qui dura trente ans, au coin duquel je me suspendis pour franchir bien des gouffres. »
« Viola était une funambule en équilibre sur une frontière trouble tracée entre deux mondes. Certains diront entre la raison et la folie. Je me bâtis à plus d'une reprise, parfois physiquement, contre ceux qui l'accusaient d'être folle. »
« Je n’ai jamais retrouvé la douceur des printemps de Pietra d’Alba, quand l'aube durait tout le jour. Les pierres du village en agrippaient le rose et le passaient à tout ce qui pouvait le refléter, carreaux, métaux, inclusions de mica dans les affleurements rocheux, source miraculeuse, jusqu'aux yeux des habitants. Le rose ne s'éteignait que quand le dernier homme s'endormait, car même à la nuit tombée, il survivait dans le regard qu'un garçon posait parfois sur une fille sous la lumière des lampions. Le lendemain, tout recommençait. Pietra d’Alba, pierre d’aube. »
« Moi aussi, un jour, j'ai cru que j'avais du talent. J'ai compris depuis qu'on ne peut pas avoir du talent. Le talent ne se possède pas. C'est un nuage de vapeur que tu passes ta vie à essayer de retenir. Et pour retenir quelque chose, il faut deux bras. »
« Sculpter, c'est très simple. C'est juste enlever des couches d'histoire, d'anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu'à atteindre l'histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l'histoire qu'on ne peut plus réduire sans l'endommager. Et c'est là qu'il faut arrêter de frapper. Tu comprends ? »
Avec ses 581 pages, ce roman participe au challenge des Pavés de l’été du blog la petite liste.