La vie est belle à Alep : Nuri et son cousin Mustafa travaillent ensemble en tant qu’apiculteurs, ils sont si doués que leur miel et ses produits dérivés se vendent dans le monde entier. Leur vie familiale respective, Nuri, sa femme Afra et leur fils Sami ; Mustafa, sa femme et ses deux enfants, les comble également. Mais la guerre civile vient bouleverser leur douceur de vivre, ou plutôt va entailler profondément et douloureusement leur bonheur. Des enfants qui meurent, des maisons éventrées, des cadavres qui se font dévorer par les chiens « dans les champs où poussaient des roses avant la guerre » ; une angoisse au quotidien et deux tragédies contraignent Nuri et les siens à fuir Alep : une île grecque, un bateau clandestin, Athènes, peut-être l’Angleterre où Mustafa s’est déjà réfugié. Cet exil s’apparente à une périlleuse odyssée où les dangers s’accumulent et où, surtout, le passé refait surface à chaque coin de rue.
Sur les conseils de Luocine, j’ai choisi ce livre sans trop savoir de quoi il s’agissait. Les thématiques de l’exil et de la migration dominent mais ceux, plus implicites, de l’attachement au sol natal, du souvenir, du deuil, de la résilience, sont tout aussi forts et si bien traités. L’écriture apporte de la poésie à un monde actuel sordide et désespérant, certains épisodes anecdotiques donnent le sourire dans ce fracas de souffrances, comme ce Marocain qui achète des fleurs pour un bourdon qui a les ailes cassées, comme cette femme aveugle qui dessine en inversant toutes les couleurs d’un paysage ou encore comme ces abeilles noires anglaises qui sont très actives même en-dessous de 15 degrés. La vulnérabilité d’un être humain face aux drames bataille sans cesse avec la force de la résilience dont chacun est capable. C’est avec subtilité et délicatesse que l’autrice nous délivre un message de tolérance et d’amour à travers un regard empli d’empathie pour les 13 millions de Syriens « déplacés » (quel euphémisme de la part des médias !) Je crois bien que la fin bouleversante me pousse à faire de cette lecture un coup de cœur.
Lorsqu’il n’y a pas la guerre, c’est la sécheresse qui guette : « Le désert progressait, le climat devenait plus rude, les rivières se tarissaient, les paysans souffraient ; seules les abeilles semblaient résister. « Regarde ces petites guerrières, disait Afra quand elle venait nous rendre visite avec Sami, bout de chou emmailloté dans ces bras. Regarde-les qui continuent à travailler alors que tout meurt autour d'elles ! » Afra priait pour qu'il pleuve, car elle redoutait par-dessus tous les tempêtes de sable. »
Un e-mail de Mustafa depuis l’Angleterre : « Il règne un grand silence ici, un silence qui suinte le chaos et la folie. Je m’efforce de penser au bourdonnement des abeilles. J’essaie de trouver de la lumière en fermant les yeux. J’imagine le pré et nos ruches. »