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25 avril 2024 4 25 /04 /avril /2024 18:09

Panorama - Lilia Hassaine - Librairie La Grande Ourse

En 2029 a eu lieu la Revenge Week : une partie de la population française a décidé de punir les criminels sans passer par la justice, au fonctionnement trop long et inefficace. Suite à ce mouvement révolutionnaire où chaque Français prend ses responsabilités, des maisons de verre ont été construites afin de surveiller tout le monde, l’ère de la « Transparence citoyenne » a démarré... En 2049, une famille, les Royer-Dumas, disparaît : Rose, Miguel et leur garçon Milo. Un fait assez rare et incompréhensible puisque les voisins voient constamment dans les maisons des autres, s’épiant sans cesse. Hélène, la narratrice, une ancienne flic, enquête.

Vous l’aurez compris, c’est une dystopie qui interroge sur quelques thèmes qui nous menacent et nous préoccupent déjà aujourd’hui : le besoin de transparence, les failles de la justice, l’omniprésence des réseaux sociaux. Grâce à ces maisons-vivariums, il y a bien moins de violences conjugales, de viols, d’enfants battus, d’agressions, ... mais encore beaucoup plus de mensonges, de cachotteries et de faux-semblants. Dans cette nouvelle DDR, l’extrême vigilance de tous les instants n’a cependant pas empêché le crime. L’enquête qui piétine est complètement bancale, le rythme tout aussi irrégulier, les personnages souvent à peine dessinés. L’ensemble est poussif, on nous rappelle par mille détails dans quel univers nous sommes et le côté répétitif m’a agacée. Je n’ai pas été convaincue par ma lecture (Prix Renaudot des Lycéens 2023...), je n’ai pas adhéré à ce monde transparent qui ne m’a pas paru crédible un instant. Des maladresses de ponctuation (comme dans l’extrait ci-dessous) et de style n’ont pas non plus arrangé mes affaires.

Manou a, elle, été complètement emballée, je vous laisse lire son billet bien plus complet que le mien.

« La maison d’en face est moins bigarrée. C'est un cube translucide dans lequel vit un couple sans enfants : Lou et Nadir. Je suis arrivée à l'heure où ils faisaient l’amour. Pour préserver un minimum d'intimité, certains couples ont investi dans des lits-sarcophages. Le principe est simple : chacun à son tour appuie sur le déclencheur - ce qui garantit le consentement - et le lit se referme comme une boîte. En cas de problème, un bouton d'urgence à l'intérieur permet d'ouvrir le coffre et d'alerter les gardiens. »

Il n’y a presque plus de livres dans ce nouveau monde : « On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d'un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n'est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s'adapte à l'époque. Les maisons d'édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l'auteur. Trois versions d'un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd'hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes. »

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19 avril 2024 5 19 /04 /avril /2024 15:10

Les Rougon-Macquart Tome 4 ; la conquête de Plassans - Emile Zola - Folio -  Grand format - Librairie Gallimard PARIS

Plus de onze ans après mon dernier Zola (oui, j’ai honte, j’ai vérifié trois fois... onze ans !!), je m’attaque à la suite du Ventre de Paris.

François Mouret est désormais un homme aisé, négociant en vins, en amandes et en huiles. Il vit dans une grande maison à Plassans, cette petite ville (imaginaire) du sud de la France, avec sa femme Marthe, ses deux garçons Octave et Serge et sa fille un peu simplette, Désirée. Il décide de louer le second étage. L’abbé Bourrette lui a trouvé des locataires : l’abbé Faujas et sa mère, une femme austère. Cette nouvelle présence se fait tellement discrète qu’elle intrigue quotidiennement Mouret. Finalement, c’est le jeu du piquet confrontant chaque soir Mme Faujas à Mouret qui va rapprocher tout ce petit monde. Marthe, pour qui la vie a, jusqu’alors, toujours été plate et insignifiante, va se découvrir un but : fonder, sur l’idée de l’abbé – bien plus malin qu’il n’en a l’air, une maison pieuse dédiée aux jeunes filles des rues. Plus qu’un but, elle se prend d’une passion folle pour Dieu... et son représentant, l’abbé Faujas. Celui-là, glacial à son égard, se montrera plus préoccupé par l’idée d’acquérir, doucement mais sûrement, une certaine notoriété dans la ville. L’arrivée de sa sœur et de son mari, les Trouche, va évincer petit à petit les Mouret de leur propre maison, Marthe s’abîmant dans son amour sans retour, Mouret se voyant accusé de violence conjugale. Plane la menace des Tulettes, cet asile de fous où se trouve déjà la grand-mère de François...

Le style de Zola m’étonne à chaque fois, tellement fluide, accrocheur et imagé ! Le microcosme où il nous entraîne permet de voir évoluer les personnages, et ici, tout l’enjeu réside dans la manipulation de certains au détriment d’autres qui se font royalement duper (François et Marthe). Si le thème de la folie m’a moins intéressée (et cette fameuse hérédité dont on ne peut absolument pas se défaire), le récit se tend comme un arc au fil des pages à travers les hypocrisies et mesquineries des habitants dans cette ville qui est un personnage à elle toute seule. Le roman finit en apothéose avec un superbe incendie dans lesquels périssent des personnages qu’on ne plaint pas du tout. Ou comment une petite ville provinciale voit sa soi-disant tranquillité éclaboussée... La dernière phrase mettant en scène la mort de Marthe, annonce la suite, La Faute de l’Abbé Mouret : « Puis, elle joignit les mains avec une épouvante indicible, elle expira, en apercevant, dans la clarté rouge, la soutane de Serge. »

Un petit tour à l'Église : « les veilleuses piquaient de leurs pointes d'or les profondeurs noires de l'église."

« L'été se passa. L'abbé Faujas ne semblait nullement pressé de tirer les bénéfices de sa popularité naissante. Il continua à s'enfermer chez les Mouret, heureux de la solitude du jardin, où il avait fini par descendre même dans la journée. Il lisait son bréviaire sous la tonnelle du fond, marchant lentement, la tête baissée, tout le long du mur de clôture. Parfois, il fermait le livre, il ralentissait encore le pas, comme absorbé dans une rêverie profonde ; et Mouret, qui l’épiait, finissait par être pris d'une impatience sourde, à voir, pendant des heures, cette figure noire, aller et venir, derrière ses arbres fruitiers. »

« Les plus fous ne sont pas ceux qu'on pense... Il n'y a pas de cervelle saine pour un médecin aliéniste... Le docteur vient de nous réciter là une page d'un livre sur la folie lucide, que j'ai lu, et qui est intéressant comme un roman.

LA CONQUETE DE PLASSANS | Librairie des Bauges - Commande en ligne    

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10 avril 2024 3 10 /04 /avril /2024 13:25

Calaméo - "SHIT !" de Jacky Schwartzmann - éditions du Seuil

Fervente lectrice de cet auteur bisontin, cru, drôle et délirant dans ses polars, je ne pouvais pas rater son dernier méfait.

Thibault Morel est CPE à Planoise, un quartier très chaud de Besançon où il a été muté il y a peu. Il a déniché un petit appart, pensant trouver calme et quiétude mais il comprend très rapidement que sur le même pallier, se tient un trafic de drogue à grande échelle. Par conséquent ses allées et venues dans sa propre résidence sont contrôlées par un charbonneur, le mec qui permet de faire circuler les clients vers leur produit préféré. Et c’est parfois à coups de claque qu’il est accueilli devant son logement... jusqu’à une certaine nuit où il entend des coups de feu et trouve, dans l’appart en face du sien, les cadavres de deux caïds du shit. Une voisine l’accompagne et, dans la salle de bains, ils découvrent, par le biais d’un astucieux système de baignoire encastrée, la cache de fric et de shit des malfrats. D’un commun accord, Thibault et Mme Ramla, gentille mère de famille, décident de fermer la cache et de taire le « trésor » aux flics. Les premiers billets serviront à financer un voyage scolaire, les suivants à aider quelques familles en détresse de la cité. Les compères sèment le bien autour d’eux et décident de reprendre le trafic de shit pour le bien de tous. Mais que faire quand la réserve est épuisée ?

C’est tout simple, voilà un looser qui se métamorphose en winner dans un far west bien actuel, dans une cité de Besançon. Comme d’habitude chez Monsieur Schwartzmann, c’est gros et grotesque, souvent drôle mais l’intrigue n’est pas en reste, cette reconversion de CPE en dealer devient (presque) crédible, on s’attache à gars maladroit échoué dans un univers hostile, capable de gravir les échelons de la fraude et de la violence. L’auteur sait bien de quoi il parle puisqu’il a grandi à Planoise, « décor de théâtre de merde », et qu’il a été élève dans le collège Voltaire évoqué dans le roman. Pour le reste, on admettra que ce n’est que pure fiction. Cette lecture m’a bien divertie, elle a rempli sa mission de me faire sourire plusieurs fois. Même si j’avais trouvé l’auteur déjà bien plus irrévérencieux dans Mauvais coûts ou Demain c’est loin, il dépoussière le genre du polar, donne un coup de pied au cul des clichés sur les quartiers sensibles (qu’il réutilise aussi, évidemment) et dénonce tout de même un peu notre belle société actuelle. De belles parenthèses sur la vie d’un collège ne font que colorer ce roman déjà bien allumé.

« Ma rue. Elle est composée de cinq ou six séries de bâtiments différents. Comme si on avait eu plusieurs architectes, qu'on n'avait pas été capables de les départager et qu'on leur avait demandé à chacun de dessiner son projet. Certains sont des gros cubes à sept étages, d'autres, plus ramassés, n'en comptent que cinq. Comme le mien, au tout début de la rue. J'ignore quand, j'ignore pourquoi, mais il a un jour été décidé que les immeubles de plus de dix étages, les tours, ce n'était pas bien. On a ainsi privilégié des petites structures. Pour faire plus cosy, moins parcage. Conneries. C'est toujours la même bêtise de croire qu'en agençant autrement on améliorera le sort des habitants. On repeint, on dresse des parcs de jeux pour les enfants, on ajoute des bancs par-ci par-là, on pense que cela suffira et on ne comprend pas que ce soit toujours le bordel. »

Thibault a trouvé un transporteur, vous devinez pour quoi : « Et me voilà donc à attendre sur ce parking, tendu, pas rassuré. Ce qui me ferait vraiment du bien, là, tout de suite, c'est un joint. Mes poumons se dressent sur la pointe de leur petits lobes inférieurs, ma plèvre froufroute, mes bronches beuglent aussi fort que les tuyaux d'aspirateur croisés avec des didgeridoos. Je stresse depuis quelques jours. Depuis le retour d'Épinal, à vrai dire. C'est vrai que j'ai beaucoup fumé là-bas. »

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25 mars 2024 1 25 /03 /mars /2024 10:16

L'Herne – Les inséparables

Heureusement que le stimulant challenge Les classiques c’est fantastique m’a à nouveau poussée vers cette autrice que j’avais découverte avec les sublimes Mémoires d’une jeune fille rangée. Ce mois-ci, les Simone sont mises à l’honneur.

                Dans un court roman autobiographique, l’autrice met en lumière sa jeunesse marquée par la rencontre avec Zaza, nommée Andrée ici, une fille de son âge pour qui elle éprouve une grande admiration et un amour incomparable. La vie aux côtés d’Andrée qu’elle croit connaître mais qu’elle découvre au fil des mois et des années coïncide avec son adolescence. Vient alors la période de rébellion face à l’ordre établi, Simone (nommée ici Sylvie) va s’éloigner de la religion pour finir par admettre qu’elle ne croit plus en Dieu, faire des choses défendues (qui peuvent, certes, faire sourire aujourd’hui puisqu’il s’agit de manger des pommes entre les repas et de lire Alexandre Dumas en cachette !) et grandir aux côtés ou peut-être dans l’ombre d’Andrée. Les filles deviennent des étudiantes et Andrée s’éprend du meilleur ami de Sylvie mais, si c’est amour est partagé, les fiançailles tant attendues n’auront pas lieu. C’est peut-être cette énième contrariété qui va conduire Andrée à la mort.

Si c’est le livre d’une amitié qui se clôt par une tragédie, il s’agit aussi de la photographie d’une époque précise, celle du premier tiers du XXè siècle, avec ses contraintes, sa misogynie, ses mœurs parfois étriquées. J’ai beaucoup aimé l’ambiguïté de la relation entre les deux jeunes femmes avec une réciprocité qui n’est jamais acquise, des doutes et des questionnements qui sont ceux d’un couple d’amoureux. La plume de Simone de Beauvoir embaume un parfum de douceur qui enivre légèrement, on se laisse très vite glisser dans son univers où on revêt une « robe bleu marine avec un col de piqué blanc ». On comprend également à quel point cette amitié qui s’est terminée dans la souffrance et le malheur a pu marquer durablement notre écrivaine. L’ouvrage bénéficie d’un cahier tout à fait appréciable comprenant des photos de Zaza et Simone et des lettres authentiques échangées entre les deux femmes.

« Andrée aurait-elle été triste si on nous avait empêchées de nous voir ? Moins que moi, assurément. On nous appelait les deux inséparables et elle me préférait à tous mes camarades. Mais il me semblait que l’adoration qu’elle avait pour sa mère devait pâlir ses autres sentiments. »

« Depuis cette nuit où dans la cuisine de Béthary, j’avais avoué à Andrée combien je tenais à elle, je m’étais mise à y tenir un peu moins. »

« un mariage d’amour, c’est suspect. »

Extrait d’une lettre de Simone datant de novembre 1929 : « C'est toujours à chaque page bonheur, bonheur en lettres de plus en plus grosses. Et je tiens à vous plus que jamais en ce moment, cher passé, cher présent, ma chère inséparable. Je vous embrasse, Zaza chérie. »

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15 mars 2024 5 15 /03 /mars /2024 14:36

Son odeur après la pluie - Cédric Sapin-Defour - LIBRAIRES DU SUD

Je suis clairement plus chats que chiens. J’ai toujours eu des chats et j’ai longtemps eu une peur bleue des chiens. Puis, à force de côtoyer des chiens souvent énormes qui m’ont paru plutôt très sympas, mon opinion et mes ressentis ont changé. J’en arrive aujourd’hui à me dire que j’aurai un chien, un jour. Donc, ce roman n’était pas forcément une partie gagnée d’avance pour moi.

Une petite annonce dans le journal de sa région, 74, décide le narrateur, Cédric, à adopter un chien. Il va d’abord rencontrer ce petit bouvier bernois (oui c’est un oxymore) et le coup de foudre est instantané. Il lui faudra cependant attendre un mois avant de l’adopter définitivement. La vie avec ce chien appelé Ubac est tout de suite une évidence, un bonheur du quotidien. Cédric emmène Ubac partout, sans laisse, l’aime et le gâte comme un enfant, apprend auprès de lui et s’épanouit un peu plus chaque jour. Il va rencontrer Mathilde qui va aimer Ubac à son tour et deux autres chiens vont s’ajouter à cette famille particulière. Evidemment, la vie d’un chien est courte et, après les immenses randonnées, les visites de routine chez le vétérinaire, les joies de tous les jours, vient le temps des inquiétudes, des maladies, et bientôt sonne la trompette de la mort.

Le pari est réussi, me faire adorer un roman qui ne parle que de chiens(s) ! Dès les premières pages, on s’identifie au narrateur et sa plume, magnifique, élégante, un brin ampoulée, nous emporte dans cette histoire d’amour entre deux êtres vivants. Tout paraît simple, évident et naturel. Pas un instant on ne doute de l’authenticité de cette relation si exceptionnelle entre un homme et son chien, ou entre un chien et son homme. L’écriture est d’une si grande beauté que les thématiques rebattues de fidélité de l’animal, d’enthousiasme, de fiabilité prennent de nouvelles couleurs chez cet auteur fou amoureux de la nature. Car il est aussi question de nature, celle qui est si intimement liée au chien, celle qui émerveille tellement Ubac ; celle qu’il va révéler, transcender et sublimer auprès Cédric. L’arrivée de deux autres chiens ne semble que compléter une osmose déjà lumineuse entre les êtres vivants de cette maison perdue dans les montagnes. Quelle déclaration d’amour, clamée avec des mots nouveaux, avec une vision optimiste sans être mièvre, d’une beauté à couper le souffle ! C’est un COUP DE CŒUR évidemment !

« Surfiler son existence de la présence d'un chien, c'est entendre que le bonheur façonne la tristesse, c'est mesurer comme le manque est mal soluble dans les mémoires aussi vastes et heureuses soient-elles, c’est accepter que chaque minute volatile soit vécue sept fois plus intensément qu’à l’habitude, c'est se cogner à ce séduisant et vertigineux projet de ne saboter aucun instant et de célébrer la vie de manière forcenée. »

« Nous nous regardons, aimantés, sans cligner, et ce jeu d’enfants où le premier baissant les yeux perd la partie, prétexte à tant d’idylles naissantes, débute pour ne s’achever qu’à la seconde où l’un d’entre nous les fermera pour toujours. »

« Ubac s’émerveille de tout, d’une chenille, du vent dans les arbres, de ce qu'on ne voit plus. Il ne laisse rien passer de ce qui pourrait lui animer la vie. Sa faculté à s'émerveiller est un antidote au désenchantement, elle n'exige aucun strass, c'est assez vital en somme, tous les grognons devraient passer une heure avec un chien. Il joue du matin au soir, avec tout et n'importe quoi, un lézard, un bouchon, un être imaginaire. »

« Vivre lui suffit. Un rien lui tient de lieu, d'instant, la constance ne lui rouille pas la vie car elle n'a pas lieu. Ubac porte ce don de faire de toute routine assommante vue de mes yeux capricieux, une expérience aimable et qui rend disponible. Refaire me lasse et lui le convainc. C'est quelque chose que de bien peindre le quotidien flairant çà et là ses menues variations, c'est une élégante attention portée à l'habitude et qui semble rendre le bonheur plus attrapable. Une vie que la tyrannie de l'insolite pourrait juger comme rabaissée aux ambitions petites, Ubac m'apprend qu'elle est en définitive la plus subtile de toutes et que s'acharner à fuir la banalité en est au final la forme la plus aboutie ; alors va pour le tour et le retour des trois rivières, ce traité d'impermanence et le grand bal des vies communes ! »

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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 09:10

Les Forceurs de blocus de Jules Verne - Editions Flammarion

Sans le Book trip en mer de Fanja, je n’aurais peut-être jamais sorti ce roman de ma PAL.

Nous sommes en pleine guerre de Sécession, fin 1862, Le Delphin, un navire armé, s’apprête à quitter Glasgow pour rejoindre Charleston, en Caroline du Sud, pour forcer le blocus en échangeant des armes contre du coton. Le capitaine, James Playfair, accepte, à la dernière minute, d’accueillir à son bord un homme vigoureux du nom de Crockston qui est accompagné de son « neveu » de quinze ans. Peu après le départ, l’équipage se rend compte que Crockston n’est pas du tout marin et que son neveu... est en réalité Miss Jenny Halliburtt, fille d’un journaliste abolitionniste, qui a pour objectif sauver son père emprisonné à Charleston. Vite épris de Jenny, le capitaine Playfair va tout mettre en œuvre pour faire libérer Mr Halliburtt.

Court roman ou longue nouvelle, ce récit d’aventures de facture très classique est rondement et rapidement bouclé (au vu de sa brièveté). Une sorte de Comte de Monte-Cristo très condensé dont la lecture est fluide et agréable. J’ai cependant été un peu décontenancée par le rythme du récit qui commence doucement, accumulant les références au monde maritime (et mon édition destinée aux collégiens expliquait tous les mots en fin de livre, j’ai compté une cinquantaine de mots de vocabulaire marin... tout de même !), donc une première partie qui prend son temps, et une seconde bien plus rapide, à partir de l’arrivée à Charleston tout s’accélère : le stratagème de Crockston, la libération du père, l’histoire d’amour, le retour. Ce déséquilibre m’a un peu gênée, il est vrai, surtout qu’il est accompagné d’un happy end un peu trop prévisible. Je terminerai par exprimer ma perplexité pour un roman qui serait destiné aux 5e... pas sûre du tout qu’il plaise, sauf aux férus de navigation !

« Le Delphin filait rapidement ; il répondait aux espérances des constructeurs et du capitaine, et bientôt il eut dépassé la limite des eaux britanniques. Du reste, pas de navire en vue ; la grande route de l’Océan était libre. D'ailleurs, nul bâtiment de la marine fédérale n'avait le droit de l'attaquer sous pavillon anglais. Le suivre, bien ; l'empêcher de forcer la ligne des blocus, rien de mieux. Aussi James Playfair avait-il tout sacrifié à la vitesse de son navire, précisément pour n'être pas suivi. Quoi qu'il en soit, on faisait bonne garde à bord. Malgré le froid, un homme se tenait toujours dans la mâture, prête à signaler le moins la moindre voile à l'horizon. Lorsque le soir arriva, le capitaine James fit les recommandations les plus précises à Mr Matthew. »

Lecture commune avec Fanja que je remercie pour ce joli trip en mer ! Claudialucia a embarqué avec nous, nos avis à toutes les trois se rejoignent plutôt.

(vous avez vu, "de février à novembre", vous avez encore largement le temps de partir vous aussi en croisière !)

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6 mars 2024 3 06 /03 /mars /2024 14:54

Continuer - Laurent Mauvignier - Minuit - Grand format - Librairie de Paris  PARIS

Sibylle est séparée de son mari Benoît et vit à Bordeaux avec leur fils Samuel. Samuel, un ado rebelle, file du mauvais coton jusqu’à une soirée où il cumule les emmerdes et les conneries (alcool, drogue, témoin passif d’une scène de viol). Sibylle, en souffrance elle-même dans une vie qui ne lui correspond plus, décide de revendre la maison familiale qui lui est si chère et d’emmener Samuel au Kirghizstan. A dos de cheval, ils vont parcourir des centaines de kilomètres, vivre une autre vie, se retrouver espère-t-elle. Et il ne devrait plus être question que de yourtes, de koumis, de chevaux, d'hospitalité kirghize. Samuel s’ouvre difficilement aux autres, il ne veut pas de ce voyage, s’emporte encore régulièrement même si de petites prises de conscience s’opèrent doucement... jusqu’au drame, une nuit où il fuit seul, à dos de cheval, et où Sibylle, folle d’inquiétude, part à sa recherche.

J’ai eu, pendant toute la lecture, une très forte impression de déjà lu mais nulle trace de ce roman dans mes archives... (j’ai pensé à un Olivier Adam qui y ressemblait, mais non). En tous cas, j’ai beaucoup aimé cette lecture addictive et à suspens, cette histoire d’amour entre une mère et son fils, d’une mère pour son fils ; cette tentative de reconquête qui paraît vaine les trois premiers quarts du roman ; le courage de cette mère dont le passé n’a pas toujours été heureux. C’est très romanesque, Mauvignier flirte avec le cliché pour finalement atteindre une certaine vérité dans la beauté de cette relation mère-fils et cette difficulté à connaître son propre enfant. Il y en aura eu des drames et des tragédies dans ce roman... Mais le voyage au Kirghizstan m’a plu et j’aime qu’on trouve des solutions insolites plutôt que se laisser dépérir dans son malheur. Pour résumer, un roman très fort et prenant même s’il tombe parfois dans la caricature.

Mes autres lectures de Mauvignier sont ici

« Ils se parlent peu, ils économisent leurs forces et se concentrent sur ce qu'ils ont à faire, ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent, ce qu'ils ressentent. Les mots sont ici comme tous ces poids morts dont on se débarrasse parce qu'ils ne servent qu'à alourdir les bagages. Tous les jours, toutes les heures, d'autres occupations les attendent, tellement indispensables qu'ils y pensent même le soir, avant d'aller se coucher - trouver de l'herbe et de l'eau, un village, un campement où l'on pourra prendre des vivres. Mais tout tourne autour des chevaux. »

Lorsque Samuel fuit, une nuit : « mais ses hennissements, Samuel pense bien que sa mère ne les entendra pas, Samuel est fou et avec son cheval, il s'élance dans la nuit, personne n'entendra rien parce que tout le monde s'en fout, Samuel est comme un souffle imprévisible et sauvage, comme une ombre qu'on oublie parce qu’invisible, muette, trop secrète dans les ténèbres qui s'ouvrent. »

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3 mars 2024 7 03 /03 /mars /2024 15:21

A la ligne, Feuillets d'usine de Joseph Ponthus (La Table Ronde) A la ligne

Feuillets d’usine

Le narrateur, éducateur spécialisé, a suivi son épouse dans l’ouest de la France où il ne trouve pas de boulot. Il se rabat sur les agences intérim et accepte tous les postes qu’on lui propose en usine : il va trier les crevettes, ranger et déballer toutes sortes de poissons (grenadiers, lieux, sabres, églefins, ...), de poissons panés aussi, égoutter du tofu, faire de la béchamel en quantité XXL, nettoyer un abattoir (il aura du sang jusque dans la bouche), déplacer les carcasses de porc et de vaches... S’il tient ce rythme infernal et abêtissant, c’est qu’il a en tête des poèmes, des chansons, des citations d’auteurs célèbres. Face à un collègue ivrogne et paresseux, aux chefs méprisants, il apprend à se taire et à se faire discret. Il ressent même une forme de contentement une fois la journée (ou la nuit) finie, se sent apaisé et compare le travail à l’usine à des séances de psy.

Le récit se distingue d’emblée par sa forme hybride : entre prose en poésie, sans aucune ponctuation, le style crée une fluidité très agréable. On est plongés dans le quotidien d’un ouvrier, de celui qui fait le sale boulot comme il y en a tant. Si on le savait abrutissant et bêtifiant à souhait, ce genre de travail répétitif et physiquement difficile assomme l’humain, le change un peu plus chaque jour, surtout s’il n’est pas intérieurement armé par une certaine culture. C’est un livre que j’ai adoré tant par cette forme originale que par cette perception accrue d’un quotidien sordide et des personnes croisées à l’usine. Pour avoir fait pas mal de jobs d’été pas très sympas, je me suis retrouvée dans pas mal de ces mots. Le temps qui se rallonge indéfiniment, les heures qu’on vomit tant elles sont longues, les collègues et les chefs, les pauses dont on savoure les secondes tout en sachant qu’elles sont trop courtes, le boulot aberrant... De l’auteur, on ne pourra plus rien lire puisqu’il est décédé en 2021, le récit en est d’autant plus touchant. Cette magnifique et « folle complainte de l’ouvrier d’aujourd’hui » (dixit François Busnel) est à lire sans aucune hésitation, d’un seul souffle.

-    Coup de cœur    -

Les balades avec le chien sont parfois un calvaire tant il est fatigué de sa journée (ou de sa nuit) de travail :

« L’usine bouleverse mon corps

Mes certitudes

Ce que je croyais savoir du travail et du repos

De la fatigue 

De la joie 

De l'humanité 

Comment peut-on être aussi joyeux de fatigue et de métier inhumain

Je l'ignore encore

Je croyais n'y aller

Que pour pouvoir te payer des croquettes

Le véto à l’occase

Pas pour cette fatigue ni cette joie »

 

« C’est ignorer jusqu'à l'usine qu'on pouvait

Réellement 

Pleurer

De fatigue

Ça m'est arrivé quelques fois

Hélas non quelquefois

Rentrer du turbin

Se poser cinq minutes dans le canapé

Et

Comme

Un bon gros gros gros point noir que tu n’avais pas vu et qui explose à peine tu le touches

Je repense à ma journée

Sens mes muscles se détendre

Et

Explose en larmes contenues

Tâchant d’être fier et digne

Et ça passera

Comme tout passe

La fatigue la douleur et les pleurs

Aujourd’hui je n’ai pas pleuré »

 

 

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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 09:51

La Femme qui fuit, Anais Barbeau-Lavalette | Livre de Poche

Le challenge Les classiques c’est fantastique du mois de février s’attaque à la « pile francophone », l’occasion pour moi de découvrir une autrice (et cinéaste) québécoise, nommée « Artiste pour la paix » en 2012. Ce roman, La femme qui fuit, a remporté de nombreuses récompenses en 2015 (mais je ne suis pas sûre que ce soit un « classique » oups)

La narratrice évoque sa grand-mère maternelle, Suzanne Meloche, née en 1926, au parcours particulier puisqu’elle a abandonné ses deux enfants, François et Manon dite « Mousse », respectivement âgés de un et 3 ans. Elle s’est séparée de leur père, Marcel, pour vivre sa liberté qu’elle a voulu totale. Elle a multiplié les conquêtes et les voyages : née au Canada, elle a très vite rejoint Montréal, puis l’Angleterre, puis New-York. Elle a participé au mouvement automatiste avant de se détacher de ce groupe d’artistes pour prendre part à la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, son statut de « nigger lover » lui vaudra un court séjour en prison.

Lorsqu’on démarre la lecture de ce livre, on sent immédiatement une aversion pour cette mère qui, non seulement a abandonné ses enfants mais a refusé de les revoir une fois adultes. Pourtant, lorsqu’on avance dans cette lecture écrite à la 2e personne du singulier, on se rend compte que ce n’est pas tout blanc ou tout noir et que cette femme extra-ordinaire a eu une vie riche et complexe. D’autant plus qu’il est à signaler que, si elle a abandonné ses enfants, le père, Marcel Barbeau, les a abandonnés aussi (évidemment, pour un homme, c’est plus courant). La personnalité de cette femme a toujours été à part, marginale dans un groupe de marginaux, elle s’est attelée à ne s’attacher ni à un homme ni à des principes ni à une terre. Elle a continué, malgré tout, à aimer ses enfants et ce déchirement la rend évidemment plus humaine, presque attachante. L’écriture est absolument sublime, l’autrice magnifie de petits instants de vie, exalte cette relation fille/grand-mère de manière unique et cisèle son texte à la manière d’un orfèvre. Le résultat est assez déroutant, original, les chapitres sont très courts, la poésie s’infiltre partout dans le récit, les références à l’art sont omniprésentes et le tout contribue à garder le lecteur en alerte, happé par cette existence hors du commun axée sur une liberté ... tabou.

COUP DE CŒUR pour cette lecture hypnotique et enivrante !

Dans l’autobus, au moment d’abandonner sa fille, Suzanne observe deux vieillards : « Ils ont traversé la vie sans faire de bruit, en se tenant par la main. Ils ont souri quand il fallait. Ils ont peu pleuré et jamais crié. Ils s'assoient côte à côte comme d'habitude. Leur odeur se confond et ils pensent en choeur à des choses qui ne dérangent personne. Tu ne veux pas mourir comme eux. Ordinaire. Tu prends enfin la main de Mousse dans la tienne et y déposes la promesse brûlante de ton envol. En espérant qu'un jour, elle s'y abreuvera. Mais Mousse a trois ans et c'est dans tes jupes et tes chansons qu'elle existe. C'est dans les fleuves rassurants de ton cou et l'antre de tes bras refermés sur elle qu'elle trouve son souffle. Ce matin-là, sur une route de terre sans fin, tu lui passes la corde au coeur, tu lacères ce qui la relie au monde. »

 

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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 10:52

Back up - Paul Colize - Folio - Poche - Librairie Le Divan PARIS

En 1967, quatre musiciens appartenant à un groupe de rock, Pearl Harbor, meurent mystérieusement à tour d’un rôle dans un laps de temps très court : l’un meurt défenestré, l’autre d’une overdose, un troisième sous les rames du métro, le dernier se suicide. Il est difficile de parler de coïncidence, pourtant la police n’en veut rien savoir... c’est le journaliste Michaël Stern qui mène l’enquête. En parallèle, en 2010, un type est retrouvé inerte, renversé par une voiture à Bruxelles ; l’équipe médicale finit par se rendre compte qu’il est conscient mais victime du syndrome de l’enfermement : il est tétraplégique et ne peut que remuer les paupières. Son identité reste inconnue, et il faudra, des mois plus tard, la persévérance de Dominique, un super kiné, pour que le malade accepte de livrer ses secrets et le drame qu’il a connu.

Si le roman est un excellent polar, il brille également, surtout, par ses références au rock. Le personnage principal découvre « Maybellene » de Chuck Berry et c’est le coup de foudre, il se met à taper sur tout ce qu’il trouve, s’initie à la batterie et finit par exceller dans la pratique de cet instrument. On en prend plein les oreilles du début à la fin, ça foisonne de rythmes endiablés, ça secoue le cocotier, ça rend même nostalgique des années qu’on n’a pas vécues (drogues mises à part parce qu’il y en a des paquets de sachets dans le roman). L’autre atout se niche dans le dernier tiers du roman et -je ne veux pas trop en dire- a un rapport avec les mille possibilités qu’offrent le son, la musique, ce qu’on en fait et les mystères de l’audition. Le dénouement est tout aussi réussi que le reste du livre, intelligent, surprenant et pêchu. Admirative du travail de documentation de l’auteur (on se promène dans les années 60), j’ai encore été davantage bluffée par la construction du roman, complexe, audacieuse et subtile... à tel point que je m’y suis parfois perdue ! Le bilan reste extrêmement positif, ce fut une lecture jouissive de bout en bout et les presque 500 pages donnent envie d’écouter la playlist fournie dans les premières pages.

Merci à l’auteur de faire revivre les meilleures années de rock, merci à toutes les blogueuses pour cette recommandation judicieuse, vous avez été nombreuses à citer ce titre, je ne peux que conseiller cette lecture à mon tour... sauf si vous détestez le rock (c’est triste mais peut-être que ça existe !?)

La découverte des Beatles : « C'était un rock, c'est sûr, mais pas un rock comme les autres. C'était un rock mélodique, énergique, d'une simplicité qui poussait au génie. Marqué par un harmonica lancinant et une surprenante complicité vocale, le morceau était d'une fraîcheur qui me laissait muet d'admiration. On sentait que les gars s'amusaient, qu'ils aimaient ce qu'ils faisaient et prenaient du plaisir. La face B était tout aussi convaincante. J'ai écouté le disque de nombreuses fois en cherchant à saisir la recette de ce tour de magie. »

Même auteur, dans un tout autre genre : Devant Dieu et les hommes.

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