Je continue - mais alors très doucement – ma progression dans la lecture des Rougon-Macquart avec ce cinquième tome (j’en ai évidement déjà lu d’autres mais je tiens à l’ordre de parution).
Serge Mouret, fils de Marthe et François Mouret disparus dans un incendie dans La Conquête de Plassans, exerce son métier de prêtre dans le petit village des Artaud où les habitants sont tous plus ou moins cousins. Il a vraiment la foi mais se retrouve confronté à des villageois pas tellement pieux (une seule dévote au compteur), une gouvernante autoritaire et acariâtre, le frère Archangias ordurier et grossier ; heureusement qu’il a la Vierge Marie, l’idole de sa vie pour illuminer son cœur, ses jours et ses nuits... A la suite d’une sorte de crise mystique, il va faire un malaise et se retrouver au Paradou, une vaste propriété abandonnée dans un écrin de verdure où vivent un philosophe et sa fille adoptive, Albine. Cette dernière sera la seule présence humaine pour Serge, une présence de plus en plus douce et agréable, qui, en accord avec une Nature extrêmement généreuse et mystérieusement abondante, va devenir son idole, son objet de vénération, sa Vierge Marie ... et sa tentatrice. Surpris dans sa « faute », l’abbé va devoir retourner aux Artaud ; qui choisira-t-il alors, Dieu ou Albine ?
Chaque fois que j’entame un Zola je me demande pourquoi je lis autre chose... L’incipit m’a déjà complètement enchantée avec la bonne à tout faire de l’abbé, La Teuse, qui entreprend un grand nettoyage de l’église, avec les différentes postures de l’abbé, complètement obsédé par sa croyance, principalement par son culte à la Vierge Marie. La suite ne m’a pas déçue, cette incursion dans l’univers clérical avec un abbé d’abord pieux et complètement sincère, les habitants d’un bourg hypocrites et grossiers et ce revirement total dans l’univers magique du Paradou (si cet endroit existe, je veux y aller !!). L’abbé s’appelle simplement « Serge », il ne sait même plus qui est Dieu et son cœur ne bat plus que pour Albine. Nous voilà dans un fouillis luxueux et luxuriant laissé à l’état libre (l’urbex avant l’heure...), dans cet Eden, nos Adam et Eve, innocents au possible, vont découvrir la sensualité comme de petits animaux sauvages. D’une construction rigoureuse en trois parties (l’avant-Paradou, la vie au Paradou, l’après-Paradou), le roman gratte la religion de toutes les manières possibles notamment en forçant les traits de l'enthousiasme mystique de l’abbé ou de la monstruosité d’Archangias (qui porte bien son nom... et il déteste la Vierge parce que c’est une femme). J’ai souvent souri, je ne suis pas sûre que Zola voulait qu’on s’attache à ses personnages, la petite Désirée sort peut-être du lot avec son amour des animaux et sa naïveté touchante -qui peut cependant aller vers une cruauté candide. Si on connaît mal l’auteur, il vaut mieux ne pas commencer par cette œuvre dont les descriptions peuvent refroidir (je n’ai jamais vu autant de noms de fleurs inconnus : les agératums, les fraxinelles, les schizanthus, les phlox, ...) ainsi que l’onirisme du deuxième chapitre. Une lecture jouissive pour moi !
Première partie, l’abbé Mouret pendant une messe : « Et, se retournant devant l’autel, il continua, en baissant la voix. Vincent marmotta une longue phrase latine dans laquelle il se perdit. Ce fut alors que des flammes jaunes entrèrent par les fenêtres. Le soleil, à l'appel du prêtre, venait à la messe. Il éclaira de larges nappes dorées la muraille gauche, le confessionnal, l'autel de la Vierge, la grande horloge. Un craquement secoua le confessionnal ; la Mère de Dieu, dans une gloire, dans l'éblouissement de sa couronne et de son manteau d'or, sourit tendrement à l'Enfant Jésus de ses lèvres peintes ; l'horloge, réchauffée, battit l'heure à coups plus vifs. Il sembla que le soleil peuplait les bancs de poussière qui dansaient dans ses rayons. La petite église, l’étable blanchie, fut comme pleine d'une foule tiède. »
Deuxième partie, Serge dans le jardin : « Il naissait dans le soleil, dans ce bain pur de lumière qui l'inondait. Il naissait à vingt-cinq ans, les sens brusquement ouverts, ravi du grand ciel, de la terre heureuse, du prodige de l'horizon étalé autour de lui. Ce jardin, qu'il ignorait la veille, était une jouissance extraordinaire. Tout l'emplissait d'extase jusqu'aux brins d'herbe, jusqu'aux pierres des allées, jusqu'aux haleines qu'il ne voyait pas et qui lui passaient sur les joues. Son corps entier entrait dans la possession de ce bout de nature, l'embrassait de de ses membres ; ses lèvres le buvaient, ses narines le respiraient ; il l'emportait dans ses oreilles, il le cachait au fond de ses yeux. C'était à lui. »
Albine : « Dieu est une invention de méchanceté, une manière d’épouvanter les gens et de les faire pleurer... »
J’ai lu le roman dans cette vieille édition peu commode (deux colonnes par page) mais avec des notes et des tableaux intéressants.
Grâce à ses 512 pages, je participe au challenge de Moka, Quatre saisons de pavés.