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21 janvier 2025 2 21 /01 /janvier /2025 15:14

Livre : Les Rougon-Macquart. Vol. 2, Les Rougon-Macquart,, le livre de  Emile Zola - Seuil - 9782020007399

Je continue - mais alors très doucement – ma progression dans la lecture des Rougon-Macquart avec ce cinquième tome (j’en ai évidement déjà lu d’autres mais je tiens à l’ordre de parution).

Serge Mouret, fils de Marthe et François Mouret disparus dans un incendie dans La Conquête de Plassans, exerce son métier de prêtre dans le petit village des Artaud où les habitants sont tous plus ou moins cousins. Il a vraiment la foi mais se retrouve confronté à des villageois pas tellement pieux (une seule dévote au compteur), une gouvernante autoritaire et acariâtre, le frère Archangias ordurier et grossier ; heureusement qu’il a la Vierge Marie, l’idole de sa vie pour illuminer son cœur, ses jours et ses nuits... A la suite d’une sorte de crise mystique, il va faire un malaise et se retrouver au Paradou, une vaste propriété abandonnée dans un écrin de verdure où vivent un philosophe et sa fille adoptive, Albine. Cette dernière sera la seule présence humaine pour Serge, une présence de plus en plus douce et agréable, qui, en accord avec une Nature extrêmement généreuse et mystérieusement abondante, va devenir son idole, son objet de vénération, sa Vierge Marie ... et sa tentatrice. Surpris dans sa « faute », l’abbé va devoir retourner aux Artaud ; qui choisira-t-il alors, Dieu ou Albine ?

Chaque fois que j’entame un Zola je me demande pourquoi je lis autre chose... L’incipit m’a déjà complètement enchantée avec la bonne à tout faire de l’abbé, La Teuse, qui entreprend un grand nettoyage de l’église, avec les différentes postures de l’abbé, complètement obsédé par sa croyance, principalement par son culte à la Vierge Marie. La suite ne m’a pas déçue, cette incursion dans l’univers clérical avec un abbé d’abord pieux et complètement sincère, les habitants d’un bourg hypocrites et grossiers et ce revirement total dans l’univers magique du Paradou (si cet endroit existe, je veux y aller !!). L’abbé s’appelle simplement « Serge », il ne sait même plus qui est Dieu et son cœur ne bat plus que pour Albine. Nous voilà dans un fouillis luxueux et luxuriant laissé à l’état libre (l’urbex avant l’heure...), dans cet Eden, nos Adam et Eve, innocents au possible, vont découvrir la sensualité comme de petits animaux sauvages. D’une construction rigoureuse en trois parties (l’avant-Paradou, la vie au Paradou, l’après-Paradou), le roman gratte la religion de toutes les manières possibles notamment en forçant les traits de l'enthousiasme mystique de l’abbé ou de la monstruosité d’Archangias (qui porte bien son nom... et il déteste la Vierge parce que c’est une femme). J’ai souvent souri, je ne suis pas sûre que Zola voulait qu’on s’attache à ses personnages, la petite Désirée sort peut-être du lot avec son amour des animaux et sa naïveté touchante -qui peut cependant aller vers une cruauté candide. Si on connaît mal l’auteur, il vaut mieux ne pas commencer par cette œuvre dont les descriptions peuvent refroidir (je n’ai jamais vu autant de noms de fleurs inconnus : les agératums, les fraxinelles, les schizanthus, les phlox, ...) ainsi que l’onirisme du deuxième chapitre. Une lecture jouissive pour moi !

Première partie, l’abbé Mouret pendant une messe : « Et, se retournant devant l’autel, il continua, en baissant la voix. Vincent marmotta une longue phrase latine dans laquelle il se perdit. Ce fut alors que des flammes jaunes entrèrent par les fenêtres. Le soleil, à l'appel du prêtre, venait à la messe. Il éclaira de larges nappes dorées la muraille gauche, le confessionnal, l'autel de la Vierge, la grande horloge. Un craquement secoua le confessionnal ; la Mère de Dieu, dans une gloire, dans l'éblouissement de sa couronne et de son manteau d'or, sourit tendrement à l'Enfant Jésus de ses lèvres peintes ; l'horloge, réchauffée, battit l'heure à coups plus vifs. Il sembla que le soleil peuplait les bancs de poussière qui dansaient dans ses rayons. La petite église, l’étable blanchie, fut comme pleine d'une foule tiède. »

Deuxième partie, Serge dans le jardin : « Il naissait dans le soleil, dans ce bain pur de lumière qui l'inondait. Il naissait à vingt-cinq ans, les sens brusquement ouverts, ravi du grand ciel, de la terre heureuse, du prodige de l'horizon étalé autour de lui. Ce jardin, qu'il ignorait la veille, était une jouissance extraordinaire. Tout l'emplissait d'extase jusqu'aux brins d'herbe, jusqu'aux pierres des allées, jusqu'aux haleines qu'il ne voyait pas et qui lui passaient sur les joues. Son corps entier entrait dans la possession de ce bout de nature, l'embrassait de de ses membres ; ses lèvres le buvaient, ses narines le respiraient ; il l'emportait dans ses oreilles, il le cachait au fond de ses yeux. C'était à lui. »

Albine : « Dieu est une invention de méchanceté, une manière d’épouvanter les gens et de les faire pleurer... »

J’ai lu le roman dans cette vieille édition peu commode (deux colonnes par page) mais avec des notes et des tableaux intéressants.

Grâce à ses 512 pages, je participe au challenge de Moka, Quatre saisons de pavés.

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11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 05:02

Frapper l'épopée de Alice Zeniter - Editions Flammarion

Tass, une jeune femme professeure de français, retourne sur son île, la Nouvelle-Calédonie, à la suite d’une rupture amoureuse. De toute façon, elle ne s’est jamais sentie complètement chez elle en métropole et n’a jamais su l’expliquer à son ex-compagnon. Dans l’une de ses classes, elle est intriguée par des jumeaux kanaks, Célestin et Pénélope, qui affichent un tatouage lié à un mouvement indépendantiste. Le jour où ils ne viennent plus au lycée, elle mène l’enquête, ce qui la conduira à en apprendre davantage sur l’histoire complexe de son île et sur des rebelles pacifiques néanmoins déterminés.

Entre roman et documentaire, Alice Zeniter semble vouloir offrir aux lecteurs un aperçu assez détaillé de ce qu’est la Nouvelle-Calédonie. Faune, flore, climat, parfums, géographie, gastronomie, habitants, tout y passe, et ça ne m’a pas du tout déplu, moi qui n’y connaissais pas grand-chose. Elle fouille son sujet à fond, donnant une image complexe et subtile de l’île et de ses problématiques. Mais je trouve qu’une insistance trop importante a été faite sur ce mouvement indépendantiste qui prône l’« empathie violente », l’intrigue même du roman s’est éloignée avec ses personnages pourtant intéressants et certains passages m’ont un peu perdue. J’ai aimé découvrir les coutumes et les traditions de « la Nouvelle » : les maisons emboucanées (ensorcelées) qu’on peut désemboucaner, les mettre à l’abri du mauvais sort ; le kava, cette décoction amère qu’on sirote pour s’enivrer dans un nakamal (lieu de rencontre), les cyclones que chacun appréhende à sa manière, les cagous (de gros oiseaux qui ne volent pas), les méliphages (sortes de corbeaux), ces adorables margouillats qui entrent dans les maisons... Pour conclure, ça a été pour moi un roman intéressant sans être captivant. J'ai nettement préféré L'Art de perdre.

(pour l’anecdote, du limoncello a été renversé sur la couverture de ce livre lors d’une escapade à Bruxelles... malheureusement, le livre n’en a pas gardé l’odeur !)

« La place des Cocotiers ressemble à un album pour enfants sur lequel on aurait collé, avec un plaisir féroce et sans minutie, toutes les gommettes disponibles. Les taches de couleur des parasols et des barnums sont rondes, carrées, bleues, vertes, rouges, pointues ou arrondies. Il faut y ajouter les stands protégés uniquement par un drap tendu, ceux hérissés d'une ombrelle ou d'un parapluie qui tient comme il peut sur un sommet branlant, et les tables qui étalent leur chalandise directement sous le soleil du matin. Taches de couleur partout, aveuglantes et disparates dans la lumière un peu grise. Des grille-pains côtoient des lampes sans abat-jour, des petits altères fluo écrasent des chaussures de randonnée, des tomes d'encyclopédie désuets s’élèvent en muraille à côté d'une carafe, des bijoux de pacotille sont exposés sur une table à langer. »

« Être kanak, dit FidR, c’est savoir ce qui est juste, ce qu’est l’honneur, et être capable de l’emporter dans un autre endroit si quelqu’un le menace ou le gâte. »

Les principes du mouvement indépendantiste : « créer chez les Blancs un sentiment de dépossession, troubler l’évidence du chez-soi, limer la confiance qu’ils ont dans leur statut de propriétaire. »

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28 décembre 2024 6 28 /12 /décembre /2024 17:58

Les terres animales

Après mon coup de cœur pour Ce qu’il faut de nuit, je voulais poursuivre ma découverte de l’auteur, j’ai donc emprunté ce roman sans rien savoir de plus.

Un « club des cinq » plutôt original : deux couples, Sarah et le narrateur, Lorna et Marc et puis Alessandro. Ils ont choisi de rester vivre sur ces terres hostiles et contaminées depuis une certaine catastrophe... Il leur faut se munir d’une combinaison et d’un masque pour sortir, faire leurs provisions en glanant de la nourriture dans les villages alentours, désertés par les autres depuis fort longtemps. La cohabitation entraîne inévitablement des chamboulements dans les relations mais un équilibre a, à peu près été trouvé, jusqu’au jour où Sarah se retrouve enceinte...

Je ne m’attendais pas à lire un roman post-apocalyptique à la Cormac McCarthy ou à la Sandrine Collette, j’ai donc mis un petit moment à me détacher de ces références (sans y arriver jamais...) sachant qu’en outre, c’est loin d’être mon genre de prédilection. L’atmosphère s’installe rapidement dès les premières pages avec ces êtres qui errent, seuls avec quelques Ouzbeks qui restent aussi dans cette zone éminemment toxique et qui abattent les drones de surveillance qui survolent la région. Ils sont donc complètement livrés à eux-mêmes et l’arrivée d’un bébé cause autant de joies que d’inquiétudes, et redistribue encore une fois les cartes des liens entre les cinq. Si on peut citer les nombreuses qualités de ce roman aux chapitres courts : l’alternance des points de vue, la beauté et l’efficacité de l’écriture de Petitmangin, les contrastes entre l’humanité et l’environnement devenu nocif, ... certains passages m’ont paru incohérents et (je spoile) cette question « Pourquoi sont-ils donc restés ici ? » ne trouve jamais de vraie réponse concrète. Je pense aussi que la fin est un peu bâclée et vite liquidée. Dommage que mon sentiment dominant soit la perplexité. Même le titre et la couverture ne me paraissent pas appropriés. Une déception, donc.

« On est dans l’après. Je crois qu’on y est finalement plus à l’aise. Davantage que dans tout ce qui a précédé la catastrophe. Notre pacte de Faust, comme me l’a dit un jour Lorna, la quasi-certitude de finir nos jours plus tôt que la moyenne (quasi, car il y en a pour continuer à croire en leur bonne étoile) contre des vacances perpétuelles. Et, contre l’absence totale de sécurité et le devoir de se protéger en permanence, ce temps libre qu’on scinde à l’envi, dans des kyrielles d’heures essentielles. Etrange sentiment. On ne se rue pas sur ce temps, on ne le brûle pas, alors qu’on le pourrait, on respecte la vie, sans exagération, en s’offrant seulement des parenthèses comme aujourd’hui. »

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20 décembre 2024 5 20 /12 /décembre /2024 18:28

 Terrasses | Actes Sud

- Ou notre long baiser si longtemps retardé - 

Laurent Gaudé rend hommage aux victimes directes ou collatérales de ce vendredi 13 novembre à Paris où les attentats ont ravagé insouciance et bonheur, ont tué et blessé. Une soirée bien douce pour un mois de novembre, propice à boire un verre en terrasse. Les premiers tirs ne ratent pas leur cible choisie tellement au hasard, les secours arrivent effarés devant une telle boucherie, les blessés et les morts sont évacués puis il faut nettoyer les lieux du carnage : Laurent Gaudé n’omet personne dans ce déroulé méthodique des faits. Les proches des victimes ne sont pas oubliées, ceux qui appellent des dizaines de fois un portable qui ne répondra plus, les secouristes et les médecins sont évoqués également, ceux qui doivent « trier par gravité », ceux qui n’ont jamais vu de telles horreurs malgré leur expérience. Laurent Gaudé donne même la parole aux morts, ces êtres qui étaient là, à rire, à s’aimer, à se séduire, à se retrouver, à trinquer, et qui d’une seconde à l’autre, sont passés du côté de la Mort.

Ce n’est pas une lecture agréable à l’approche des fêtes de Noël. Ce n’est pas une lecture agréable quelque que soit la période de l’année. Elle remue des souvenirs et place en exergue les souffrances des protagonistes qu’ils soient réels ou fictifs. La plume de Laurent Gaudé a cela d’impeccable qu’elle trouve le mot juste, n’en dit ni trop ni pas assez. C’est le terrible Hasard qui choisit ses victimes même si celui ou celle qui a touché de près ou de loin ce tragique événement en ressortira irrémédiablement changé. A l’instar de ces guerres dont il faut entretenir la mémoire, il faut parler et reparler sans cesse de ces attentats qui ont meurtri la France et heurté à tout jamais tant de personnes, Laurent Gaudé le fait admirablement bien, tout en retenue et en pudeur. Parce qu’il donne la parole à ceux qui ne sont plus, le texte devient lumineux et humaniste, empli d’un amour et d’une tendresse pour tout un chacun, distillant une beauté incroyable.

« Toi, oui. L’autre, pas. A une seconde près, un centimètre près. Avoir de la chance ou pas. »

« Le peuple des blessés est immense. En premier marchent les victimes. Mais la foule est nombreuse derrière elles. Il y a ceux qui étaient dans l'immeuble d'en face et ont vu des gens courir et mourir. Ils auront peur désormais. Il y a ceux qui resteront hantés par une image, qui feront des cauchemars récurrents. Ceux qui vivent à Paris et chez qui une inquiétude nouvelle s'est déposée. Comme à chaque attaque. C'est la mémoire du sang, la mémoire de ces minutes de terreur où nos vies deviennent fragiles. La rue des Rosiers. L’attentat de la rue de Rennes. Celui de la station Port-Royal. Du métro Saint-Michel. De Charlie et de l’Hyper Cacher. Nous portons la mémoire de ces coups, de ces cris, de ces vies emportées. »

De Laurent Gaudé : Ouragan, Cris, La Porte des Enfers, Le Soleil des Scorta, Chien 51, Grand menteur, La mort du roi Tsongor, Eldorado, Salina

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13 décembre 2024 5 13 /12 /décembre /2024 10:38

L'Illusion du mal - Piergiorgio Pulixi - Éditions Gallmeister

J’avais tellement adoré L’île des âmes du même auteur que je savais que j’allais continuer ma découverte.

En Sardaigne, on retrouve les deux inspectrices de choc, l’Irlandaise Eva Croce, au look négligé, meurtrie dans son passé et à tout jamais - excellente flic, et Mara Reis, élégante au possible, non moins compétente. Tout les oppose et il semblerait qu’elles se détestent mais un homme vient les rejoindre : Vito Strega, criminologue de renom et tristement célèbre pour avoir tué un collègue. Le trio doit enquêter sur l’enlèvement d’un pédophile, son ravisseur a offert ses dents arrachées à sa première victime, en demandant, via les réseaux sociaux, à tous de voter pour ou contre sa condamnation à mort. Les crimes commis par celui qui sera surnommé le « Dentiste » répondent aux failles même de la justice sarde. Là où les juges ont échoué, le Dentiste sanctionne ceux qui l’ont apparemment mérité... Et ce Dentiste devient une vraie vedette, déclenchant la passion des Italiens.

Dans ce polar dense de presque 600 pages, on poursuit un justicier qui veut régler les comptes de criminels non jugés ou mal jugés. Forcément romanesque, cette intrigue monopolise des policiers au caractère et au passé marqués. Le charisme et la musculature de Vito (une sorte de mec parfait, il faut bien le dire...) va émoustiller Mara et quelque peu modifier la donne dans les relations entre les enquêteurs. Eva n’est pas en reste, elle vit toujours dangereusement, happée par l’idée de mort depuis qu’elle a perdu sa fille. Le secret de Pulixi ? un rythme effréné rendu possible par de nombreux chapitres courts, des dialogues vifs et des personnages colorés. J’ai adoré ce page-turner et cette réflexion sur la justice à travers ce vengeur masqué,  mais j’ai perçu quelques minuscules défauts, des petits clichés qui se promenaient deci delà ... rien de bien grave mais qui m’empêchent d’aller jusqu’au « coup de cœur ». Les rebondissements et les surprises m’ont comblée et je continuerai à lire cet auteur. J’étais en manque de polars, cette lecture a tout à fait rempli sa mission.

Lisez quand même - avant tout - l’excellentissime Ile des âmes.

Le beau Vito Strega : « Il sortir de la piscine à contrecœur. Epaules carrées. Un mètre quatre-vingt-quinze de muscles raffermis par la natation, innervés de veines pulsant après l’effort. Cheveux noirs crépus coupés très court. Quelques centimètres de barbe soigneusement taillée, à peine saupoudrée de gris au menton. Visage osseux, aux traits réguliers et anguleux. Peau mate qui suggérait une ascendance caribéenne plutôt qu’italienne. »

« La haine est comme un orchestre. Elle a besoin de quelqu’un qui la dirige, qui fait monter la tension et la cadence, pour laisser ensuite exploser toute son impétuosité dans une chevauchée majestueuse. Mais tu sais quel est l’aspect de la haine qui me fascine le plus ? J’aime sa manière d’effacer les distances sociales... »

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9 décembre 2024 1 09 /12 /décembre /2024 18:41

Jour de ressac - Maylis de Kerangal - Gallimard - ebook (ePub) - Librairie  Privat TOULOUSE

Elle est comédienne de doublage, mariée à un imprimeur et mère d’une grande ado. Un jour, le coup de fil d’un flic lui apprend qu’elle doit venir au plus vite au Havre, un homme mort a été découvert sur la plage, il a été impossible de l’identifier mais il portait sur lui un ticket de cinéma avec son numéro de téléphone à elle. Aller au Havre signifie pour la narratrice revenir dans la ville grise et froide où elle a grandi, où elle a connu son premier amour, la ville qu’elle a quittée pour ne plus jamais y retourner. L’interrogatoire au commissariat se solde par un échec puisqu’elle ne reconnaît pas le cadavre des photos. Lors de ce séjour qui fait comme une parenthèse dans sa vie, elle va errer dans cette ville à la fois connue et lointaine, amie et hostile.

De nombreux passages ainsi que l’ambiance générale empreinte de flottements, de souvenirs, d’hésitations, de balades portuaires, d’introspection, de murs de béton, de rencontres fugaces m’ont vraiment plu, je crois que je n’étais pas loin du coup de cœur. Le livre est porté par une écriture magnifique, que ce soit avec de longues phrases envoûtantes et poétiques, que ce soit avec une brièveté qui fait mouche. Evidemment, vous me voyez venir, il y a un « mais ». C’est l’ensemble qui m’a paru décousu, tels des morceaux séparés d’un patchwork, j’attendais en vain qu’on les unisse, qu’on tisse de vrais liens entre eux pour qu’ils soient moins solitaires et abandonnés à eux-mêmes. Un sentiment d’inachevé confirmé par la fin qui m’a laissée perplexe... Peut-être que le titre (très judicieusement trouvé) annonçait déjà ce flux et ce reflux. Mis à part ces bémols, la ville du Havre prend une telle place, se fait si belle malgré sa laideur, tellement attirante malgré la répulsion qu’elle pourrait susciter que je ne peux que conseiller cette lecture. Il me tarde de lire d’autres titres de cette autrice, je cueillerai vos conseils avec plaisir.

Je n'ai lu que Réparer les vivants de l'autrice.

«  (...) la plage du Havre est populaire, elle est portuaire et municipale, les familles descendent en cortège depuis les quartiers du plateau, elles vont à la mer, elles vont à la cabane, les enfants ont la bouée autour du ventre, ils courent sans attendre vers le clapot, au risque de se perdre dans la foule puisque à marée basse, s'il fait soleil, c'est une multitude qui envahit l'estran, des milliers de corps se floutent dans la brume de chaleur, la clameur monte une nappe suave et bourdonneuse, et ce bruit-là est bien l'un de ceux que je préfère, celui qui dit la turbulence et l'allégresse, la récréation et les joies premières, la révélation de la peau, la rencontre du sable qui déconcerte, évoque la soie et rappelle la boue, d'autant que ces jours-là la hiérarchie sociale se dénude et se couche, elle se met à plat, et ce n'est pas qu'elle soit abattue pour de bon, non, faut quand même pas rêver, mais elle perd toute verticalité, elle s'étale des plus modestes côté digue aux plus cossues côté cap, partage du sensible, échantillon réparti d'est en ouest selon des revenus croissants, quand c'est bien un même cordon de galets sur lequel on se pose, et qui fait mal au cul. »

 

Si je n'avais pas débarqué avec un mois de retard, j'aurais pu participer au challenge citadin d'Ingannmic. :)

 

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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 17:33

Après minuit

Le soir du 29 octobre 2022, Jen, une avocate heureuse, assiste à une scène terrifiante : elle voit, par la fenêtre de sa maison, son fils unique de dix-huit ans, Todd, poignarder un homme dans la rue. Avec son mari, elle se précipite mais l’homme est déjà mort et Todd très vite arrêté. Au retour de ces quelques heures pénibles au commissariat de police, Jen s’écroule de fatigue. Elle se réveille... le  28 octobre, Todd est dans sa chambre et la routine familiale ne semble absolument pas perturbée par un meurtre qui, évidemment, n’a pas encore eu lieu. Jen s’évertue à comprendre pourquoi son fils, intelligent et sans histoire jusque-là, en est arrivé à tuer un homme. Au soir du 27 octobre, Jen s’endort avec mille questions dans la tête... et se réveille le 26 octobre. Ces retours en arrière vont devenir son nouveau mode de vie, et elle mènera l’enquête, seule parce qu’incomprise des autres, avec cette étrange déconstruction du temps.

Ce roman est clairement addictif, et de temps en temps, un bon polar qui permet de s’évader complètement sans se poser trop de questions, ce n’est pas mal du tout. Je reste toujours admirative des idées épatantes de ces créateurs de polars, un genre dénigré par certains lecteurs mais il faut admettre que si l’écriture n’a souvent rien de révolutionnaire, le contenu est remarquable. Il l’est ici, parce que ces bonds dans le passé questionnent l’héroïne - elle va jusqu’à être projetée plusieurs années en arrière - mais le lecteur aussi, imaginez vous retrouver un an en arrière, 5 ans, 10 ans... avec des personnes décédées que vous pouvez revoir, une jeunesse retrouvée, des enfants qui sont encore petits. Bref, un gros potentiel sciemment utilisé autour des thématiques de l’effet papillon, des boucles temporelles mais aussi du rôle de mère, avec des retournements de situation et une vérité qui ne se dévoile que très progressivement. Un beau plaisir de lecture.

« Jen ouvre les yeux. Elle est au lit. Et on est le 26. J-3. Elle s’approche de la baie vitrée. Dehors, il pleut. Où est-ce que tout ça va finir ? Elle va rétropédaler... quoi ? Pour toujours ? Jusqu’à ce qu’elle cesse d’exister ? Elle a besoin de connaître les règles du jeu. »

C'est chez Eve que j'avais piqué cette idée de lecture, merci à elle !

Une petite liste de page-turners :

Temps glaciaires de Fred Vargas

Tout ce qu’on ne s’est jamais dit de Celeste Ng

La Fille du train de Paula Hawkins

Nymphéas noirs de Michel Bussi

Apprendre à se noyer de Jeremy Robert Johnson

Helena de Jérémy Fel

Red Room Lounge de Megan Abbott

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25 novembre 2024 1 25 /11 /novembre /2024 08:02

Persuasion

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Les Classiques c’est fantastique avec pour thème du mois de novembre, une incroyable « battle Jane Austen vs Les sœurs Brontë ».

Dans le Somersetshire, Anne a deux sœurs casse-pieds et un père veuf un peu sot. Si elle n’a jamais vraiment été écoutée et aimée à sa juste valeur, elle a toujours vécu dans le luxe et l’opulence. La famille doit cependant laisser derrière elle leur grande demeure pour la mettre en location afin de conserver le train de vie que tous menaient jusqu’à présent. Anne recroise Frederick Wentworth devenu capitaine. Epris l’un de l’autre neuf ans auparavant, elle a dû refuser sa demande en mariage sur le conseil d’une amie plus âgée parce qu’il était alors sans fortune. Les années ont passé et, même si la beauté d’Anne s’est fanée (à 27 ans...), elle est encore courtisée par les hommes mais n’a d’yeux que pour le beau Wentworth devenu riche. Gêne et embarras, maladresses et incompréhensions vont les éloigner l’un de l’autre.

J’ai découvert l’autrice avec Orgueil et préjugés, j’étais alors éblouie par l’écriture et le style élégant et raffiné de l’écrivaine. Si le style et l’élégance des phrases m’ont encore une fois séduite, le contenu lui-même m’a trop souvent franchement barbée ... entre les femmes si fragiles qu’il faut sans cesse les protéger, la marraine/amie qu’on écoute docilement sans suivre ses propres instincts, le qu’en-dira-t-on, les apparences, la bienséance, ... pfiouuu, je me suis tellement sentie à mille lieues de tout ça ! A part nos deux héros parfaits – et on sait d’emblée qu’ils finiront ensemble – ces personnes riches, hypocrites et oisives ne s’occupent que de commérages, de soirées à combler, d’invitations, de peau qu’il ne faut pas avoir trop halée ... Je me suis ennuyée.

Pour revenir à la battle Austen/Brontë, Les Hauts de Hurlevent m’ont davantage emportée et subjuguée.

« Un homme n'a pas à veiller un enfant, ce n'est pas de son ressort. Il appartient toujours à la mère de s'occuper de son enfant malade, c'est ce que lui dicte généralement son cœur. »

Anne a si mal vieilli (à 27 ans !) « Si les années avaient terni l'éclat de sa jeunesse à elle, le temps n'avait pas laissé de trace sur lui. Il avait une mine resplendissante, une allure plus virile. Elle avait retrouvé le même Frederick Wentworth. »

Prise de conscience : « Le chagrin d'un individu n'est pas nécessairement proportionnel à sa taille. Une personne grande et forte a bien le droit d'être tout aussi profondément affligé que la créature la plus gracile. »

 

 

Persuasion de Jane Austen
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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 10:33

Les enfants du large - Virginia Tangvald - JC Lattès - Grand format -  Kléber STRASBOURG

L’autrice-narratrice est la fille de l’aventurier et navigateur, Peter Tangvald. Ayant fait plusieurs fois le tour du monde, vivant exclusivement sur le bateau construit par lui-même (sans moteur ni radio), il a eu sept femmes et de nombreux enfants. Un jour de tempête, il part en bateau avec sa petite fille de sept ans, Carmen, et demande à Thomas, son fils alors âgé de 15 ans, de le suivre dans un coin réputé dangereux, au large de Bonaire, une île des Caraïbes. Les deux bateaux font naufrage, seul Thomas survit. La mère de Virginia avait quitté Peter brutalement, emmenant la petite âgée de deux ans. Virginia jeune adulte, se rend compte qu’elle a besoin de comprendre ce qui s’était passé le jour du naufrage, qu’elle a besoin de retrouver Thomas, celui qui prend aussi la mer, celui qui ressemble tant à son père... Les retrouvailles aux saveurs morbides perturberont la jeune femme. Et la disparition de Thomas, des années plus tard, confirmeront encore un peu plus ce destin familial funeste.

Ce roman autobiographique prend des allures d’enquête mais de nombreuses questions resteront sans réponse et, surtout, Virginia Tangvald, tentera – par l’écriture – de soigner ses plaies familiales, cette malédiction qui plane. En effet, non seulement Peter a toujours choisi des femmes très jeunes, mais deux d’entre elles ont disparu dans des circonstances étranges qui laissent supposer que Peter pourrait les avoir tuées. La narratrice, en perte de repères, semble trouver son équilibre une fois la dernière page noircie, prête à fonder une famille et à revoir la définition du mot « liberté », si cher à son père. Le hasard a voulu que je démarre ce roman sur un bateau, non loin de Dubrovnik, et je ne sais pas si le contexte l’a favorisé, mais j’ai éprouvé un réel engouement pour le début de ce livre ; cette histoire énigmatique et romanesque a de quoi happer le lecteur. Mais le soufflet est retombé dans la seconde moitié du livre et même si j’ai été heureuse que Virginia trouve sérénité, apaisement et amour (elle est en couple avec le sympathique chroniqueur culturel, Youssef Bouchikhi), certains passages ne m’ont pas tellement intéressée. Disons plutôt que je n’ai pas forcément compris son obsession à évoquer un père qu’elle n’a pas connu – le livre aura eu le mérite de le faire tomber de son piédestal. Son témoignage s’accompagne de morceaux de l’autobiographie de Peter lui-même qui ont été judicieusement répartis dans le livre et, pour un premier roman, il faut admettre, que l’ensemble est plutôt prometteur et agréable à lire.

« J'avais perdu mon frère de vue en même temps que cette île quand ma mère avait fui notre père. Cette collision tant attendue entre le passé et le présent me donnait le vertige. J'avais tellement hâte de le revoir. »

Les retrouvailles avec Thomas : « Nos deux solitudes étaient criantes. Tant d’années de mer nous séparaient désormais. J’avait attendu trop longtemps pour le rejoindre. Dans ce néant, dans cette solitude où était né mon désir obsédant de le retrouver, autre chose m’était apparu, trop flou pour que je puisse clairement l’identifier. Le soupçon d’une proximité profonde entre nous, accompagné d’une fascination pour le funeste. Quelque chose de terrible et d’inavouable est alors monté jusqu’à moi, une odeur rance de fer et de sang jointe à l’étrange impression que j’allais mourir de ses mains. »

Virginia est née sur un bateau, Thomas enfant assiste à l’accouchement : « Per lui tendit les ciseaux, qu’il avait fait bouillir juste avant dans l’eau des pâtes, pour couper son cordon. Thomas courut trouver un livre dans lequel il le ferait sécher comme une fleur. Carmen me porterait jusque sur la poitrine de ma mère, épuisée, haletante. Ma mère, la femme qui survivrait. »

et je participe, enfin à nouveau, au Book Trip en mer de FanjaJ'ai atteint le grade de "second-maître", je suis ravie !!

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13 novembre 2024 3 13 /11 /novembre /2024 08:17

Le syndrome de l'Orangerie de Grégoire Bouillier - Editions Flammarion

Bmore, un détective derrière lequel se cache (à peine) l’auteur, fait un tour au Musée de l’Orangerie, et .. stupéfaction, là où il pensait ne ressentir, comme tous les autres visiteurs, que sérénité, douceur et harmonie face aux immenses Nymphéas de Monet, il se sent oppressé et angoissé comme s’il émanait de ces grands panneaux quelque chose de délétère et de morbide. En creusant un peu (ensuite beaucoup beaucoup plus), il trouve des explications à cette réaction négative : Monet a démarré ses immenses fresques en 1914, le premier jour de la guerre, il venait de perdre son fils aîné, Jean, il craignait pour son cadet parti au combat, il craignait pour la France. Mais sa double cataracte, cette « tragédie de l’œil » qui le rendra aveugle n’y est pas pour rien non plus : la peinture « se fait littéraire » puisqu’il lit les couleurs sur ses tubes et peint avec le souvenir qu’il en a. Ce n’est pas tout, le nymphéa, cette fleur que tout le monde admire, possède un niveau de toxicité assez important, il est anaphrodisiaque et l’eau qui dort a des pouvoirs mortifères... autant de raisons qui permettent de comprendre le « syndrome » subi devant les toiles de l’impressionniste. Mais si finalement tout n’en revenait pas à l’amour, et si la première femme de Monet, Camille, n’était pas au cœur même de ces nymphéas...

Première découverte d’un auteur assez allumé qui m’a rapidement fait penser à Jaenada dans son appétit des digressions (mais Jaenada le surpasse, tout de même). Bouillier a son style, une sorte de fouillis organisé, avec des réflexions personnelles et autobiographiques qui viennent se glisser dans la biographie de Claude Monet. Car c’est bien d’une biographie (partielle) qu’il s’agit, ou encore d’une autopsie des Nymphéas :  on entre dans le tableau impressionniste dès la première page pour n’en ressortir ... que bien des jours après la lecture. C’est un texte vivant, dense, coloré, dynamique, plein de riches idées et de remarques amusantes (un chapitre entier n’est conçu que d’exergues, tous plus amusants les uns que les autres !), de bavardages parfois un peu longuets et un brin oiseux. Alors si Bouillier va parfois un peu trop loin (un parallèle est fait entre les jardins de Giverny et le camp d’Auschwitz... tout de même !), j’ai appris beaucoup de choses (Monet avait sept jardiniers ;  il a décidé de tout de A à Z quant à la conception de son jardin, jusqu’à faire détourner une rivière, jusqu’à faire venir des espèces de nymphéas de l’autre bout de la terre ; il a peint environ 400 tableaux de nymphéas sur une trentaine d’années, a détruit beaucoup de toiles qu’il a lacérées au couteau ; il y a aussi La Japonaise, un tableau insolite dans son œuvre que Bouillier explique très bien). L’auteur a réussi à m’embarquer (c’est le cas de le dire), à m’inciter à regarder le célèbre tableau de Monet autrement, à confirmer que nos propres ressentis peuvent parfois être très justes quand on regarde une œuvre d’art (ou un film, ou un livre...)

Devant Les Nymphéas : « Pourtant tout m'apparaissait ici figé, immobile, statique, opaque, silencieux, inerte. Trop figé et trop silencieux pour que la vie puisse circuler, s'épanouir, s'égayer. D'où ma sensation de claustrophobie. Comment un espace ouvert peut-il donner l'impression d'un lieu clos et replié sur lui-même ? »

« Car bien avant de peindre le moindre nymphéa (en 1897), Monet les cultivait depuis des années. C'est-à-dire qu'il fabriqua de toutes pièces le modèle qui, sur la toile, devint ensuite sa source d'inspiration. Il créa lui-même le sujet de sa peinture. Il n'y a que Pygmalion et sa Galatée qui puissent rivaliser, sauf qu'il s'agit d'un mythe. (Cézanne ne créa pas les pommes qu'il peignait. Léonard de Vinci ne créa pas Mona Lisa, seulement La Joconde, etc.) »

Lecture commune avec Keisha, sans le vouloir :) (les grands esprits, n'est-ce pas...!?)

 

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