Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 mars 2023 2 21 /03 /mars /2023 10:08

Le Silence et la Colère

Je me réjouissais tout particulièrement de lire la suite du Grand monde tant apprécié l’année dernière.

Un petit bond dans le temps : après 1948, on se retrouve en 1952. François travaille toujours au Journal du soir, il est toujours avec Nine, sa fiancée sourde dont les mystères rendent sa personne de moins en moins limpide. Jean s’apprête à ouvrir le Dixie, un très grand magasin de prêt-à-porter féminin, son épouse Geneviève est toujours aussi odieuse, d’autant plus qu’elle a du mal à élever voire à aimer sa fille de trois ans, Colette. Hélène, quant à elle, a pris du galon puisqu’elle a droit, en tant que (vraie) journaliste, à un reportage : rendre compte de ce village, Chevrigny, qui doit disparaître sous les eaux au profit d’un barrage. Ô ciel, elle n’est toujours pas mariée même si amants et prétendants ne manquent pas. Les parents Pelletier restés à Beyrouth suivent de loin et parfois avec inquiétude l’évolution de leurs enfants mais un certain combat de boxe va venir distraire leur routine. 

Entre Beyrouth, Charleville, Paris et Chevrigny, ça bouge, il n’y ni pause ni temps mort dans les rebondissements et les mésaventures de chacun, bref, c’est un roman social mais toujours encore, comme Le Grand Monde, un roman d’aventure. Chaque personnage est fortement marqué, aucun n’est ordinaire ou lisse, et ils sont presque tous monstrueux. Bref, on est vraiment dans du Romanesque avec un grand R. Sans doute moins conquise par ce deuxième opus que par le premier tome, certains passages m’ont un peu laissée indifférente notamment les pages sur la boxe ; la dimension caricaturale de Geneviève -un monstre dans toute sa splendeur- m’a un peu lassée et j’ai trouvé certaines histoires un peu vite réglées à la fin. Je chipote un peu parce que j’ai quand même pris beaucoup de plaisir à ce roman vite dévoré malgré ses quelque 560 pages. La femme prend une place importante : le thème de l’avortement est mis en avant, la maternité, la condition de la femme dans les années 50 et, à part Geneviève (qui n’a rien d’humain), ce sont les femmes qui sont les véritables héroïnes du livre. Merci Lemaitre. Zola ne peut que ressurgir, encore plus dans les dernières pages qui marquent l’ouverture du grand magasin de Jean, l’effervescence, la société de consommation en devenir, le rapport triangulaire patron/employés/clients. On aimerait connaître la suite, en savoir plus sur les personnages et leur évolution, bref, la dimension feuilletonesque est au sommet de sa gloire chez un Pierre Lemaitre en pleine forme.

A noter l’intéressant et véridique article joint au roman : « La Française est-elle propre ? »

 

Certains traits de l’époque ne nous manquent pas :

  • l’avortement est vu comme un « crime contre la sûreté de l’Etat » … et la brigade anti-avortement sévit toujours.
  • « Cette fille devait bien avoir vingt-deux ou vingt-trois ans et ne portait ni alliance ni bague de fiançailles. »
  • Filles et garçons sont ensemble à l’école de Chevrigny : « ça n'est pas très normal de les mettre ensemble, mais que voulez-vous, l'institutrice des filles est partie le mois dernier, on ne pouvait pas faire autrement. »

Geneviève ou comment jouer la comédie : « Car aucune femme n’avait jamais été autant enceinte que Geneviève. La grossesse lui interdisant de nombreux mouvements, il fallait la servir plus souvent encore qu'à l'accoutumée, ranger, épousseter, laver à sa place. Les tâches ménagères lui avaient toujours répugné, elle n'avait jamais rien fait de bien notable dans la maison ; enceinte, elle ne faisait plus rien du tout. Soufflant, se tenant la poitrine à deux mains, poussant des gémissements plaintifs, s’arc-boutant soudainement sous l'effet d'un élancement dans les reins, elle passait douloureusement du fauteuil au lit, il fallait lui apporter son ouvrage, un verre d'eau, madame Faure, sans vous commander à moins qu'il y ait de la limonade ! Vous iriez m’en chercher ? Tout était prétexte à lamentations, ses seins qui gonflaient lui causaient des douleurs horribles, l’appartement orienté au sud. »

Partager cet article
Repost0
15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 17:13

Livre : La crue, Blackwater : l'épique saga de la famille Caskey, écrit par Michael  McDowell - Monsieur Toussaint Louverture

 

Eh oui, je m’y suis enfin collée, moi aussi !

A Perdido, ville de l’Alabama, en 1919, une crue a submergé la ville, les endroits restés indemnes sont peu nombreux, les habitants se sont réfugiés sur les hauteurs. Lorsqu’ils font une ronde, Oscar Caskey, un riche propriétaire de scierie et son domestique noir Bray, secourent une jeune femme, mystérieusement rescapée dans une chambre d’hôtel pourtant inondée. Ils l’emmènent en barque et, malgré le halo d’énigmes qui l’entoure, cette Elinor Dammert venue d’une autre région, se fait peu à peu accepter par la ville. Dans la famille Caskey, c’est d’abord James, cet homme « frappé par le sceau de la féminité » qui se prend d’affection pour Elinor et l’héberge. Marié à Geneviève, une femme alcoolique qui quitte la ville les ¾ du temps, il doit cependant faire face au fort caractère de Mary-Love sa sœur (et mère d’Oscar) qui, d’emblée, n’aime pas Elinor (et elle est la seule). Oscar finit par épouser cette belle étrangère rousse qui étonne par sa vigueur, son rapport particulier à l’eau (elle nage à contre-courant avec la force d’un grand gaillard) et son pouvoir subtil de persuasion. Est-elle un être bienfaisant ou malfaisant, le suspense reste entier…

Peut-on parler de « déception » ? Si je n’avais eu vent de toute la médiatisation de cette saga qualifiée de « phénomène littéraire », je vous aurais dit que c’était une lecture bien agréable sans être incroyable. Evidemment, je m’attendais à un truc énorme et exceptionnellement époustouflant et je fus déçue. Tout ça pour ça… J’ai trouvé ça très court, un peu creux et inconsistant, et le fantastique ne m’a pas particulièrement plu (ce n’est pas non plus mon genre de prédilection) mais c’est bien écrit et très fluide. J’ai apprécié le fait que ce microcosme, que cette petite ville au climat rude (il fait trop froid ou trop chaud ou il pleut des trombes) soit gouvernée par les femmes et que de petites remarques subtiles mais fréquentes renvoient à cette société matriarcale où les hommes semblent seulement semblent gouverner mais sont finalement très faibles, influençables et incapables. Il faut reconnaître que le suspens qui s’appuie sur l’étrangeté et le mystère qu’entourent le personnage d’Elinor happe le lecteur ; reste à savoir si j’ai envie de lire la suite, aidez-moi à me décider, dites-moi ce que valent les tomes 2 à 6 !

(Ma fille m'a dit "Ce livre, on ne le lit rien que pour sa couverture", et c'est vrai !)

Les jours et semaines qui suivirent la crue : « La puanteur ne parut jamais entièrement s'en aller. Même une fois les maisons décrassées de la boue, les murs récurés, de nouveaux tapis étalés, du nouveau mobilier acheté et des rideaux accrochés ; même lorsque tout ce qui avait été abîmé fut jeté et brûlé, que l'on débarrassa les jardins des branches et autres carcasses pourrissantes, et que l'herbe eut commencé à repousser, la ville, aux aguets le soir venu, Découvrez que sous le parfum de jasmin et de rose, sous l'odeur du dîner sur le feu et l’amidon des chemises, elle empestait la crue. »

Les temps ont changé fort heureusement : « Les Blancs n’aiment pas voir des gamines noires quand ils mangent, la gronda Roxie, à moins qu'elles apportent un plat. »

 

Partager cet article
Repost0
12 mars 2023 7 12 /03 /mars /2023 12:16

L'île des âmes - Piergiorgio Pulixi - Gallmeister - Poche - Place des  Libraires

 

J’achète rarement un roman sans rien connaître ni de l’auteur ni du livre… quelle bonne pioche j’ai faite ici !

Sud de la Sardaigne. Une fliquesse, Mara Reis, qui a la langue bien pendue, va devoir faire équipe avec Eva Croce venue de Milan pour d’obscures raisons. Une unité des affaires classées a été créée à Cagliari et les deux femmes que tout oppose doivent collaborer avec un certain Moreno Barrali, un enquêteur à qui il ne reste plus que quelques mois à vivre. La vie et la carrière de ce flic ont été marquées par une affaire non résolue : le meurtre de deux femmes à 11 ans d’intervalle commis selon les mêmes rituels, très proches de la civilisation nuragique, celle d’un peuple de paysans sardes qui s’est adonné au culte de la Déesse-mère puis de celui de Dionysos. A trop vouloir s’obstiner, Moreno en a perdu la santé mais aussi toute crédibilité parmi ses pairs. Lorsqu’une jeune femme, Dolores, est retrouvée sauvagement assassinée selon le même rituel, les enquêtrices vont faire le lien avec les crimes non élucidés mais sur leur parcours, les découvertes macabres vont se succéder, comme si cette affaire était maudite…

Quel roman passionnant !! Sauvage, organique, puissamment sarde, il me semble qu’il pourrait entrer dans la catégorie des « ethno-polars » tant il nous en apprend sur la culture sarde et la civilisation nuragique. Les personnages sont forts et marquants, ils évoluent avec brio dans cette enquête sombre et mystérieuse. Les chapitres courts, la variation des points de vue et les changements de décor permettent de créer un rythme très enlevé. L’écriture est belle et efficace, la poésie de certaines descriptions tranche avec le langage cru de Mara, c’est délicieux. Et puis vivre quelques centaines de pages sur cette merveilleuse île sarde (je n’ai vu qu’une partie du nord, il me tarde d’en découvrir un jour davantage !), quel plaisir ! Pulixi a repris nos enquêtrices préférées pour les placer dans son dernier roman, L’Illusion du mal.


- COUP DE CŒUR -

Eva Croce quitte Milan pour la Sardaigne : « Le tangage du bateau lui évoquait les contractions d'une parturiente. Le clapot des vagues, les gémissements causés par les douleurs. Le souffle du vent, la respiration haletante de la femme sur le point de perdre les eaux. Le battement sourd des moteurs du ferry qui montaient dans les tours, l'augmentation vertigineuse du pouls. Elle sourit, amère. En un sens, c’était ça : cette nuit enveloppante était l'utérus qui la retiendrait encore quelques heures, jusqu'à ce qu'elle accouche d'une nouvelle vie, d’une nouvelle elle. »

« La Sardaigne n'est pas une île. C’est un archipel d'innombrables îlots séparés non par la mer, mais par des langues de terre. Certaines ne sont que de petits atolls, mais chacune a sa propre identité. Parfois même une langue et des coutumes spécifiques. Et les démarcations qui les séparent sont invisibles à l'œil nu. Du moins pour qui n'est pas du coin. Pour tous les autres, elles sont bien perceptibles, car tracées avec du sang en des temps immémoriaux. Des frontières inviolables qui imposent le respect. Parce qu’en certains lieux la mort est plus sacrée que la vie. »

Partager cet article
Repost0
6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 15:55

Malheur Indifferent (Folio) de Peter Handke

Au rayon (très étendu) de mes lacunes, il y a Peter Handke, écrivain, scénariste, dramaturge et réalisateur autrichien, prix Nobel de Littérature 2019.

La mère de l’auteur-narrateur s’est suicidée en 1971, à l’âge de 51 ans. Dans ce court récit, Peter Handke retrace le parcours d’une vie à la fois fade et douloureuse. Née en Autriche dans une époque où la femme ne peut que se taire et s’occuper des tâches ménagères, elle aimerait « apprendre » mais ce désir étant très vite balayé, elle se contente du peu, du moins, voire du rien. Amoureuse du père de Peter, elle ne pourra rester avec lui et devra épouser et supporter un homme violent et alcoolique. D’acceptations en résignations, la vie suit son cours et les quelques plaisirs qu’elle s’octroiera seront vite balayés par des problèmes de santé invalidants. La mère souffre de migraines insupportables, un mal qui ne guérit pas. Son suicide est parfaitement organisé, elle écrit à ses proches, leur envoie son testament, s’apprête pour l’occasion…

L’absence d’émotions surprend d’emblée ; c’est sans pathos aucun que l’auteur raconte sa mère comme il aurait raconté la vie d’un inconnu. Il dissèque tout ce qu’il sait pour essayer de comprendre son acte final … qu’on conçoit aisément. Même au moment de l’annonce du décès, l’indifférence semble dominer, Peter se surprend à penser à autre chose devant le cadavre qu’il veille, il s’ennuie et son esprit divague. Il aimerait aussi faire un objet littéraire de ce qu’il écrit. Il a d’ailleurs attendu quelques semaines pour s’attabler à cette tâche. Et pourtant, la simplicité et la narration froide et objective fonctionnent et permettent de rendre un véritable hommage à la mère disparue, de livrer le portrait d’une femme déjà morte avant de se tuer, d’une vie sans consistance ni appétit. La distance placée entre la mère -d’ailleurs jamais nommée- et son fils rend compte de la pudeur de l’auteur et permet de se faire porte-parole de ce qui a été : une époque, une femme née au mauvais endroit, une pauvreté autant sociale qu’intellectuelle. Evidemment on ne peut pas ne pas songer à L’Etranger de Camus. J’ai beaucoup aimé ce texte fort qui se veut aussi réflexion sur l’écriture mais qui, surtout, célèbre l’effacée, met en lumière une discrète et lutte contre l’oubli.

« Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort. »

« Elle n’était donc rien devenue, elle ne pouvait plus rien devenir non plus. »

« Même ce corps mort me semblait effroyablement abandonné et avide d’amour. »

« Ecrire n’était pas, comme je le croyais bien au début, me souvenir d’une période close de ma vie, ce n’était constamment que prendre cette attitude dans des phrases dont la distance n’est qu’arbitraire. »

« Un jour, le couteau m’a glissé des mains en coupant le pain, il m’est revenu aussitôt à l’esprit qu’elle coupait des petits morceaux de pain dans le lait chaud des enfants le matin. »

 

Partager cet article
Repost0
24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 15:07

Trois questions à Anne Berest (“La Carte postale”, Grasset)

Je crois que c’est parce que j’avais entendu parler l’autrice dans une émission de radio et qu’elle m’avait un peu agacée que je n’avais pas voulu lire ce livre… Erreur que j’ai corrigée, vous voyez bien.

Anne Berest est la maman d’une petite fille qui, en sortant de l’école, lui dit qu’elle a l’impression qu’« à l’école, on n’aime pas trop les juifs ». Cette remarque bouleverse complètement la narratrice-autrice ; dans sa famille, la religion juive n’a jamais été pratiquée ; le mot même revêt une dimension abstraite et assez vide de sens. C’est à ce moment-là qu’elle se souvient d’une carte postale étrange reçue au domicile de sa mère, Lélia, quelques années auparavant et qui n’avait pour texte que les quatre noms « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Les quatre aïeuls morts dans les camps d’extermination pendant la guerre, Ephraïm et Emma les parents de Noémie et Jacques et grands-parents de Lélia. La mère d’Anne lui raconte (enfin) l’histoire tragique morcelée et incomplète, celle d’Ephraïm et Emma, le couple de Russes qui a fui leur pays pour la Lettonie en 1919, avant de rejoindre la Pologne, puis la Palestine et enfin la France où les deux ont toujours tout fait pour s’intégrer et devenir français. L’histoire de Noémie et sa sœur Myriam, toujours complices, brillantes dans tout ce qu’elles entreprenaient, de belles ados avec un avenir radieux devant elle. Et celle du petit dernier, Jacques, qui a dû suivre Noémie lorsque les deux enfants étaient arrêtés pour on ne savait où encore… et pour ne jamais revenir. Après ce retour en arrière émouvant, Anne mène l’enquête, s’interroge sur l’entourage de Myriam la rescapée, notamment sa future belle-famille, les Picabia dont Vincente, cet être beau et très libre qui fera souffrir l’aînée. Anne n’aura de repos que lorsqu’elle pourra retrouver l’auteur de cette carte postale mais aussi retisser les liens entre elle et ses aïeules.

Quelle lecture passionnante ! Plus qu’un roman sur la Seconde Guerre mondiale et la déportation, c’est aussi une réflexion sur l’appartenance à la communauté juive, à la filiation, aux liens ténus tissés par-delà les décennies et donc à la psychogénéalogie. Anne a réussi à mieux se comprendre à travers ce personnage féminin, Myriam, qui lui a laissé en héritage des traits de caractère, des habitudes, une manière de penser. On y croit ou pas, en tous cas l’autrice nous le présente comme une évidence pour elle. Certains passages sont incontestablement poignants et très forts et je crois que c’est le retour des déportés, êtres rachitiques et hagards, accueillis dans ce grand hôtel du Lutetia, qui m’a le plus chamboulée. Deux univers qui se confrontent et ne se comprennent plus, ou plutôt le monde des vivants qui affronte celui qui ne porte plus de nom, qui n’a plus rien à voir avec l’humanité… Le roman raconte les faits avec simplicité et fluidité, il pose parfois des questions essentielles et interpelle les silences. Le silence occupe une place importante dans cette page d’Histoire effarante, un silence parfois contraint, souvent indispensable et évident pour celui qui se tait, douloureux pour celui en quête de réponses. Anne Berest a levé un coin du voile, elle le fait avec sincérité et pudeur, le résultat est magnifique. Et on ne peut s’empêcher de penser à toutes ces familles brisées où le silence n’a pas permis de combler les trous, les manques, les vides. Un roman à lire absolument et un coup de cœur pour moi.

Il se trouve que j’ai déjà lu cette autrice et je l’avais complètement oublié : Recherche femme parfaite.

L’antisémitisme ne date évidemment pas de la guerre mais elle y a trouvé de quoi s’engraisser : « L'exposition débute le 5 septembre 1941, elle a pour fonction d'expliquer aux Parisiens pourquoi les Juifs forment une race dangereuse pour la France. Il s'agit de prouver « scientifiquement » qu'ils sont avides, menteurs, corrompus, obsédés sexuels. Cette manipulation de l'opinion publique permet de démontrer que l'ennemi de la France, c’est le Juif. Pas l’Allemand. L'exposition est pédagogique et ludique. Dès l'entrée, les visiteurs peuvent se faire photographier devant la reproduction géante d'un juif. Des maquettes mettent en scène différents faciès : des nez crochus, des lèvres épaisses, des cheveux sales.

L’administration française a mis des années à reconnaître que Jacques et Noémie étaient morts à Auschwitz : «  on refusait de dire que les juifs étaient déportés pour des questions raciales.  On disait que c'était pour des raisons politiques. Les associations d'anciens déportés obtiendront seulement en 1996 la reconnaissance de « mort en déportation » ainsi que la rectification des actes de décès ».

Partager cet article
Repost0
21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 10:07

L'eau rouge - Jurica Pavičič - Leslibraires.fr

En 1989, en Croatie, dans une petite ville côtière, une famille vit ses derniers instants insouciants : les jumeaux de 17 ans, Silva et Mate, et leurs parents Vesna et Jakov dînent ensemble. Les jeunes sortent mais Silva ne reviendra pas. Jamais. Sa disparition plonge les trois autres membres de la famille dans l’effroi, les hommes partent à sa recherche en parallèle du travail de la police et la mère tombe dans une grande hébétude. Les mois passent et les pistes sont maigres jusqu’au jour où une jeune femme, Elda, se souvient avoir vu Silva le lendemain de sa disparition, à la gare routière, prête à quitter le pays. C’est un beau cadeau pour la famille de savoir que Silva a disparu de son plein gré mais, surtout, est sans doute encore vivante. Mate n’en poursuit pas moins ses recherches et, quelques années plus tard, à l’heure d’internet, il va créer un site pour retrouver Silva, il va continuer à voyager partout où les moindres pistes et indices le mèneront. Et retrouver Elda, la femme qui a vu Silva pour la dernière fois…

C’est un polar totalement réussi qui prend son temps et se laisse goûter doucettement. Ce qui est appréciable, c’est, qu’en plus de l’enquête, du portrait précis et juste qui est brossé des personnages, une photographie de la Yougoslavie puis de la Croatie est faite sur une période allant de 1989 à 2017. Roman noir qui offre la rétrospective d’un pays qui a été communiste, qui a connu la guerre civile, qui est entré dans l’Europe avant de voir le tourisme se développer… et fait un constat plus négatif que positif : simplicité et authenticité ont cédé la place à quelque chose de surfait et d’artificiel, la gangrène a pris. En somme, un roman prenant et intéressant qui a obtenu de belles récompenses amplement méritées ; je recommande vivement !

Le jour des dix-sept ans de Silva, sans elle : « Silva, elle, n’est ni morte ni vivante. Silva a disparu et pour une personne disparue, vous n'allez pas au cimetière, vous ne préparez pas de gâteau. Vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous ne pouvez pas la pleurer, vous ne pouvez pas échanger avec elle ou échafauder des projets. Si Silva p n'avait pas disparu, ils parleraient avec elle de ses études futures, de son permis de conduire, de sa place à la cité universitaire. En lieu et place de Silva vivante, ils ont maintenant une photo d'elle. Vesna l’a placée à un endroit visible, au-dessus de la table de la salle de séjour. Elle l’a placée là comme le rappel constant qu'ils ne sont pas au complet, qu'il leur reste en permanence une tâche à accomplir, un manque à combler. »

« Bien que la nuit soit calme, qu'il n'y ait pas de vent, l'eau n'est pas tranquille. Elle ondule, elle se cabre et vient cogner contre la roche, elle fait des vagues qui s'entrechoquent et s'écrasent contre les parois verticales. C’est le soir. L’eau est d’un bleu foncé. Et d’un coup, de bleue elle devient rouge.  Elle prend la couleur du sang et commence à grossir, comme lors de l’inondation biblique de l’Egypte. Les eaux rouges grossissent et grossissent. »

C'est encore un cadeau de Michaël que je remercie +++ et qui décidément a encore tapé dans le mille !

Partager cet article
Repost0
11 février 2023 6 11 /02 /février /2023 12:33

Chéri, Colette | Livre de Poche

Vous n’ignorez sans doute pas qu’en 2023, on célèbre le 150è anniversaire de la naissance de Colette. Féministe et avant-gardiste, elle a su bousculer son époque. C’était l’occasion pour moi de sortir un de ses romans de ma PAL.

Léa de Lonval, une demi-mondaine, a presque 50 ans mais un amant de vingt-quatre ans de moins, Fred, surnommé Chéri, fils d’une amie, Charlotte Peloux. Et ça fait six ans que ça dure. Chéri doit cependant se marier à Edmée, une très belle jeune fille de 19 ans. Léa vit très bien la chose, Chéri aussi, ils se séparent, ce n’est pas grave, la vie continue. Pas tant que cela, en fait. Léa souffre de l’absence de Chéri et lui, malgré les fastes, le voyage en Italie et la jeunesse de son épouse, s’agace assez vite de cette vie conjugale avec une femme qu’il n’aime pas. Edmée n’est pas sotte au point de ne rien voir. Léa s’occupe comme elle peut mais le manque de Chéri se fait ressentir chaque jour… jusqu’au moment où Chéri lui revient, tout sourire.

Sous des abords légers et sensuels (le roman – presque un huis clos - se passe essentiellement dans la chambre de Léa), l’histoire d’amour tend à évoquer une réflexion sur la différence d’âge et surtout le statut de la femme vieillissante, à quel point peut-elle encore plaire et séduire. Le récit se veut malin parce qu’oscillant sans cesse entre une moralité sévère (la relation est quasi incestueuse, Chéri appelle Léa « Nounoune ») et une liberté de mœurs et une émancipation féminine plutôt jouissives. La fin tranche tout de même, et brutalement, c’est peut-être dommage. La place de la domestique m’a fait sourire, Rose, témoin de tout ou presque et qui doit évidemment rester muette. J’ai en tous cas pris un grand plaisir à lire cette page d’amour, j’en lis si peu.

 

« Ne cherche pas, va, disait bonnement Léa. Oui, tu me hais. Viens m'embrasser. Beau démon. Ange maudit. Petit serin… »

« Un petit éclat de rire étranglé, qu'elle ne put retenir, avertit Léa qu'elle était bien près de s'abandonner à la plus terrible joie de sa vie. Une étreinte, la chute, le lit ouvert, deux corps qui se soudent comme les deux tronçons vivants d'une même bête coupée… »

«  Il s'écarta d'elle pour l'écouter : et elle faillit lui crier : « Remets cette main sur ma poitrine et tes ongles dans leur marque, ma force me quitte dès que ta chair s'éloigne de moi ! »

Partager cet article
Repost0
5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 12:42

84, Charing Cross Road d'Helene Hanff | Carolivre

Le hasard nous réserve de petites surprises bien sympathiques et il se trouve que c’est le deuxième recueil épistolaire que je lis en une semaine (alors que c’est une denrée rare, il faut bien l’admettre). Pour la petite histoire, j’ai choisi ce titre parce qu’à ma bibliothèque, il jouxtait Handke.

Nous avons là un véritable échange de lettres authentiques (amis de la redondance, bonjour) entre l’autrice, Helene Hanff et les employés d’une librairie d’occasion de Londres, Marks & Co, située au 84 Charing Cross Road. Octobre 1949 : une écrivaine fauchée vit à New-York. Elle est tombée sur une publicité vantant les prestations d’une librairie londonienne spécialisée dans les livres épuisés. Et elle se met à commander des livres, on lui envoie, elle réécrit, on lui répond, elle en commande encore et encore. L’échange entre Helene et Frank Doel va s’élargir à d’autres employés de la librairie, à la femme de Frank, à ses filles… Helene va plaire de plus en plus, ses lettres sont attendues d’autant qu’elle envoie régulièrement d’Amérique des colis de nourriture très appréciés en ces temps de crise en Angleterre. Les échanges s’espacent mais ne cessent pas pour autant et cette correspondance va durer de 1949 à 1969.

Quel livre charmant ! Est-ce parce qu’on s’attache d’emblée aux protagonistes ? Ou parce qu’on nous plonge dans une époque de rationnement où il était difficile de trouver des œufs frais ? Ou est-ce cette langue si belle, cette manière courtoise de communiquer qui séduit ? Un peu de tout cela sans doute. Savoir que des livres ont créé un pont entre l’Angleterre et les Etats-Unis, ont permis de nouer des liens forts autour de la lecture, des conseils de lecture, des auteurs tels Jane Austen, Tocqueville, Platon, Kenneth Grahame, Catulle ou Stevenson (ou encore d’autres moins connus) fait soupirer de bonheur. La magie opère, on tourne les pages avec délice, regrettant qu’il n’y en ait pas plus. Sans doute que beaucoup connaissent l’adaptation cinéma de David Hugh Jones avec Anthony Hopkins et Anne Bancroft.

Poster 84 Charing Cross Road (B) 27,9 x 43,2 cm : Amazon.fr: Cuisine et  Maison

« Cher Frank :

Voulais vous écrire le jour où j'ai reçu le Pêcheur, juste pour vous remercier, les gravures à elles seules valent dix fois le prix du livre. Quel monde étrange que le nôtre où on peut posséder une chose aussi belle à vie pour le prix d'un ticket pour un grand cinéma de Broadway, ou pour le 1/50 du prix d’une couronne chez le dentiste !

Enfin, si le prix de vos livres correspondait à leur vraie valeur, je ne pourrais pas me les offrir !

Vous serez stupéfait d'apprendre que moi qui n'aime pas les romans j'ai fini par me mettre à Jane Austen et me suis prise de passion pour Orgueil et préjugé, que je ne pourrai pas arriver à rendre à la bibliothèque avant que vous ne m'en ayez trouvé un exemplaire.

Cordiales pensées à Nora et aux esclaves.

                                               HH »

 

 

 

Partager cet article
Repost0
1 février 2023 3 01 /02 /février /2023 14:20

Les correspondants de Grand Corps Malade et Ben Mazué | MHF le blog

En février 2021, deux amis, Ben Mazué et Grand Corps Malade (Fabien de son prénom), décident de s’écrire. En ces temps de pandémie, les voyages ne sont plus possibles, le « jeu » de s’écrire de vraies lettres les tente bien tous les deux et ils avouent d’emblée qu’il est envisageable d’en faire un livre, un jour. Si le rythme qu’ils s’étaient promis de tenir - une lettre par semaine - n’est pas respecté, ils s’écrivent tout de même régulièrement et abordent divers sujets comme les enfants, les histoires d’amour, les chanteurs connus ou méconnus, leurs idoles respectives, les discours aux Victoires de la Musique, les thèmes des chansons, le foot, la scène, la pandémie, les réseaux sociaux, la notoriété, les concerts côté scène et côté public et leurs débuts. Et finalement, en juin 2022, ça y est, un éditeur veut bien publier leur échange de lettres.

Sans être extraordinaire, ce livre épistolaire procure bien du plaisir. Celui de découvrir de types vraiment bien, humbles et honnêtes, celui de lire une amitié qui ne date pas d’hier et celui de partager un monde et des valeurs. Ce qui est drôle, c’est qu’au bout de quelques lettres, on devine aisément qui écrit, et c’est clairement Grand Corps Malade, le « meilleur remonteur de moral de France » comme l’appelle Ben, qui impressionne par son optimisme, ses indulgences et ses bienveillances. Ben est plus torturé, plus défaitiste mais celui ou celle qui écoute ses chansons (magnifiques) le savait déjà.  Je n’ai pas trouvé ça mièvre ni commercial (même si ça l’est forcément, je ne suis pas naïve non plus) et j’ai pris « plaisir à lire leurs conneries », leurs doutes, leurs joies et leurs moments d’abattement. Le cahier de photos est vraiment appréciable (petit délire assez drôle sur des thèmes de chansons qu’ils pourraient faire, de la moto à la bagarre en passant par l’Australie) mais, plus encore, leurs poèmes inédits et ma préférence va à « La bagarre » de Ben Mazué qui a croisé, un soir, en sortant d’un bar, … la vie :

« Elle s’est approchée sans prévenir et sans un bruit

 Elle m'a caressé la joue comme pour me dire qu'il n'y avait pas de danger

Et presque aussitôt après, presque aussitôt

Elle m’a giflé de toute sa main

Une claque si forte que j'ai senti vibrer mon dos

Une patate de forain

(…)

La règle, ajouta-t-elle, c’est qu’à la fin tu perds,

A la fin je gagne, et à la fin c'est la mort qui te récupère.

Je trouve toujours le chemin, et je ne fais pas de cadeau,

Tu choisiras ton destin, et comprendras que ce qui est beau

Dans cette histoire ce n'est pas de gagner

C'est de faire comme Blanquette,

La fameuse chèvre de monsieur Seguin,

Ôter la corde de son cou, être libre, heureuse, être bien,

Mais surtout,

Accepter de faire face au loup une fois la nuit tombée,

Lutter, tenir, répondre, se bagarrer,

En espérant tenir jusqu’au matin,

Et me laisser gagner. »

 

Fabien : « j'ai eu à ma grande surprise de bonnes facilités à aller vers ce que tu appelles « le poignant », comme si ça me rassurait de me cacher derrière les rimes, comme si je profitais de la Forme pour affronter ce Fond douloureux que j'esquive plus ou moins consciemment dans les discussions du quotidien. »

 

Ben : « Toi, tu m’as montré qu'on peut se livrer sans s'épancher, qu'on peut écouter sans plaindre, on peut se raconter sans impudeur. »

J'ai eu la chance d'entendre ces deux auteurs lire des extraits et parler de leur livre lors des "Bibliothèques idéales" de Strasbourg, une vrai joli petit moment de bonheur !

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2023 4 26 /01 /janvier /2023 12:43

Le Mage du Kremlin - Giuliano da Empoli - Babelio

Le narrateur rencontre Vadim Baranov, ancien bras droit de Poutine, surnommé son « Raspoutine » qui va lui raconter toute son épopée ainsi que les secrets du pouvoir russe et de l’ascension de Poutine. L’argent qui coule à flot, les décisions de Poutine aussi imprévisibles qu’absurdes (Khodorkovski, un milliardaire jeté en prison fera figure de modèle), les habitants qui vénèrent toujours Staline, la guerre en Tchétchénie, le joueur d’échecs Kasparov, le labrador qui faisait peur à Angela Merkel, l’Ukraine et les prémices de la guerre, la manipulation de tout un peuple sont autant de thèmes traités par celui qui a été mis à l’écart de l’entourage de Poutine. Si Baranov (de son vrai nom Vladislav Sourkov) est un peu différente par son éducation et sa culture théâtrale, il accepte bien de contribuer à la montée de ce totalitarisme revisité et on n’arrive pas à le plaindre.

Mon avis est plus que mitigé, j’ai eu du mal à entrer dans l’histoire parce qu’on a un premier narrateur qu’on ne retrouvera qu’à la fin et qui ne me semblait pas essentiel ; parce que tout est froid, fond comme forme, et ne m’a pas parlé (est-ce parce que cet univers m’effraie ?) De plus, si le contenu peut intéresser et instruire le lecteur européen, je m’interroge sur sa fiabilité : l’auteur est un journaliste, c’est ici son premier roman qui, certes, semble documenté mais que réfutent certains spécialistes de la politique russe. Je ne m’y connais pas assez pour trancher mais, finalement, si ça peut apporter un éclairage nouveau sur le dictateur Poutine, pourquoi pas. Pour ce livre-là, démêler le vrai du faux me semble tout de même important et ne pas pouvoir le faire m’a dérangée. Je suis restée indifférente face au contenu lui-même, apprenant beaucoup sans rien apprendre au final …  entre propagande, répressions et mensonges, il offre une photographie de la Russie à partir des années 2000, mais le style de l’auteur - manquant de fluidité - ne m’a pas plu. Rencontre ratée donc pour moi. Je suis contente d’être arrivée au bout du roman … mais finaliste du prix Goncourt ? Je ne me l’explique pas.

« les fonctionnaires ne souriaient jamais en Union soviétique. »

« Les étrangers pensent que les nouveaux Russes sont obsédés par l'argent. Mais ce n'est pas ça. Les Russes jouent avec l'argent. Ils le jettent en l'air comme des confettis. Il est arrivé si vite et si abondamment. Hier il n'y en avait pas. Demain, qui sait ? Autant le claquer tout de suite. Chez vous, l'argent est essentiel, c'est la base de tout. Ici, je vous assure, ce n’est pas comme ça. Seul le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. »

« C'est là que j'ai commencé à soupçonner Poutine d'appartenir à ce que Stanislavski appelait la race des grands acteurs. (…) l’acteur qui se met lui-même en scène, qui n'a pas besoin de jouer parce qu'il est à tel point pénétré par le rôle que l'intrigue de la pièce est devenue son histoire, elle coule dans ses veines »

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Violette
  • : Un blog consignant mes lectures diverses, colorées et variées!
  • Contact

à vous !


Mon blog se nourrit de vos commentaires...

Rechercher

Pages