Il était une fois une maman qui lisait des livres à sa petite fille. Quelques années passèrent et la petite fille alors pré-ado savait lire aussi bien que sa maman, et c’est la série Sauveur & fils, drôle, intelligente, douce et attendrissante qui les tint serrées l’une contre l’autre si souvent. La jeune fille devint jolie jeune femme et les lectures s’espacèrent et par conséquent devinrent encore plus agréables. J’ai eu l’immense joie de co-lire ce roman de Camus avec mon ado de fille, Danaé, 16 ans.
Meursault vit à Alger et vient d’apprendre la mort de sa mère. Il se rend à l’hospice de Marengo et veille son corps, entouré de quelques amis de la défunte. Puis rentre chez lui, reprend son travail, ses habitudes entre un voisin, Salamano qui bat son chien avant de pleurer sa disparition, et Marie, celle qui l’aime et qu’il veut bien épouser. Il n’exprime pas grand-chose notre bonhomme, semble se laisser porter par les événements et les aléas de sa vie. Il voit des copains au bar chez Céleste, il suit le mouvement pourrait-on dire aujourd’hui... au point de participer à un conflit qui ne le regarde pas, celui de Raymond et de deux Arabes. Parce qu’on lui a confié un pistolet, parce que l’Arabe face à lui a sorti un couteau, parce qu’il était aveuglé par la lumière, Meursault a tiré sur l’homme. Puis il a tiré quatre coups sur le corps désormais inerte. Meursault arrêté n’explique pas son acte, ne se repent pas non plus, ... il s’ennuie. Il chasse l’aumônier qu’on lui assigne, réfléchit un peu à cette sentence qu’est la guillotine, un peu à la mort qui l’attend prochainement.
L’absence totale de sentiments de la part de ce narrateur qui vit sa vie comme une succession d’instants subis à la manière d’un robot peu intelligent effraye parfois, fait sourire à d’autres moments : il n’a jamais d’avis tranché, tout lui est égal et les événements glissent sur lui sans que son esprit fasse de quelconques choix. Le style se distingue par sa simplicité, ses phrases courtes voire lapidaires, ce ne sont que des constats et l’auteur se garde bien d’émettre un avis ou de juger son personnage. C’est évidemment un récit déroutant qui exprime déjà (c’est le premier roman de Camus) l’absurdité du monde et la place ridicule de l’homme dans un univers qui le dépasse. Meursault est un étranger pour lui-même dans un monde qui lui est étranger, il ne parle pas la même langue que les autres, ne sait pas réellement se couler dans leur moule (il rejette la religion à quelques heures de sa mort). Ma fille avait parlé du roman au lycée, elle n’a donc pas été tant surprise que ça. Elle a beaucoup apprécié (comme moi) le style de l’écrivain, cette manière d’aller à l’essentiel sans s’encombrer de futilités. On a parfois ri face à l’indifférence totale et l’impassibilité de Meursault (pauvre Marie, quand même !). L’occasion était belle pour ouvrir des discussions multiples et variées sur le regard de l’autre, la peine de mort, la religion, entre autres. J’ai très envie de lire et relire d’autres titres de Camus.
Je participe avec plaisir au challenge Les Classiques c'est fantastique de Moka qui met, ce mois-ci, le XXe siècle à l'honneur. J’aime tellement ce siècle en littérature (et en peinture aussi !) que je proposerai une seconde lecture dans quelques jours.
L'excellente adaptation BD de Ferrandez.
« Aujourd’hui j’ai beaucoup travaillé au bureau. Le patron a été aimable. Il m’a demandé si je n’étais pas trop fatigué et il a voulu savoir aussi l’âge de maman. J’ai dit « une soixantaine d’années », pour ne pas me tromper et je ne sais pas pourquoi il a eu l’air d’être soulagé et de considérer que c’était une affaire terminée. »
Peu avant le crime : « Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étale qu’à midi. C’était le même soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures que la journée n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans un océan de métal bouillant. A l’horizon, un petit vapeur est passé et j’en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n’avais pas cessé de regarder l’Arabe. »