L’île de Jersey. En 1959, un orphelinat abrite des enfants dont personne ne se préoccupe de la situation. Ils vivent dans des conditions déplorables, subissent tous les sévices dont est capable un dominant sur des êtres vulnérables et sans défense. Lily, 8 ans, s’est promis de protéger le Petit, 5 ans. Elle lui évite les brimades, l’emmène écouter les oiseaux et lui permet de garder son âme d’enfant, autant que possible. Lorsqu’il s’agit de le réconforter ou de le rassurer, elle est là, à surpasser ses propres craintes pour épargner le pire. Soixante ans plus tard, la narratrice, une ornithologue, fait un séjour sur l’île avec pour objectif d’en savoir plus sur cet orphelinat dont les enquêtes, depuis sa fermeture en 1986, ont été bâclées. Son père a vécu là-bas mais son cerveau a effacé tous les souvenirs et, vieillard, il est encore sujet à des crises d’angoisse inexplicables ; sa fille veut lui apporter une explication. Découvrant une île où la Nature règne, elle se heurte aux silences de ses interlocuteurs jusqu’à ce qu’elle rencontre deux vieilles sœurs qui travaillaient là-bas et qui, sans remords ni regrets, racontent l’horrible vérité.
Conseillé par Luocine (merci !), ce roman m’a beaucoup plu ; après quelques lectures plus décevantes, il était bon de retrouver une belle plume, un sujet intéressant et un cadre attrayant. Simple, efficace, suave et juste, les louanges ne manqueront pas pour cette dénonciation de la maltraitance des enfants et, davantage, les non-dits des adultes et les silences complices. C’est peut-être la brièveté du livre qui m’a le plus dérangée et frustrée, la révélation finale (prévisible) et le dénouement arrivent trop vite à mon goût même s’ils sont de toute beauté et d’une émouvante délicatesse. L’image de cet ermite, que vient voir Lily régulièrement est assez singulière aussi, d’autant plus qu’Alphonse le Gastelois a réellement existé, il a été accusé de crimes qu’il n’a jamais commis et s’est reclus seul dans l’archipel des Écréhou. Il est indéniable que Lily, « fille de Déméter » pour son attrait pour les oiseaux, les fleurs et les arbres, va rester l’héroïne du roman, admirable et solaire, elle revit des décennies plus tard grâce à ces allers-retours entre passé et présent qui sont si savoureux. Une belle lecture et une autrice dont j’aimerais lire davantage.
« Deux merles chanteurs ont colonisé le peuplier qui s'élève sous les fenêtres de leurs dortoirs et dans les jeunes feuilles duvetées brillent au soleil. Lily se met à siffler avec eux, le garçon ne savait pas qu'elle possédait une si jolie voix d'oiseau. »
La vieille institutrice : « Pour une bigote pétrie de convictions, ces gamins sans religion, ces enfants du péché qui ont forcément hérité des vices supposés de leurs parents sont de la mauvaise graine à redresser. »
Le père qui a passé sa petite enfance à l’orphelinat : « La part manquante de son enfance et ce drame vécu et tu avaient créé chez lui cette fragilité, cette insécurité, ces crises qui le confrontaient à l'abîme du temps et l’avaient régulièrement fait désirer mourir. Du plus loin qu'il s'en souvienne, l'angoisse était présente. Elle venait directement de cet immense vide créé par l'arrachement brutal d'une part essentielle de lui-même, à un âge trop tendre. Mon père, ouvert dès lors à tous les vents, avait été condamné à voir son existence s’écouler en surface. »