Eh non, je n’avais toujours pas lu ce qui semble être devenu un classique des robinsonnades.
Des garçons d’âge différent se retrouvent sur une île déserte suite au crash de leur avion. Ce ne sont que des enfants, certains sont très jeunes, d’autres un peu plus mûrs comme Ralph qui va tout de suite prendre le rôle du chef, assisté de Porcinet, ce petit garçon dodu et myope, pas très courageux mais intelligent et dont les lunettes vont permettre de faire du feu. Jack, lui, rassemble autour de lui les « chasseurs » occupés à chercher de la nourriture. Cette île a tout du paradis : bassins d’eau chaude, températures idéales, recoins gorgés de fruits délicieux, nuages de papillons, étendues de fleurs, eaux transparentes et zéphyrs bien agréables. « On peut rester ici jusqu’à ce qu’on meure » ne sera cependant pas longtemps valable. Ralph a bien conscience qu’il faut maintenir un feu allumé et une fumée assez haute pour attirer les éventuels secours. Mais Jack et ses copains ne l’entendent pas de cette oreille, c’est l’appât de la chasse et du gibier qui va être le plus fort et les enfants vont entrer dans un conflit qui tournera mal... très mal.
J’ai beaucoup aimé cette lecture, plus que je l’imaginais. En plus d’être une robinsonnade avec ses étapes plutôt prévisibles : des règlements à suivre (ou pas), la construction de cabanes, les bagarres, les amitiés créées, la peur d’un monstre, ... elle propose aussi une subtile réflexion sur l’appartenance à un clan, le passage à l’âge adulte, la tyrannie, la barbarie. Disons-le, ces gosses nous fichent quand même sacrément la frousse et certains deviennent vite des sauvages que l’humanité semble avoir quitté. Petite dédicace à Porcinet, ce petit sage précautionneux, affublé de sa conque, symbole de civilisation et de solidarité qui connaîtra la même destinée que lui. Une grande force, plus qu’une force, une violence, est insufflée dans le dénouement bouleversant et tragique qui crée de légitimes suspicions quant au genre humain. Roman classé littérature jeunesse (mon édition le destine à des 5è) qui me paraît ardu et complexe pour des petits, je dirais plutôt que c’est un texte intemporel aux allures de fable, riche, dérangeant et percutant que je suis bien contente d’avoir enfin lu.
J’adore cet incipit qui pose deux enfants que tout oppose sur un bout d’île paradisiaque : "Le garçon blond descendit les derniers rochers et se dirigea vers la lagune en regardant où il posait les pieds. Il tenait à la main son tricot de collège qui traînait par terre ; sa chemise grise adhérait à sa peau et ses cheveux lui collaient au front. Autour de lui, la profonde déchirure de la jungle formait comme un bain de vapeur. Il s'agrippait péniblement aux lianes et aux troncs brisés, quand un oiseau, éclair rouge et jaune, jaillit vers le ciel avec un cri funèbre ; aussitôt, un autre cri lui fit écho : « Hé, attends une minute, dit une voix. » [...] Celui qui parlait sortit à reculons des broussailles et des brindilles s'accrochaient à son blouson graisseux à la pliure des genoux, des épines mordaient sa peau nue et grassouillette. Il se baissa, les enleva soigneusement et se retourna. Plus petit que le blond et très gras, il s'enfonça en cherchant les endroits où poser les pieds et il leva les yeux derrière ses lunettes à verres épais."
Le premier cochon est enfin tué, sa tête devient un totem : " Point d'ombre sous les arbres, mais partout une immobilité nacrée qui enrobait d'irréel la réalité et en effaçait les contours. Le tas d'entrailles formait une masse grouillante de mouches qui bourdonnaient avec un bruit de scie. Gorgées, elles se précipitèrent sur Simon pour pomper la sueur qui lui dégoulinait sur le visage. Elles lui chatouillaient les narines et jouaient à saute-mouton sur ses cuisses. Innombrables, noires et d'un vert irisé. Devant Simon, pendue à son bâton, Sa-Majesté-des-Mouches ricanait."