Découvert en podcast Radio France, ce roman est le premier de l’auteur écrit entre 1911 et 1914 et laissé inachevé.
Karl Rossmann est un jeune ado allemand qui débarque bien malgré lui à New York, exilé de force par ses parents parce qu’il a mis une bonne enceinte. Par un hasard inouï, alors qu’il essayait de prendre la défense d’un soutier, il rencontre son oncle (oui, un oncle d’Amérique), le sénateur Jakob, qui le prendra son sous aile, oh un court instant seulement... Invité chez un homme d’affaires et contraint d’accepter, Karl se verra rapidement renié par son oncle. Livré à lui-même il rencontre deux malfrats de clochards qui lui mangent ses maigres économies. Chance incroyable (oui, encore une fois), il se fait embaucher en tant que liftier, métier où il va cumuler les heures et remplacer des collègues à tour de bras avant de se faire jeter dehors à cause d’un des voyous qui aura refait surface. Ensuite ? il retourne auprès des deux gugusses et d’une cantatrice obèse qui recherche des esclaves pour s’occuper d’elle jour et nuit.
J’ai considéré ce roman comme un roman picaresque (et je pense qu’il a été mis en voix/en scène pour qu’on l’appréhende ainsi) : anti-héros par excellence, Karl aurait plutôt été violé par la bonne qu’il a engrossé, trop naïf, il va se faire avoir par absolument tous les gens qu’il rencontre. Son honnêteté devient un défaut et sa candeur une source de rigolade. Il tente d’apprendre l’anglais, on lui répète sans cesse qu’il faut ôter l’article, puis dans d’autres situations qu’il faut mettre l’article. Dans ce roman d’apprentissage boiteux, l’auteur apporte aussi une vision critique de la société (une remarque très d’actualité sur le fait qu’aux Etats-Unis, peu importe qu’on ait fait des études et qu’on soit intelligent, on peut y arriver quand même ...) et érafle ce fameux « rêve américain ». J’ai beaucoup aimé cette histoire, d’autant plus que cet anti-héros est accompagné d’une voix, une sorte de double plus courageux que lui qui le bouscule, en général, en vain ou le juge : « Raté, Rossmann. » On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer en lisant les mésaventures de Karl. Les épisodes s’enchaînent, le burlesque laisse la place à l’inquiétude, L’Amérique se clôt avec cet étrange théâtre d’Oklahoma qui embauche tout le monde, absolument tout le monde, et avec ce Karl Rossmann qui choisit le pseudonyme de « Negro » et qui se retrouve, une fois de plus, balloté au gré des rencontres (mauvaises) et des aléas (souvent peu heureux) de la vie. Il résulte de tout cela un malaise et une impression pour le lecteur (comme pour le personnage) d’être manipulé par une force supérieure qui se fout de lui. Intéressant.
Le métier de liftier : « toi, tu lèves ton chapeau, tu souris, même aux connards, surtout aux connards et ensuite tu appuies sur le bouton. »
« ne t’en fais pas, on peut contourner les règles, c’est l’Amérique. »
Et je participe ainsi au challenge Les Classiques c’est fantastique dont le thème du mois d’août « Je ne suis pas un héros (ni une héroïne) » colle parfaitement à ce Karl Rossmann (oui, ça collait aussi au thème du mois précédent !)
J'ai continué sur ma lancée en écoutant Le Procès, toujours sur Radio France, et j'ai adoré presque tout autant (je ne le chroniquerai pas) : un homme est arrêté par deux gaillards. Il ne sait pas pourquoi et jamais on ne lui en donnera les motifs, ce qui n'empêche pas une longue descente vers les enfers...
Enfin, j'ai également écouté l'excellent podcast inspiré de son livre, J'irai chercher Kafka de Léa Veinstein qui suit les traces des manuscrits de Kafka après sa mort.