C’est une BD que nous avons choisie ensemble avec ma fille, en librairie, je lui passe l’album qu’elle saura également apprécier, je n’en doute pas.
En janvier 1972, un chauffard se fait arrêter par la police. Pour alléger sa peine, il dénonce une femme qui s’est fait avorter, c’est illégal à cette époque. Les flics débarquent ainsi à l’aube chez Marie-Claire Chevalier, 16 ans, l’arrêtent ainsi que sa mère (pour complicité). Marie-Claire est tombée enceinte et s’est fait avorter par une faiseuse d’ange parce qu’elle a été violée (par le chauffard qui l’a dénoncée), mais il semble que cette information ne soit pas aussi importante que cet article 317 du code pénal qui punit celle qui avorte mais aussi celui ou celle qui l’aide à avorter. Elle risque cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à 100 000 francs d’amende. Cette fois-ci un groupe de femmes comprenant entres autres Gisèle Halimi, Simone Veil, Françoise Giroud va prendre la défense de Marie-Claire et dénoncer tous ces procès abusifs qui ne concernent toujours que des femmes pauvres qui n’ont pas les moyens de se faire avorter à l’étranger ou dans de bonnes conditions. Maître Halimi va s’emparer de cette histoire et l’élever au rang d’exemple. Sa ténacité et le soutien de médecins, de personnalités et de politiciens vont lui donner gain de cause.
C’est le procès Bobigny qui va permettre de légaliser l’avortement trois ans plus tard. L’album met en valeur des femmes fortes qui ont décidé que les choses devaient changer. Il insiste sur ces victimes, toujours des femmes qui n’ont pas de soutien extérieur, qui ne connaissent pas de personne influente et qui se retrouvent parfois dans des maisons maternelles, ces endroits sordides qui gâchent complètement leur vie. L’album est excellent à tous points de vue, les dessins variés participent à l’identification du lecteur (de la lectrice ?) et rendent cette histoire aussi bouleversante qu’injuste. J’ai tout adoré, notamment la fin qui permet de faire converger de nombreux témoignages (homme et femmes, et pour certains, ce n’était pas une mince affaire !) pour aller dans la bonne direction, celle de la dépénalisation de l’avortement. Gisèle Halimi apparaît comme une héroïne mais elle n’était pas seule, la force de ce groupe de femmes repose bien sur la solidarité. Un livre qu’il faut acheter, offrir et faire lire. Nécessaire, primordial, essentiel, indispensable.
--- coup de cœur ---
Le magnifique et si juste et si actuel exergue signé Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
La version « douce » et « sécurisée » d’un avortement ... : « Madame, je vais dilater votre col avec les différentes bougies. Ensuite j'aspirerai ce qui se trouve dans votre utérus après avoir fait le vide dans la bouteille, grâce à la pompe à vélo actionnée par Pierre. »
Simone Veil : « L'oppression de la femme est un des atouts dont dispose la société. Une statistique récente disait qu'il y a 45 milliards d'heures de travail ménager fourni par les femmes, contre 43 milliards d'heures de travail salarié. Il est tout à fait avantageux pour la société d'avoir des femmes qui font cet énorme travail invisible, clandestin, gratuit. Mais pour obtenir que la femme fasse ce travail, il faut la conditionner. Comme il est difficile de la persuader qu'elle a vocation à laver la vaisselle, on a trouvé quelque chose de beaucoup mieux. On exalte la maternité parce que la maternité, c'est la façon de garder la femme au foyer et de lui faire faire le ménage. Dès l'enfance, on dit aux petites filles : « tu seras voué à être maman ». Jeune fille, elle ne pense qu'à se marier et avoir des enfants, on l'a convaincue. Si la femme pouvait au moins planifier les naissances, cela lui laisserait beaucoup de liberté sur tous les plans et elle pourrait se poser en rivale de l'homme professionnellement. Pour éviter que cela se produise, il s'agit donc d'imposer la maternité à la femme contre son gré. Pour cette raison, depuis que la contraception existe, on n'a jamais essayé d'en faciliter la pratique. Chaque année, un million de Françaises se font avorter. La loi n'empêche rien du tout, elle n'a aucune espèce de sens. De temps en temps, on lui donne une apparence d'existence en inculpant quelques femmes, toujours choisies parmi les plus déshérités. On n'a jamais vu une femme de magistrat, de ministre ou de grand industriel assise à la place où sont assises les accusées aujourd'hui. Pourtant, on peut être sûrs qu'il y a autant d'avortements dans ces milieux là que dans d'autres. »
« C’est votre loi qui est coupable. »