Gabriel est un petit garçon qui vit au Burundi avec sa mère originaire du Rwanda et son père qui a quitté, adolescent, les montagnes du Jura. Avec sa sœur Ana, Gaby mène une existence paisible au cœur d’un cocon douillet fait de jeux (parfois cruels), de disputes parentales, d’amitiés juvéniles. Une existence rythmée par une correspondance avec une jeune Orléanaise, des échos lointains de conflits rwandais et des rendez-vous quotidiens avec les copains du quartier dans l’épave d’un Combi Volkswagen. Cette enfance insouciante et joviale est brisée par la guerre, quand les copains veulent devenir des tueurs à leur tour, quand les cadavres jonchent la route, quand l’école est protégée comme un camp militaire, quand les membres de la famille commencent à tomber les uns après les autres, quand la mère de Gaby, rentre un jour à moitié folle d’avoir vu des tableaux d’horreur et de massacres. Il y a donc l’avant et l’après, l’époque heureuse et la période tragique, l’enfance et ce qu’on pourrait appeler la chute dans l’âge adulte.
C’est un roman qui m’a touchée, j’ai trouvé certains passages magnifiques et particulièrement poignants. L’écriture est maîtrisée, le ton est toujours juste, l’ambiance africaine parfaitement retranscrite. Quand on sait que Gaël Faye est né au Burundi, pays qu’il a quitté, lui aussi, en 1995 après le début de la guerre civile, on se doute bien que l’écrivain a puisé dans ses souvenirs pour raconter sa fiction. Je comprends sans mal que les lycéens aient apprécié ce roman d’apprentissage taché de sang et de nostalgie. En sirotant une bière de banane (et en goûtant à ces cornets de termites frits !) parmi les cris de babouins, dans une chaleur sèche et nonchalante, on aimerait pouvoir traverser les rues de Bujumbura, entendre les rires des enfants, sans qu’ait jamais eu lieu ce conflit stupide entre Tutsis et Hutus.
« Pendant que tout le monde discutaillait, j’ai soudain reconnu Calixte dans la foule. Calixte, qui m’avait volé mon vélo… A peine ai-je eu le temps de donner l’alerte qu’il a détalé aussi vite qu’un mamba vert. La ville entière lui a couru après, comme on poursuit un poulet qu’on veut décapiter pour le déjeuner. Dans les provinces assoupies, rien de tel pour tuer le temps qu’un peu de sang à l’heure morte de midi. Justice populaire, c’est le nom que l’on donne au lynchage, ça a l’avantage de sonner civilisé. »
« A ces heures pâles de la nuit, les hommes disparaissent, il ne reste que le pays, qui se parle à lui-même. »
« Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »
Alors que ses copains consacrent leur énergie à se procurer grenades et kalachnikovs : « J’étais trop occupé ces temps-ci à rester un enfant. »
« Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis. »