Pour ceux qui commencent à me connaître, je suis une trouillarde dans l’avion (quel euphémisme !) et j’ai des lectures spéciales phobie-de-l’avion. De tous les romans légers, polars faciles, feel good (que je fuis en général), Le discours remporte la palme puisque j’ai dévoré la moitié du livre pendant le vol !
Adrien, la quarantaine, assiste à un énième repas familial : ses parents, sa sœur, son futur beauf. Adrien vient de se faire plaquer par Sonia, sa compagne… pas exactement « plaquer » d’ailleurs mais elle a dit qu’elle avait besoin d’une pause … qui dure déjà 38 jours. Et puis Ludo, le futur mari de sa sœur, lui demande en passant d’écrire un « petit discours » pour le jour du mariage. Oui mais Adrien n’est pas n’importe qui, il réfléchit à tout ce qu’il fait/dit/peut être dit, il a autant d’assurance qu’une moule de bouchot, il ne connaît ni naturel ni spontanéité, c’est un éternel gaffeur qui est capable de faire une liste de discussions possibles pour un premier rendez-vous (et surtout de la donner par inadvertance à la très chère !!) Présentement, il a donc deux problèmes majeurs à régler : trouver le courage de dire non à Ludo et savoir comment astucieusement écrire un sms à Sonia pour la reconquérir. Tout ça entre un gratin dauphinois et des parents archi ploucs, une sœur qui ne lui a toujours offert que des encyclopédies et un environnement familial fait de mensonges poisseux et de faux-semblants gluants. Va-t-il s’en sortir ?
Si vous avez vous aussi un moment douloureux ou rasoir à passer, une heure dans la salle d’attente d’un médecin, un repas soporifique orchestré tambour battant par un hôte logorrhéique, emportez ce petit livre avec vous. On peut même envisager, hommage suprême, de le glisser discrètement sous une nappe d’une table trop garnie. Ne vous y trompez pas, à côté d’une légèreté à peine feinte, de délicieux néologismes, d’une satire loufoque de la société, se cachent quelques réflexions hautement intellectuelles puisqu’on nous parle de Musil et de Pessoa (bon, un tout petit peu), de Géricault et de son radeau (un peu plus quand même). Et surtout, vous sortirez de cette lecture grandi, supérieur, un brin arrogant et, osons le dire, à quelques encablures de vous sentir tout-puissant, voire superhéros. Ouais, il peut tout ça, ce livre, … attention tout de même : un disgracieux gloussement peut inopinément jaillir de votre gorge à peine déployée, si ce n’est un bon gros éclat de rire.
Je propose de sacrer Fabcaro gourou suprême du rire, de l’irrévérence si bien accouplée à la lucidité !
« Pour ma mère, le monde se divise en trois catégories : : ceux qui ont le cancer, ceux qui font construire et ceux qui n’ont pas d’actualité particulière. Entre ces deux stades, la construction et le cancer, pas grand-chose, une espèce de flottement, une parenthèse, un vide existentiel. Et chaque fois qu’elle cite quelqu’un qui a fait construire, c’est une façon de me dire de manière détournée : Toi Adrien tu n’as pas fait construire, tu es en location, qu’est-ce qu’on a raté avec toi, Adrien ? »
« Depuis trente-huit jours, je soupçonne la pause d’avoir un prénom, je la soupçonne de s’appeler Romain. C’était il y a quelques mois, nous nous étions retrouvés dans une soirée d’anniversaire et il y avait ce type, ce grand brun un peu ombrageux. Il avait attrapé une guitare qui traînait dans le salon, comme ça, nonchalamment, s’était accroupi dans un coin et avait commencé à égrener quelques arpèges mélancoliques, des accords mineurs, de ceux qui pénètrent le cœur sans sommation, on n’a pas le droit d’enchaîner un la mineur et un ré mineur dans une soirée où les filles sont accompagnées de leur conjoint, c’est formellement interdit par les accords de Genève, on ne peut pas. »