Tora, entre enfance et adolescence, vit avec sa mère Ingrid qui ne lui montre que peu d’affection et son beau-père Henrik qui sera pour elle son « péril ». Les trois occupent une partie d’une grande maison qu’abritait « en grand nombre vermines humains et détritus. » En Norvège, dans ce petit village côtier, les hommes vivent de la pêche, le monde est cruel et le quotidien âpre et souvent hostile. Tora prend l’habitude de monter au grenier, là où personne ne la voit pour s’inventer des rêves et une autre vie. Elle ne comprend pas pourquoi elle est rejetée et traitée de « fille de Boche. » Sa tante, porteuse de vérité, lui révèle qu’elle est la fille d’un soldat allemand que sa mère a aimé pendant la guerre. Et cette même tante Rakel se révolte du mutisme de sa sœur : « C’est quand même toi sa mère. C’est à toi de lui expliquer que, dans cette affaire, on s’est tous battus côte à côte et qu’elle n’a pas à avoir honte de celui qui aurait été son père si tout s’était bien passé ! Que le bon Dieu, les hommes et le diable fassent la guerre et autres choses du même genre, ce n’est pas à nous les femmes d’en avoir honte. Ce n’est pas à nous de courber la tête. C’est à nous de voir au-delà des mensonges et des silences, de veiller à nous soutenir mutuellement. » Mais Ingrid se mure dans un silence qui l’enferme dans un monde où elle ne voit pas tout le mal que fait Henrik à sa fille. L’école sauve Tora du gouffre mais aussi l’arrivée d’un garçon laid et sourd-muet, Frits.
A l’image de cette histoire, ce roman d’apprentissage donne un coup de fouet cinglant et glacial, la petite Tora grandira dans des conditions rudes et inacceptables. J’ai eu du mal à entrer dans ce texte qui m’a demandé plus de concentration qu’un autre. Rugueux et sans concession, comme la terre qu’il représente, il est aussi capable d’une grande subtilité quant à la psychologie des personnages. De nombreux passages sont à surligner pour leur puissance et leur justesse. Le roman fait partie d’une trilogie, La Trilogie de Tora ; j’ai jeté un coup d’œil dans le tome 2 et rien que de savoir qu’Henrik fait son grand retour m’a glacée (on avait réussi à s’en débarrasser à la fin du 1er tome). Je ne sais pas si je lirai la suite un jour mais il ne fait aucun doute que Herbjørg Wassmo possède un grand talent pour brosser des portraits féminins (elles sont si fortes par rapport aux hommes dans ce roman !) mais aussi dévoiler un morceau de Norvège. Oui, je lirai sans doute un autre de ses livres.
Première apparition de Frits : « A l’évidence, sa mère avait manifesté plus de goût en l’habillant que le Seigneur en le créant. »
« Elle était un escargot en plein milieu de la route. Il fallait seulement espérer qu’aucune voiture n’arriverait. »
« Ça devait quand même être bien d’être dans la situation de Frits. D’avoir un malheur qui porte un nom. Un nom qui vous permette de suivre votre propre route et qui donne aux gens envie de vous revoir lorsque vous n’êtes pas là. »