Je suis clairement plus chats que chiens. J’ai toujours eu des chats et j’ai longtemps eu une peur bleue des chiens. Puis, à force de côtoyer des chiens souvent énormes qui m’ont paru plutôt très sympas, mon opinion et mes ressentis ont changé. J’en arrive aujourd’hui à me dire que j’aurai un chien, un jour. Donc, ce roman n’était pas forcément une partie gagnée d’avance pour moi.
Une petite annonce dans le journal de sa région, 74, décide le narrateur, Cédric, à adopter un chien. Il va d’abord rencontrer ce petit bouvier bernois (oui c’est un oxymore) et le coup de foudre est instantané. Il lui faudra cependant attendre un mois avant de l’adopter définitivement. La vie avec ce chien appelé Ubac est tout de suite une évidence, un bonheur du quotidien. Cédric emmène Ubac partout, sans laisse, l’aime et le gâte comme un enfant, apprend auprès de lui et s’épanouit un peu plus chaque jour. Il va rencontrer Mathilde qui va aimer Ubac à son tour et deux autres chiens vont s’ajouter à cette famille particulière. Evidemment, la vie d’un chien est courte et, après les immenses randonnées, les visites de routine chez le vétérinaire, les joies de tous les jours, vient le temps des inquiétudes, des maladies, et bientôt sonne la trompette de la mort.
Le pari est réussi, me faire adorer un roman qui ne parle que de chiens(s) ! Dès les premières pages, on s’identifie au narrateur et sa plume, magnifique, élégante, un brin ampoulée, nous emporte dans cette histoire d’amour entre deux êtres vivants. Tout paraît simple, évident et naturel. Pas un instant on ne doute de l’authenticité de cette relation si exceptionnelle entre un homme et son chien, ou entre un chien et son homme. L’écriture est d’une si grande beauté que les thématiques rebattues de fidélité de l’animal, d’enthousiasme, de fiabilité prennent de nouvelles couleurs chez cet auteur fou amoureux de la nature. Car il est aussi question de nature, celle qui est si intimement liée au chien, celle qui émerveille tellement Ubac ; celle qu’il va révéler, transcender et sublimer auprès Cédric. L’arrivée de deux autres chiens ne semble que compléter une osmose déjà lumineuse entre les êtres vivants de cette maison perdue dans les montagnes. Quelle déclaration d’amour, clamée avec des mots nouveaux, avec une vision optimiste sans être mièvre, d’une beauté à couper le souffle ! C’est un COUP DE CŒUR évidemment !
« Surfiler son existence de la présence d'un chien, c'est entendre que le bonheur façonne la tristesse, c'est mesurer comme le manque est mal soluble dans les mémoires aussi vastes et heureuses soient-elles, c’est accepter que chaque minute volatile soit vécue sept fois plus intensément qu’à l’habitude, c'est se cogner à ce séduisant et vertigineux projet de ne saboter aucun instant et de célébrer la vie de manière forcenée. »
« Nous nous regardons, aimantés, sans cligner, et ce jeu d’enfants où le premier baissant les yeux perd la partie, prétexte à tant d’idylles naissantes, débute pour ne s’achever qu’à la seconde où l’un d’entre nous les fermera pour toujours. »
« Ubac s’émerveille de tout, d’une chenille, du vent dans les arbres, de ce qu'on ne voit plus. Il ne laisse rien passer de ce qui pourrait lui animer la vie. Sa faculté à s'émerveiller est un antidote au désenchantement, elle n'exige aucun strass, c'est assez vital en somme, tous les grognons devraient passer une heure avec un chien. Il joue du matin au soir, avec tout et n'importe quoi, un lézard, un bouchon, un être imaginaire. »
« Vivre lui suffit. Un rien lui tient de lieu, d'instant, la constance ne lui rouille pas la vie car elle n'a pas lieu. Ubac porte ce don de faire de toute routine assommante vue de mes yeux capricieux, une expérience aimable et qui rend disponible. Refaire me lasse et lui le convainc. C'est quelque chose que de bien peindre le quotidien flairant çà et là ses menues variations, c'est une élégante attention portée à l'habitude et qui semble rendre le bonheur plus attrapable. Une vie que la tyrannie de l'insolite pourrait juger comme rabaissée aux ambitions petites, Ubac m'apprend qu'elle est en définitive la plus subtile de toutes et que s'acharner à fuir la banalité en est au final la forme la plus aboutie ; alors va pour le tour et le retour des trois rivières, ce traité d'impermanence et le grand bal des vies communes ! »