Le challenge Les classiques c’est fantastique du mois de février s’attaque à la « pile francophone », l’occasion pour moi de découvrir une autrice (et cinéaste) québécoise, nommée « Artiste pour la paix » en 2012. Ce roman, La femme qui fuit, a remporté de nombreuses récompenses en 2015 (mais je ne suis pas sûre que ce soit un « classique » oups)
La narratrice évoque sa grand-mère maternelle, Suzanne Meloche, née en 1926, au parcours particulier puisqu’elle a abandonné ses deux enfants, François et Manon dite « Mousse », respectivement âgés de un et 3 ans. Elle s’est séparée de leur père, Marcel, pour vivre sa liberté qu’elle a voulu totale. Elle a multiplié les conquêtes et les voyages : née au Canada, elle a très vite rejoint Montréal, puis l’Angleterre, puis New-York. Elle a participé au mouvement automatiste avant de se détacher de ce groupe d’artistes pour prendre part à la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, son statut de « nigger lover » lui vaudra un court séjour en prison.
Lorsqu’on démarre la lecture de ce livre, on sent immédiatement une aversion pour cette mère qui, non seulement a abandonné ses enfants mais a refusé de les revoir une fois adultes. Pourtant, lorsqu’on avance dans cette lecture écrite à la 2e personne du singulier, on se rend compte que ce n’est pas tout blanc ou tout noir et que cette femme extra-ordinaire a eu une vie riche et complexe. D’autant plus qu’il est à signaler que, si elle a abandonné ses enfants, le père, Marcel Barbeau, les a abandonnés aussi (évidemment, pour un homme, c’est plus courant). La personnalité de cette femme a toujours été à part, marginale dans un groupe de marginaux, elle s’est attelée à ne s’attacher ni à un homme ni à des principes ni à une terre. Elle a continué, malgré tout, à aimer ses enfants et ce déchirement la rend évidemment plus humaine, presque attachante. L’écriture est absolument sublime, l’autrice magnifie de petits instants de vie, exalte cette relation fille/grand-mère de manière unique et cisèle son texte à la manière d’un orfèvre. Le résultat est assez déroutant, original, les chapitres sont très courts, la poésie s’infiltre partout dans le récit, les références à l’art sont omniprésentes et le tout contribue à garder le lecteur en alerte, happé par cette existence hors du commun axée sur une liberté ... tabou.
COUP DE CŒUR pour cette lecture hypnotique et enivrante !
Dans l’autobus, au moment d’abandonner sa fille, Suzanne observe deux vieillards : « Ils ont traversé la vie sans faire de bruit, en se tenant par la main. Ils ont souri quand il fallait. Ils ont peu pleuré et jamais crié. Ils s'assoient côte à côte comme d'habitude. Leur odeur se confond et ils pensent en choeur à des choses qui ne dérangent personne. Tu ne veux pas mourir comme eux. Ordinaire. Tu prends enfin la main de Mousse dans la tienne et y déposes la promesse brûlante de ton envol. En espérant qu'un jour, elle s'y abreuvera. Mais Mousse a trois ans et c'est dans tes jupes et tes chansons qu'elle existe. C'est dans les fleuves rassurants de ton cou et l'antre de tes bras refermés sur elle qu'elle trouve son souffle. Ce matin-là, sur une route de terre sans fin, tu lui passes la corde au coeur, tu lacères ce qui la relie au monde. »