Il était dit que je poursuivrai ma découverte de Philippe Jaenada après la lecture-révélation de La petite femelle.
Voltaire, le narrateur, est en vacances en famille dans les Pouilles, en Italie. C’est la deuxième année qu’il y vient avec sa femme Oum et son fils Géo. C’est un petit coin agréable, dans une résidence en face de la mer... jusqu’au jour où un incendie se déclare non loin de là. Le nuage de fumée grossit, les flammes apparaissent au loin puis se rapprochent dangereusement. L’inquiétude fait place à la panique. Il faut fuir ! Notre narrateur s’avoue parfois couard et peu altruiste, il pense surtout à lui-même et aux siens. Une flopée de touristes en maillot de bain s’enfuit vers la plage, tente de rejoindre une autre plage, celle de Manaccora, et se retrouve finalement bloquée entre l’incendie d’un côté et la mer de l’autre. Aucun secours n’apparaît, la chaleur et la soif accompagnent l’angoisse, et les gens se résignent peu à peu à se dire que tout est fini.
Comment faire d’un drame une bonne tranche de rigolade ? La réponse est dans ce roman loufoque et irrévérencieux. Bien sûr que ce n’est pas l’intrigue qui compte (même si connaître un incendie de cette ampleur n’est pas sans rappeler certains événements effrayants récents) mais bien la manière dont Jaenada nous la raconte tout en parenthèses et en digressions (il n’a aucun scrupule à utiliser la double parenthèse (un peu comme cela, voilà)). Il en résulte un lecteur qui se demande s’il doit vraiment s’apitoyer sur le sort de ces malheureux coincés entre mer et flammes, qui en apprend surtout un paquet sur le passé d’Oum et Voltaire, ses élucubrations d’ivrogne (tiens donc) à lui, ses innombrables défauts à elle (elle est maniaque, terriblement maniaque (source d’engueulade fréquente dans le couple)). De savoir que Jaenada et sa famille ont véritablement connu un incendie lors de vacances en Italie (4000 touristes évacués tout de même), ça change un peu la donne et force le respect. Alors oui, j’ai préféré La petite femelle, et de loin, mais j’ai pris plaisir à cette lecture - tout bien considéré - légère qui n’est pas sans rappeler Fabcaro dans ses meilleurs jours.
Toute ressemblance éventuelle de l’usage abusif de la parenthèse dans ce billet avec un certain style jaenadien n’est évidemment pas fortuite du tout... (c’est contagieux ! (le pire c’est qu’on aime ça !... enfin peut-être pas tous les lecteurs)).
« Quelques secondes de stupeur brûlante. Un mur de feu avance. Et quand peu à peu, les corps se sont remis à bouger, à errer ou à trépigner, à vaciller de droite à gauche, comme s'ils clignotaient sur leur faim, l'une des dernières couches d'espoir avait disparu. Oum et Géo, pharaons en déroute sous leurs serviettes trempées, se serraient l'un contre l'autre. Je sentais la panique me liquéfier le sang, un mur de feu avance, vite. Quelques femmes ont crié (« No ! No ! ») aussitôt imitées par leurs enfants hoquetants. L'Italien dégarni au tee-shirt à tête de loutre, s'est placé spontanément entre sa famille et l'imposante vague de feu qui se déployait maintenant à moins de deux cents mètres de nous, l'air songeur, mais encore stoïque, semblant prête à s'interposer au moment de l'assaut. »