
Il me tardait de retourner vers cet auteur dont j’ai tellement aimé Sur la plage de Chesil, L’intérêt de l’enfant ou L’Opération Sweet Tooth (et moins d’autres titres que je vais taire).
Alissa, la femme de Roland Baines a disparu. Alors que leur garçon n’a que trois mois, elle a décidé de quitter mari et enfant sans donner d’explications. Roland, poète-pseudo journaliste-pianiste, se débrouille comme il peut mais cet événement va surtout lui donner l’occasion de se remémorer son passé : son enfance en Lybie, sa venue à Londres sans ses parents, sa liaison à 14 ans avec sa professeure de piano, les moments-clés de l’Histoire allant de la crise des missiles de Cuba au confinement des années 2020 en passant par la catastrophe de Tchernobyl et la Chute du Mur de Berlin, entre autres : les événements historiques ont évidemment une résonnance dans la sphère privée des personnages. Des histoires d’amour, des réunions de famille, des concerts de piano, la vie de Roland va s’écouler et nous le quitterons lorsqu’il aura plus de 70 ans.
Ian McEwan est un auteur qui sait se renouveler et surprendre. On sent ici une part de dimension autobiographique (et pour utiliser de beaux poncifs : l’œuvre de la maturité, mais c’est vrai, et il a déjà 75 ans le bougre). Je n’ai pas tout aimé (d’après moi, il y a une centaine de pages en trop, plutôt au début) mais l’intrigue est prenante et l’idée qu’Alissa ne puisse se réaliser dans sa carrière d’écrivain que si elle rompt avec sa famille questionne et mérite qu’on s’y attarde... C’est une femme qui va effectivement être élevée au rang de véritable génie littéraire toujours à distance de sa famille. L’auteur excelle dans la réalisation du portrait de toute une vie, celui d’un homme, avec ses failles et ses qualités, ses erreurs et son passé qu’il ne peut modifier. Ces vies racontées du début à leur fin ont toujours un côté vertigineux et effrayant par leur complexité et leur brièveté. Avec ce retour sur les dernières décennies de l’Histoire de l’Angleterre voire de l’Europe, on ne peut que songer à Jonathan Coe. Les deux écrivains excellent à proposer une vision très juste de notre société par le prisme d’un personnage fictif attachant et complexe. Ici, ce sont aussi les thématiques de l’art, du pardon, de l’éducation, la nature, le deuil, la mise en abyme que j’ai appréciés aussi ... et certains passages sont de pure beauté. A lire si 649 pages ne vous font pas peur...
« Comprends-tu de près ou de loin à quel point dans l'histoire, il a toujours été difficile pour les femmes de créer, d'être artistes, chercheuses, d'écrire ou de peindre ? »
A la mort du père de Roland : « Une pensée terriblement inconvenante. Une libération. Le ciel s'était agrandi au-dessus de lui. Tu n'es plus le fils de ton père. Tu es le seul père désormais. Nul homme devant toi sur le chemin menant à ta propre tombe. Cesse de faire semblant - l'euphorie est aussi approprié que le chagrin. »
On en est sans doute tous là ... : « il songea qu'il n'avait rien appris dans l'existence, et n'apprendrait jamais rien. »
