Il était grand temps que je découvre cet auteur. Un regret ? Ne pas l’avoir lu plus tôt !
Née en 1927, Pauline Dubuisson a grandi auprès d’une mère sans caractère, incapable de tendresse, et d’un père autoritaire qui lui apprend à être forte, impassible, à ne jamais montrer ses sentiments. Mûre très tôt, intelligente, elle se blinde à chaque épreuve, comme on lui a appris. A 11 ans, elle entend son père parler de suicide comme d’un acte « naturel et parfois salutaire », concevable et permis. Son adolescence se fera pendant la 2è Guerre mondiale et son homme d’affaires de père l’incitera à copiner avec les Allemands pour arrondir les angles. Parmi ses premiers amants, il y a ce médecin-chef allemand de 35 ans son aîné. Après son bac, des études de médecine l’emmènent à Lyon en 1947 puis à Lille où elle rencontre Félix Bailly, un beau jeune homme qu’elle initie à l’amour et à la sexualité. Indépendante, elle refuse de se marier avec lui car, à l’époque, ça signifie mettre une croix sur sa carrière de médecin au profit des enfants, du ménage, du linge. Elle aura d’autres amants avant de comprendre que c’est tout de même Félix qu’elle aime. Pourtant, ayant eu vent de ses infidélités, il la quittera pour se fiancer avec une certaine Monique, bien plus pure et innocente que Pauline... Cette dernière ne s’en remet pas, elle est désormais sûre d’aimer profondément Félix, et, rejetée par lui (en partie seulement parce que pour passer une nuit avec elle, il ne dit pas non), elle voudra mourir. Le moment du drame tourne en tragédie en mars 1951 puisque Pauline, au lieu de se tirer une balle dans la tête devant Félix, retourne l’arme contre le jeune homme et le tue en trois coups. La presse et l’opinion publique vont alors se liguer en une véritable cabale anti-Pauline la traitant de menteuse calculatrice, d’« orgueilleuse sanguinaire », de « monstre » qui a toujours eu "le diable au corps". Mal défendue lors d’un procès honteusement truffé de mensonges, elle tente en vain de se suicider puis totalisera neuf ans d’emprisonnement et de travaux forcés dont elle pourra réchapper grâce à sa conduite exemplaire, en 1960.
Jaenada revêt la robe d’un avocat redoutablement efficace et convaincant. Par un travail de documentation de fourmi génialissime, il revient sur chaque épisode de la vie de Pauline sans chercher à modifier la vérité, sans inventer quoi que ce soit mais il faut admettre que ses commentaires – nombreux – tombent toujours justes et amènent le lecteur à la réflexion. Pauline a fricoté avec de jeunes Allemands pendant l’Occupation ? Oui mais il n’y avait qu’eux pour des adolescentes françaises en mal d’histoire d’amour. Pauline se montre insensible et froide ? Son père l’a éduquée ainsi. Au-delà de cette enquête absolument passionnante (au-delà de l’histoire de Pauline, ce sont des injustices réservées aux femmes qui sont décrites), je découvre aussi le style de ce romancier un peu fou. Par une écriture survoltée, excessive, frisant l’absurde, l’auteur innove en matière de comparaisons loufoques, il s’adonne aux longues phrases mais, surtout, surtout, il est le maître des parenthèses et des digressions. Comme un randonneur qui dévierait souvent de son parcours initialement prévu, il s’éloigne de son sujet mais y revient toujours, plus fort de ses courtes escapades. Philippe Jaenada se dévoile sans fard et sans pudeur, il met beaucoup de lui (de sa femme, de son fils) dans son roman. Défenseur de la condition féminine pour une époque où être femme ou animal la différence était minime, il consacre toute son énergie à cette femme éminemment féministe, indépendante, libre. C’est drôle, intelligent, délicieux à lire (malgré les 720 pages) Que dire de plus ? J’ai adoré de bout en bout, ce fut une belle révélation, n’ayons pas peur des mots. Merci au généreux prêteur 😉
« Plus je m’enfonce l'histoire de Pauline, plus je suis consterné (c'est peu dire, j'en rêve presque toutes les nuits et me réveille en sueur et sur les nerfs) par tout ce qu'on a prétendu ou affirmé sur son compte dans le but de l'éliminer, à coup sûr de la société.) »
La demande en mariage de Félix : « Ça doit la déconcerter, Pauline. La toucher aussi, je suppose, mais la laissée pantoise. Ce garçon est impulsif. Soit il s'en veut d'avoir fauté, de les avoir souillés tous les deux, et son sens de l'honneur lui ordonne de réparer sur-le-champ ; soit il respecte son plan de carrière conjugale : la première est la bonne, ce qui est dit est dit, soit, et c'est ce que je crois, ce qu'il a vécu la veille est une telle révélation, un bouleversement sentimentalo-sensuel, si intense et profond qu'il est persuadé de se trouver face au grand amour qui n'arrive qu'une fois dans une vie, comme en poussin qui voit une chèvre en sortant de son œuf croit que c'est sa mère. »
« Voilà, la petite femelle est en cage. Dehors, on va pouvoir s’en donner à cœur joie, elle va comprendre sa douleur, c’est parti mon kiki. C'est maintenant que vieux messieurs et dames aigries vont passer à l'action. »
Je participe encore une fois avec plaisir au challenge Pavés de l'été de La petite liste.
mais aussi au Challenge Les épais de l'été, organisé chez Dasola par ta d loi du ciné