Je crois que c’est parce que j’avais entendu parler l’autrice dans une émission de radio et qu’elle m’avait un peu agacée que je n’avais pas voulu lire ce livre… Erreur que j’ai corrigée, vous voyez bien.
Anne Berest est la maman d’une petite fille qui, en sortant de l’école, lui dit qu’elle a l’impression qu’« à l’école, on n’aime pas trop les juifs ». Cette remarque bouleverse complètement la narratrice-autrice ; dans sa famille, la religion juive n’a jamais été pratiquée ; le mot même revêt une dimension abstraite et assez vide de sens. C’est à ce moment-là qu’elle se souvient d’une carte postale étrange reçue au domicile de sa mère, Lélia, quelques années auparavant et qui n’avait pour texte que les quatre noms « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Les quatre aïeuls morts dans les camps d’extermination pendant la guerre, Ephraïm et Emma les parents de Noémie et Jacques et grands-parents de Lélia. La mère d’Anne lui raconte (enfin) l’histoire tragique morcelée et incomplète, celle d’Ephraïm et Emma, le couple de Russes qui a fui leur pays pour la Lettonie en 1919, avant de rejoindre la Pologne, puis la Palestine et enfin la France où les deux ont toujours tout fait pour s’intégrer et devenir français. L’histoire de Noémie et sa sœur Myriam, toujours complices, brillantes dans tout ce qu’elles entreprenaient, de belles ados avec un avenir radieux devant elle. Et celle du petit dernier, Jacques, qui a dû suivre Noémie lorsque les deux enfants étaient arrêtés pour on ne savait où encore… et pour ne jamais revenir. Après ce retour en arrière émouvant, Anne mène l’enquête, s’interroge sur l’entourage de Myriam la rescapée, notamment sa future belle-famille, les Picabia dont Vincente, cet être beau et très libre qui fera souffrir l’aînée. Anne n’aura de repos que lorsqu’elle pourra retrouver l’auteur de cette carte postale mais aussi retisser les liens entre elle et ses aïeules.
Quelle lecture passionnante ! Plus qu’un roman sur la Seconde Guerre mondiale et la déportation, c’est aussi une réflexion sur l’appartenance à la communauté juive, à la filiation, aux liens ténus tissés par-delà les décennies et donc à la psychogénéalogie. Anne a réussi à mieux se comprendre à travers ce personnage féminin, Myriam, qui lui a laissé en héritage des traits de caractère, des habitudes, une manière de penser. On y croit ou pas, en tous cas l’autrice nous le présente comme une évidence pour elle. Certains passages sont incontestablement poignants et très forts et je crois que c’est le retour des déportés, êtres rachitiques et hagards, accueillis dans ce grand hôtel du Lutetia, qui m’a le plus chamboulée. Deux univers qui se confrontent et ne se comprennent plus, ou plutôt le monde des vivants qui affronte celui qui ne porte plus de nom, qui n’a plus rien à voir avec l’humanité… Le roman raconte les faits avec simplicité et fluidité, il pose parfois des questions essentielles et interpelle les silences. Le silence occupe une place importante dans cette page d’Histoire effarante, un silence parfois contraint, souvent indispensable et évident pour celui qui se tait, douloureux pour celui en quête de réponses. Anne Berest a levé un coin du voile, elle le fait avec sincérité et pudeur, le résultat est magnifique. Et on ne peut s’empêcher de penser à toutes ces familles brisées où le silence n’a pas permis de combler les trous, les manques, les vides. Un roman à lire absolument et un coup de cœur pour moi.
Il se trouve que j’ai déjà lu cette autrice et je l’avais complètement oublié : Recherche femme parfaite.
L’antisémitisme ne date évidemment pas de la guerre mais elle y a trouvé de quoi s’engraisser : « L'exposition débute le 5 septembre 1941, elle a pour fonction d'expliquer aux Parisiens pourquoi les Juifs forment une race dangereuse pour la France. Il s'agit de prouver « scientifiquement » qu'ils sont avides, menteurs, corrompus, obsédés sexuels. Cette manipulation de l'opinion publique permet de démontrer que l'ennemi de la France, c’est le Juif. Pas l’Allemand. L'exposition est pédagogique et ludique. Dès l'entrée, les visiteurs peuvent se faire photographier devant la reproduction géante d'un juif. Des maquettes mettent en scène différents faciès : des nez crochus, des lèvres épaisses, des cheveux sales.
L’administration française a mis des années à reconnaître que Jacques et Noémie étaient morts à Auschwitz : « on refusait de dire que les juifs étaient déportés pour des questions raciales. On disait que c'était pour des raisons politiques. Les associations d'anciens déportés obtiendront seulement en 1996 la reconnaissance de « mort en déportation » ainsi que la rectification des actes de décès ».