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24 novembre 2023 5 24 /11 /novembre /2023 14:06

Journal d'un scénario : que disent les 9 avis scannés sur le web du roman  de Fabrice Caro ?

Il ne faut jamais dire « jamais » n’est-ce pas... Alors que je ne voulais vraiment pas lire ce roman (un peu lassée par le style Fabcaro), un mot d’une amie a suffi pour me faire changer d’avis...

Boris a écrit le scénario d’un film intitulé Les servitudes silencieuses qui vient d’être accepté par un producteur. Ce virage très positif dans sa vie est l’occasion pour lui de se confier à un journal. Il y raconte son projet de film : une histoire d’amour et de rupture entre un homme (il voit très bien Louis Garrel dans le rôle) et une femme (si ça pouvait être Mélanie Thierry), quelque chose d’épuré, poétique et un peu intellectualisé. Le producteur lui demande de réfléchir au choix trop élitiste du noir et blanc ; certes, Boris admet que la couleur peut avoir des qualités. Comble de chance, Boris rencontre une professeure de cinéma, Aurélie, à qui il raconte avec plaisir qu’il va faire un film avec Garrel et Mélanie Thierry (oui, il met la charrue avant les bœufs). Finalement, le producteur toujours aussi enthousiaste lui permet de rencontrer un ponte de M6, très excité par le projet aussi mais qui verrait plutôt Kad Merad dans le rôle d’Ariel, le protagoniste du film. Douche froide pour notre Boris... qui rebondit quelques jours plus tard et accepte le changement d’acteur sans révéler la vérité à Aurélie, toujours plus éprise. Il va modifier son scénario et, après cette désillusion, trouve le résultat plutôt intéressant. De déceptions en revirements, le scénariste va voir son projet initial se déliter pour devenir un film complètement différent de ses projets et de ses rêves.

Que dire que dire ?... ça se lit très vite, c’est divertissant, reposant même. Les 70-80 premières pages (le livre n’en compte que 189), on attend le moment-clé, le passage drôle, on devine la suite pour ce menteur qui se dégonfle face aux diktats de son producteur, qui n’ose dire à son meilleur ami que les affiches proposées par son fils sont nullissimes, qui redore son blason et sauve les meubles comme il peut avant de couler. Et puis le passage drôle n’arrive pas vraiment, on cherche encore l’acmé qu’on devine plus ou moins dans les parties du scénario imposées à Boris qui n’aura plus grand-chose à dire du tout. Fabrice Caro s’est fait plaisir en montrant qu’il était un cinéphile averti puisque les références aux films culte sont nombreuses, il s’est aussi fait plaisir en écrivant un morceau de scénario (qu’il espérait, il le dit en interview, poétique – j’aurais tendance à dire pathétique et parodique). La dénonciation du nivellement par le bas du cinéma où la part de liberté semble archi restreinte apparaît gros comme une maison à chaque instant mais là où j’aurais dû rire, j’ai à peine souri. J’aurais donc dû me fier à mon instinct premier et éviter cette lecture (qui n’a pas été désagréable non plus, je le répète).

Le fils de son pote, Julien, ne cesse d’envoyer des propositions d’affiches de film : « Message de Jujulafrite. Toujours pas un mot. Pièce jointe Essai 6. Il a fait une tentative d'affiche dessinée. Comme celles d'Alain Resnais, réalisées par Floc’h. Mais Julien n'est pas Floc’h, il n'a même pas la moindre disposition pour le dessin. J'ai l'impression d'être face à un de ces tatouages de Johnny Hallyday sur le bras épais d'un motard sexagénaire. Louis Garrel (je suppose que c'est lui) ressemble à s'y méprendre à Bernard Ménez, jeune. Julien me fait prendre conscience du fait que, à quelques dixièmes de millimètres près, on peut être soit Louis Garrel soit Bernard Ménez. À quoi tient la vie. Mélanie Thierry est méconnaissable, si ce n'est par ses cheveux blonds et ses yeux Bleus, animés d'ailleurs d'un étrange strabisme divergent. Les servitudes silencieuses avec Bernard Ménez et Jean-Paul Sartre. »

Le discours (que j'ai beaucoup aimé) et Broadway (un peu moins). 
Quelques BD : La clôture, On n'est pas là pour réussir, Z comme don Diego, moins connus que Zaï zaï zaï zaï.

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20 novembre 2023 1 20 /11 /novembre /2023 15:17

L'enragé - Sorj Chalandon - Grasset Et Fasquelle - Grand format - Paris  Librairies

Sorj Chalandon est un de mes auteurs fétiches et j’ai tout lu de lui. Ma déception a été immense à la lecture d’Une joie féroce et moindre pour Enfant de salaud... mais je n’avais toujours pas retrouvé l’écrivain que j’aimais tant. Mes attentes étaient donc bien grandes.

Belle-Île, août 1934 : cinquante-six garçons s’échappent de la « Colonie », ce bagne pour enfants qui s’évertue à les rabaisser, les humilier, les exploiter, les maltraiter. Jules Bonneau, surnommé La Teigne, fait partie des pires aux yeux des surveillants. C’est pourtant celui qui aura le plus de chance et l’unique évadé qui parviendra à ne pas être retrouvé, secouru par un généreux pêcheur, Ronan. Une battue a été organisée pour retrouver ces petits brigands et les brimades qui suivirent furent encore plus terribles que celles qu’avaient déjà subies les enfants. Jules est sauvé puis recueilli par Sophie et Ronan qui, semble-t-il, cachent eux-mêmes un secret. Jules va devenir mousse et pêcher la sardine mais il s’agit de ne pas se faire reconnaître et bientôt, trop de personnes sauront la vérité pour que la vie devienne un long fleuve tranquille...

Oui, j’ai aimé cette histoire très romanesque et très romancée inspirée d’un fait divers bien véridique : cet enfant qui n’a jamais été retrouvé et surtout ce bagne inhumain qui n’a fermé ses portes qu’en 1977. Dans le premier tiers du roman, le lecteur accompagne ces malheureux, orphelins la plupart, petits voleurs pour certains, tous humiliés dans les pires conditions de vie. Lors de cette spectaculaire évasion, 20 francs ont été offerts par enfant retrouvé et les touristes de l’île s’y sont mis aussi, cette « chasse à l’enfant » dénoncée par Jacques Prévert dans un de ses poèmes ne pouvait que mal terminer. En effet, avec ses dix-sept kms de long et ses neuf de large, l’île a été leur seconde prison. Seul Jules a pu s’en sortir. Entre la figure de l’ange et celle du diable, il va nous emmener dans le foisonnement de cette époque particulière : les communistes affrontent les fascistes, le nazisme commence à se faire entendre dans les esprits encore sacrément étriqués où une faiseuse d’anges est une criminelle, les femmes des êtres inférieurs. J’ai beaucoup aimé à la fois l’intrigue tournant autour de cet adolescent mais aussi le contexte spatio-temporel, ce huis-clos dans une période coincée entre les deux guerres. On ne peut que songer au poème de Victor Hugo « Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? » : avec une tendresse comparable à l’humanité de l’auteur des Misérables, Sorj Chalandon donne vie à ces enfants oubliés et meurtris et fait du 56è évadé une belle figure de héros. C'est un roman fort, noir, touchant et prenant.

Lorsque les colons quittent leur bagne, les habitants de l’île peuvent assister à cet étrange défilé : « Il s'est mis en marche, frappant le sol d’un pas de parade. Derrière lui, Le Goff et Le Rosse montaient à l'assaut et nous les suivions au soleil en balançant les bras. Une armée de vauriens. J'avais pris ma sale gueule. Béret enfoncé, blouses fermées, brodequins cirés. Pour traverser la ville, on fronçait les sourcils, mâchoires serrées et lèvres méprisantes. C'est nous, les colons de Haute-Boulogne. Nous qui détroussons les riches, qui pillons leurs logements, qui volons la barque du pêcheur. C'est nous la mauvaise herbe. Le chiendent. La vermine. Cachez vos filles, vos porte-monnaie, vos bijoux mesdames. Le pire de l'humanité défile dans votre ville. »

« Je voulais que ma mère soit là aussi. Je n’avais pas été assez important pour elle, je voulais qu’elle ait enfin peur pour moi. »

« J’avais horreur des forts comme des faibles. Surtout des faibles. Dans son livre sur la colonie, le journaliste avait voulu faire chialer le populo avec des histoires d'orphelins, de fils du divorce, de gamins abandonnés par leur marâtre, de resquilleurs de train, de vagabonds ou de voleurs de pain. Il y en avait ici, mais je ne l'ai pas de ceux-là. Je n'avais que faire de la pitié ou de la bonté. Seule ma vie, seule ma gueule. Seule mon ombre à moi sur le mur d'enceinte, qui essaye de grimper jusqu'aux tessons de bouteille pour rejoindre les goélands. »

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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 11:28

Le baron perché de Claire Martin

-     D’après Italo Calvino    -

Le Baron perché est un de mes romans préférés (écrit par un écrivain qui est placé haut dans mon panthéon personnel).

Côme, jeune aristocrate, décide de se rebeller contre son père pour une histoire d’escargots à manger en restant perché au somment d’un arbre. Nous sommes au XVIIIè siècle et la riche demeure familiale est entourée d’une petite forêt. Côme ne redescend pas et ne redescendra jamais sur la terre ferme. Aidé par son frère Blaise qui lui apporte des vivres, il se fabrique une cabane, apprend à chasser, suit ses cours de latin et de catéchisme assis sur une branche. Au fil des années, il va faire des rencontres plus ou moins heureuses, va même s’intégrer dans une communauté espagnole condamnée à vivre dans les arbres. En aidant les villageois à chasser le loup ou encore à anticiper les incendies lors des étés de sécheresse, Côme va regagner la confiance et la fierté de son père. Les années passent et il assiste à distance à la mort de son père puis à celle de sa mère. Mais surtout, il se nourrit des lectures du Siècle des Lumières qui le représente si bien, à lui tout seul.

Qu’il était agréable de retrouver cet univers de perché (dans tous les sens du terme), qu’il fait bon vivre tout là-haut, au-dessus du commun des mortels. Ce qui s’apparente au début à un caprice deviendra un vrai choix de vie, critiqué ou approuvé, parfois imité, jamais égalé. Le lecteur lui-même ne sait pas trop s’il doit envier Côme ou le plaindre. Si on retrouve l’esprit de l’essentiel du roman, si la trame est respectée, j’ai trouvé l’approche trop enfantine, j’ai perdu la poésie de l’écriture si belle d’Italo Calvino, ses mots ne sont que résumés, simplifiés, édulcorés ; c’est regrettable. Evidemment, comme souvent pour les adaptations BD, il vaut mieux découvrir l’univers du Baron perché par ce biais-là que pas du tout mais il est largement préférable de lire le sublime roman de l’Italien.

Je ne résiste pas à l’envie de reprendre un extrait du roman (où le frère est le narrateur) : « Ces premières journées de Côme dans les arbres n'avaient aucun programme défini ; tout était subordonné à son désir de connaître et de posséder son royaume. Il aurait voulu l'explorer jusqu'à ses confins extrêmes, étudier toutes les possibilités qu'il lui offrait, le découvrir, arbre après arbre, branche après branche. Je dis : il aurait voulu, mais en fait, nous le voyions continuellement repasser au-dessus de nos têtes, avec l'air affairé et rapide des animaux sauvages qui, même quand on les voit immobiles et ramassés sur eux-mêmes, sont toujours prêts à bondir en avant. Pourquoi revenait-il dans notre parc ? À le voir tournoyer de platane en yeuse dans le rayon de la lunette de notre mère, on aurait cru que la force qui le poussait, sa passion dominante, restait sa révolte contre nous, le désir de nous faire de la peine ou de nous mettre en rage (je dis nous parce que je n'étais pas encore arrivé à comprendre ce qu'il pensait de moi : quand il avait besoin de quelque chose, on aurait dit que son alliance avec moi ne pouvait être mise en doute ; d'autres fois, il volait au-dessus de ma tête comme s'il ne me voyait même pas.) »

Le baron perché de Claire Martin

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13 novembre 2023 1 13 /11 /novembre /2023 07:19

L'Alphabet du silence - Delphine Minoui - Leslibraires.fr

Ayla, professeure de français, vit à Istanbul avec sa petite fille Deniz et son mari, Göktay. La vie tranquille de la petite famille bascule le jour où Göktay se fait brutalement arrêter dans leur appartement. Pour quelle raison ? Parce qu’il a signé une pétition de paix, visant notamment à protéger les Kurdes ; nous sommes en janvier 2016. Ayla tente tant bien que mal à continuer à vivre, elle rend de courtes visites à son mari désormais en prison, élève comme elle peut sa fille toute seule, assiste à la lente dégradation de son pays. Les attentats se multiplient, associés à un besoin de glorification d’Erdogan, le peuple se divise entre les pro-Erdogan et les rebelles, et les mensonges de part et d’autre s’accentuent. Ayla commence à sortir la tête de l’eau lorsqu’elle rencontre un groupe de dissidents pacifistes qui imaginent des maisons de la culture secrètes, inventent des universités clandestines au fond d’un restaurant, dans une ancienne supérette, créent une chaîne YouTube pour évoquer les droits de l’Homme ou pour raconter l’histoire des Kurdes. L’espoir renaît alors pour Ayla, accru par le procès de Göktay des mois plus tard. Elle aussi va se mettre à combattre

Par le biais du roman, Delphine Minoui dépeint la situation d’un pays, la Turquie, qui glisse lentement mais impitoyablement vers une « République de la peur » ou, pour être plus claire, vers une dictature pure et dure. Dans ce pays où poussent les centres commerciaux les plus laids mais aussi de plus en plus de mosquées, la liberté est en danger mais la résistance s’organise de manière spontanée et joyeuse. Dans ce magnifique roman, le prisonnier Göktay, après avoir mené une grève de la faim, entreprend de dessiner les traces et les plis laissés par son corps dans les draps, ce processus fait partie de cet « alphabet du silence », des regards, un air fredonné, un dessin peuvent résonner autant sinon plus que les mots qui valent parfois une arrestation. Un grand coup de cœur pour ce livre à la fois intense et émouvant, engagé et salvateur, édifiant et empli de poésie. Delphine Minoui a l’art d’interpeller les consciences, de nous amener à suivre ces parcours de vie atypiques, de nous faire voyager dans son pays d’adoption qu’elle connaît bien puisque cette journaliste spécialiste du Moyen-Orient y vit depuis 2015 après avoir vécu pendant dix ans en Iran. J’ai vu l’Istanbul de 2006, comme je me languis d’y retourner !

C’est ma 2è découverte de l’autrice que j’avais déjà beaucoup appréciée dans Les Pintades à Téhéran.

Ayla apprend qu’un assistant-chercheur, persécuté, lui aussi, s’est suicidé : « Si elle n'avait pas Deniz, elle aurait pu être cet homme. Ce solitaire qui abandonne la vie. Elle l'imagine. Ses deux bras vers le ciel. Ses ailes qui se brisent en plein vol. Parce que c'est ça, aussi, ce à quoi les professeurs et leurs familles sont condamnés : l'appel du néant, puisque, aux yeux du pouvoir, ils ont cessé d'exister. Des parias de la société, qu'on arrête, qu'on licencie, qu'on assigne à une retraite anticipée. Qu’on radie de la Sécurité sociale et des allocations chômage. Ceux dont les bureaux sont placés sous scellés. Ceux dont les badges ont été déconnectés. Ceux qu'on fait disparaître des registres des universités et dont on ferme subitement les boîtes mail. »

Quand Göktay tend à sa femme les dessins de ses plis de la nuit, des empreintes de son corps sur les draps : « Ayla étudie un à un les dessins, émue par ce qui ressemble à une nouvelle langue, à la fois fragile et audacieuse. Ses doigts caressent les traits ébauchés, suivent les courbes, accompagnent leurs trajectoires. Elles ont la nervosité d'un muscle et la mélancolie d'une fleur fanée. Il y a dans ces tracés toute la puissance des non-dits, tout un silence, qui bruisse de mots absents. Elle y devine la main d'un homme qui a perdu la force d'écrire, mais qui invente un vocabulaire singulier dont lui seul détient les codes. L'ébauche d'une renaissance. »

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9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 10:08

On dirait des hommes - Fabrice Tassel

       Thomas a perdu son fils de 10 ans, Gabriel, noyé sous ses yeux, un jour de tempête, alors que le garçon butait sur un anneau d’amarrage. Il tente, des mois plus tard, de vivre avec – de survivre à cet accident tragique avec sa femme Anna. C’est à la juge d’instruction Dominique Bontet qu’on demande de clore le dossier. Pourtant, elle se refuse à le faire, sans trop pouvoir l’expliquer. En parallèle, c’est Iris qui vient porter plainte contre son mari qui la bat et l’humilie au quotidien ; pourtant, comme elle donne des coups elle aussi, la juge cherche à en savoir plus sur cette famille en souffrance.

       Deux familles liées par un personnage central, cette femme juge, humaine et faillible elle aussi. Le voile est levé très doucement sur des mensonges, des apparences qui ne reflètent pas la réalité. C’est avec beaucoup de sensibilité que l’auteur évoque les différents parcours : celui de Thomas qui n’a jamais vécu comme il l’aurait souhaité mais demeure très amoureux de sa femme, celui d’Anna qui est, depuis des années, restée dans l’ombre de son mari puis dans celui de son fils sans jamais véritablement penser à elle. Dans cet excellent roman noir psychologique d’une grande sensibilité, la tragédie de la mort d’un enfant soulève les coins obscurs de vies frustrées, elle gratte là où ça fait mal et fait la part belle aux femmes, ce trio Anna-Dominique-Iris. Je me suis glissée dans ce roman sans vraiment en être sortie encore, charmée par l’écriture, happée par la tension omniprésente et ce dénouement qu’on ne devine pas avant les dernières pages. C’est un de mes romans préférés de cette rentrée littéraire et j’en fais un coup de cœur.

« Que faire de cette histoire « Gabriel Sénéchal », par exemple, dont le petit visage, en première page du sous-dossier orange rangé dans le dossier bleu, est illuminé par un rayon de soleil ? Onze mois, déjà, que ce garçon de dix ans s'est noyé dans le port alors qu'il se promenait avec son père. Ce soir-là, un samedi, Dominique était la magistrate de permanence et avait été immédiatement appelée sur les lieux par les gendarmes, eux-mêmes avertis par le père. « On aurait dit qu'il venait de voir la fin du monde », avait lâché un militaire. Dominique venait de lancer Jules et Jim, bien calé dans les bras d'Antoine lorsque son portable avait sonné. »

 

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 07:40

LA SYNAGOGUE | Librairie Comptoir du Rêve

En 2021, Joann Sfar est cloué au lit dans une chambre d’hôpital puis reclus chez lui, terrassé par le covid. C’est pour lui l’occasion de se souvenir de son enfance et de son adolescence. A Nice, l’enfant qui s’appelait Eliaou de son nom hébraïque craint les synagogues, il trouve qu’on y chante trop fort, il n’aime pas cette interdiction de pouvoir jouer ou de porter des jeans. Adolescent, pour fuir cette contrainte, il fera partie de cette corporation de jeunes gens qui gardent la synagogue. A la manière d’un vigile, Joann Sfar va donc conseiller aux pratiquants de ne pas s’attarder à l’entrée du lieu de culte et guetter les terroristes potentiels. Pourtant, on lui reproche trop souvent d’être distrait ou d’avoir le nez dans son carnet de dessin. Joann n’est pas doué non plus pour le combat, ses entraînements de kung-fu se terminent en général plutôt mal. Mais surtout, Joann grandit dans l’ombre de son père, charismatique, belliqueux, intelligent, héroïque aux yeux de l’adolescent... ses accointances et ses brouilles avec Jacques Médecin sont également évoquées.

Je ne sais pas pourquoi j’ai arrêté de lire Joann Sfar il y a déjà de nombreuses années mais si un titre était désormais à conseiller, c’est bien celui-là. J’ai trouvé ce gros album très intéressant, sensible, touchant et édifiant en ce qui concerne l’antisémitisme (niçois ... entre autres). Culpabilisant parfois de ne pas être assez combattif, complexé face au modèle Joseph Kessel dont le fantôme vient souvent le voir lorsqu’il est alité, Joann Sfar nous démontre surtout qu’il est un homme pacifiste, malmené par cette discrimination (que personnellement je ne comprendrai jamais) à travers les décennies de sa vie. Evidemment non dénué d’humour, l’album met en scène pas mal de skinheads que Joann Sfar a croisés, plus inoffensifs que franchement méchants. La maladresse du narrateur-auteur le rend sympathique, sa sincérité aussi. On pourrait reprocher quelques bavardages superflus mais, dans l’ensemble, j’ai passé un excellent moment de lecture.

« Mon père a été livré sans l’option « adapte ta syntaxe et ton sujet à l’âge de l’auditoire. » Il me parlait comme si j’étais politologue. »

« A Nice, il fait toujours beau. Sauf quand je monte la garde devant la synagogue. »

La Synagogue - (Joann Sfar) - Documentaire-Encyclopédie [CANAL-BD]

 

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3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 21:19

Les enchanteurs

 

Fosco Larga a plus de deux cents ans. Issu d’une famille d’origine italienne, assez particulière puisque composée de père en fils de saltimbanques, d’acrobates, d’illusionnistes et autres guérisseurs, il grandit lui-même dans un monde imaginaire peuplé de dragons et de chênes qui sont ses compagnons. En Russie, près de Saint-Pétersbourg, sa vie de jeune adolescent bascule le jour où son père admiré et adoré rentre avec sa nouvelle épouse, Teresina, qui n’a que trois ans ½ de plus que Fosco. Le garçon tombe éperdument amoureux de cette femme qui le voit comme un frère et n’hésite pas à se montrer nue devant lui ; une longue période faite de délices et de souffrances démarre alors...

C’est un euphémisme de dire que ce n’est pas mon Gary préféré. J’ai trouvé l’écriture belle mais à tendance « baroque » à l’image de son contenu rocambolesque, extravagant, parfois même rabelaisien. On côtoie Freud mais aussi Pouchkine ou encore la tsarine Catherine désespérément constipée. C’est l’imagination et le rêve qui deviennent les acteurs principaux de ce film à très gros budgets, avec les éclats des lazzis de la commedia dell’arte, ça avait donc tout pour plaire et pourtant je suis restée complètement en dehors de cette histoire d’un autre siècle à grand renfort de tours de magie sur fond d’Histoire russe véritablement sanglante. Je ne me suis attachée ni au narrateur, Fosco, si sottement épris de sa séduisante belle-mère, ni de Teresina qui joue avec les sentiments de son mari et de son gendre et revêt le costume de la sorcière. Ce roman-conte possède des qualités qui plairont sans aucun doute à d’autres qu’à moi.

« Elle s'appelait Teresina. Lorsque je prononce ce nom, il me semble que tous les amis de mon enfance, les géants et les gnomes, les moukhamors, ces champignons aux larges chapeaux bruns qu'ils ôtent toujours, car ils savent que seuls leur couvre-chefs sont bons à manger, leurs tiges n'ayant aucun goût, les dragons vêtus de leurs plus beaux vêtements du dimanche et les chênes de Lavrovo, ces vieux paysans russes, se mettent à marcher vers moi, les bras chargés de dons, et que le vent Efimm, celui qui vient du Nord, et Khitroun, celui qui vient de l'Est, se couchent à mes pieds en murmurant ce nom. Teresina... Si j’ai vécu si longtemps, c’est que j’ai charge d’amour. »

« la seule réponse possible au défi d’être un homme était l’insolence de l’espoir, l’adresse du danseur de corde, l’habileté de l’escamoteur et les mille ruses d’Arlequin. »

« contempler ce visage dont je ne saurai jamais s'il était beau ou seulement joli, car l'œil est un grand créateur et lorsque la patience s'en mêle, l'œil a du génie. »

« Ton père croit que tu seras écrivain, il dit que tu as des yeux qui savent inventer tout ce qu'ils regardent. Invente-moi bien, Fosco. »

Le très bon Lady L. du même génialissime auteur ou encore l'excellent et brillant Gros-Câlin.

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30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 11:11

Filles impertinentes de Doris Lessing - Editions Flammarion

          Tout démarre par une photographie de la mère « sous les traits d’une collégienne imposante, au visage rond empreint de cette assurance caractéristique, me semble-t-il, de l’ère victorienne. » Les portraits de la mère et du père de Doris sont dressés : lui, banquier, souffre d’avoir été amputé d’une jambe lors de la Première guerre mondiale et surtout d’avoir vu toutes ces horreurs, elle, infirmière, est frustrée de n’avoir pas pu devenir officier de la marine malgré son intelligence. Après un séjour dans l’actuelle Iran où naît Doris, la famille retrouve l’Angleterre déprimante et décevante avant de s’installer au Kenya. Entre une mère inventive, organisée et dynamique mais toujours frustrée ne pas vivre autrement et un père obsédé par la recherche de l’or, Doris grandit en s’opposant à ce schéma maternel. Divorçant deux fois, elle n’aura de cesse de décevoir une mère froide et distante, raciste et hautaine.

Sans vouloir me vanter, je crois qu’il est assez idéal de commencer par ce titre pour découvrir l’œuvre de Doris Lessing, le début de sa vie, les prémices de son esprit rebelle, son expérience africaine évidemment formatrice, son amour de la littérature et de l’écriture, son engagement futur. Elle ne parle pourtant presque que de ses parents dans ce livre, de sa mère surtout, utilisant la 3e personne pour parler d’elle-même (« sa fille semblait n’avoir aucun besoin de son aide. Elle continuait de passer son temps dans ce groupe, où tous étaient communistes et amis des cafres. ») Si tout oppose mère et fille, elles sont tout de même réunies sous ce titre « filles impertinentes », chacune ayant lutté contre vents et marées pour se distinguer des autres, s’imposer, chacune défendant sa propre définition du mot liberté. C’est un très beau livre servi par une écriture attachante qui donne envie de découvrir d’autres ouvrages de cette autrice.

Le prix Nobel de Littérature est décerné à Doris Lessing alors âgée de 88 ans en 2007. Elle devient ainsi la onzième femme et l’écrivain le plus âgé à recevoir ce prix. Ce qui me permet de participer au challenge Les classiques c’est fantastique du mois d’octobre qui met à l’honneur les anciens Goncourt ou Nobel.

« En sortant du mariage, je savais que je mettais fin à une fatalité invisible mais invincible qui avait forcé mon père, jadis plein de force, de santé et de beauté, à devenir un homme grincheux, brisé par la guerre, aspirant à mourir à soixante ans, et qui avait changé ma mère si forte, intelligente et compétente en une femme maladive, névrosée, malheureuse. »

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27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 20:40

L'art et le Chat de Philippe Geluck

Philippe Geluck, par l’intermédiaire de son emblématique Chat, nous offre un aperçu de son panthéon artistique personnel à travers siècles, pays et genres très variés, allant de la Vénus de Milo à Ben en passant par Monet, Dubuffet, Fontana, Magritte, Rodin ou encore Vasarely. En face de l’œuvre originale, il y a sa version à lui où le Chat se met en scène et déconne franchement : il engueule les danseurs de Keith Haring, il écrase les Schtroumpfs pour fournir à Klein son bleu, il profite des illusions d’optique de Vasarely pour s’offrir un slip de bain ... tout à son avantage, il se met même en cube pour Picasso. Les œuvres s’accompagnent d’une petite présentation de l’artiste et de quelques réflexions toute personnelles.

C’est un ouvrage qui n’est pas destiné à approfondir l’analyse des œuvres évoquées, évidemment, mais qui permet de faire un petit tour d’horizon des tableaux et sculptures les plus connus selon les goûts - c’est assumé dans la préface - de l’auteur. La BD a été écrite une première fois en 2016 à destination du Musée en Herbe (on comprend mieux la dimension facile d’accès des œuvres) puis revue en 2023, c’est cette dernière version que j’ai lue. C’est très agréable, Geluck est à la fois dans l’hommage et dans la distanciation par l’humour (il regrette qu’il n’y ait pas plus d’œuvres de Vermeer à côté de la facilité d’exécution d’un Fontana). A lire qu’on soit jeune ou expérimenté, amateur d’art ou ignare ; c'est divertissant.

« Ce qu’il y a de formidable, quand tu rends hommage à tes prédécesseurs, c’est que pendant quelques instants tu es obligé de te prendre pour eux. Le temps d’accomplir le geste qu’ils ont inventé. Juste le temps de te la péter. Faire ça du matin au soir serait vain, car tu n'es pas eux. Et ce que tu essayerais de faire, moins bien, ils l’ont fait avant toi, et mieux. N’empêche que ça fait un bien fou. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fait ce métier : pour être les autres. »

« Pour Ben, il faudrait inventer un mot qui n’existe pas encore : écripeinture ou peintécriture. L’écriture de Ben est élégante comme une image. Ses phrases sont toujours justes (mais comment fait-il ?) Et Ben nous entraîne à participer à son tableau parce qu’il nous pousse à lui répondre ou à nous interroger. Ben nous stimule. »

VIDÉO. Philippe Geluck et son chat revisitent l'Art | TV5MONDE -  Informations

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23 octobre 2023 1 23 /10 /octobre /2023 09:30

Okavango - Caryl Férey - Librairie Mollat Bordeaux

Dans la réserve namibienne de Wild Bunch, un cadavre est retrouvé. La lieutenante Solanah Betwase, accompagnée de son efficace assistant, Seth, mène l’enquête et se retrouve vite confrontée au propriétaire de la réserve, John Latham, aussi séduisant que mystérieux et qui ne dévoile son passé obscur que par bribes.

Cette première découverte de l’auteur fut une réussite pour moi sans qu’il y ait pour autant un enthousiasme de folie. J’ai beaucoup apprécié cette thématique de la protection des animaux face à celle du braconnage, un monde qui m’interpelle encore plus depuis le formidable Entre fauves de Colin Niel. Quand on sait que plus l’animal sauvage se fait rare, plus il est recherché par des tarés prêts à tout, ça fait froid dans le dos. Les passages évoquant les guerres m’ont moins plu et certains personnages m’ont paru un brin caricaturaux notamment avec des histoires d’amour un peu vite expédiées et « faciles ». C’est vraiment la dimension polar autour du braconnage que j’ai trouvée passionnante avec des paysages à couper le souffle et un dénouement haletant, mené de main de maître. Pour conclure, je dirais qu’il y avait sans doute quelques pages en trop pour moi mais je conseillerais tout de même cette lecture.

Un billet court pour un roman qui en mériterait un plus long.

 

« Lina agitait les oreilles tandis qu'arrivait la troupe émettant de longs grognements gutturaux. Les éléphants se frottèrent bientôt à elle en signe d'affection, enroulant leurs trompes en de savants messages olfactifs. Lina était leur guide, l'encyclopédie des chemins menant à la moindre mare d'été caniculaire et jusqu'aux rives de l'Okavango, tout là-bas vers le Botswana. La transmission de leur savoir permettait aux éléphants de survivre depuis des millions d'années, tous frères, sœurs ou gardiens des petits, constituant la même famille unie ; la harde ne craignait que les grands mâles en rut qui, au printemps et après quelques raclées infligées à leurs congénères, exigeaient leur saillie avec une tendresse de mirador. »

« Les San considéraient les éléphants comme leurs égaux. Pouvant nomadiser sur un territoire de dix mille kilomètres carrés, les pachydermes connaissaient par cœur les lieux de leurs ressources, cultivèrent leur paysage, comme les petits plans d'eau autour desquels ils gardaient une clairière dégagée pour se prémunir des attaques.  N'étant pas épargnés par les insectes suceurs de sang, ils confectionnaient des tapettes à mouches à partir de buissons, coinçaient les bâtons qu'ils n'utilisaient pas derrière l'oreille, comme des artisans avec un crayon.  Ils reconnaissaient jusqu'à cent individus au son de leur voix et se déplaçaient selon une hiérarchie bien intégrée par la troupe - si l'on déposait devant la meneuse l'urine fraîche d'un éléphant qu'elle savait derrière elle, cette dernière restait déconcertée - comment un proche pouvait-il se trouver à la fois devant et derrière ?»

 

 

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