
Pierre Delmain a été écrivain, il n’est désormais plus qu’un déporté politique survivant au Struthof, le camp alsacien (que j’ai souvent visité) et donc l’unique camp français. Son statut est privilégié : il a un peu plus de nourriture que les autres mais, en contrepartie, il doit achever les prisonniers destinés aux expériences médicales dirigées par Herr Doktor Hirt. Il les étrangle doucement avant qu’on intervienne sur les corps des manières les plus atroces et les plus absurdes. Il va ainsi tuer des dizaines de personnes ; dans ce cauchemar, il essaye d’y mettre de l’humanité et de la tendresse à travers un regard, un mot prononcé à voix basse, un prénom qu’il attribue pour donner un fragment d’âme à celui ou celle qui va mourir. Pour supporter ce qu’il fait au quotidien, son cerveau raconte une fiction qui se déroule au Moyen-âge. En parallèle, Saül Berstein, collectionneur d’arts, vit à Paris ses derniers instants de quiétude. Juif et homosexuel, il se fait embarquer comme tant d’autres dans un wagon à bestiaux. Il arrive au Struthof et rencontre Delmain, ils discutent comme ils l’auraient fait dans une vie ordinaire où une belle histoire d’amitié pourrait naître entre deux hommes intelligents épris d’art. Mais il y en a un qui est destiné à mourir, l’autre à lui survivre.
Dans un style efficace d’une puissance rare, l’auteur nous emmène en enfer, regarder ce que l’Homme a fait de pire sur cette terre. Et Raphaël Jerusalmy trouve le moyen d’y déposer de la douceur, de la tendresse, de l’humanité. Le « tu » utilisé pour évoquer Pierre Delmain rapproche encore un peu plus le lecteur de ce personnage qui est à la fois victime et bourreau. Et l’après, le retour à la vie « normale » est tout aussi fort que cette période vécue dans le camp. De cette lecture choc, on peut retenir qu’on ne guérit jamais d’avoir vécu un tel enfer… et que, pourtant, malgré tout, des étincelles de vie et d’humanité surgissent toujours. Il y a aussi des rencontres qui marquent plus que d’autres et des souvenirs qui perdurent au-delà de la mort. Il est difficile de rédiger un billet après une telle lecture mais je ne peux que vous encourager à lire ce très beau texte. Coup de cœur.
Merci à Alex pour cette idée lecture forte, bouleversante et, elle a raison, emplie de lumière.
« Les arbres te regardent. A mi-chemin de la carrière, il y en a un dans le tronc est tout écorché. A chaque fois que tu passes devant, tu éprouves un sentiment de victoire. Surtout le soir, retour. Le voici. Tu t’en approches. Tu distingues les gerçures de l'écorce, désormais familières. Tu lui envies sa sève. Il l’exsude en fines coulées qui donnent soif. Tu voudrais t’étendre à ses pieds, t'assoupir à l'ombre de son feuillage. Tu trébuches ! Tu vas tomber. »
« Tu te tiens prêt, te massant les poignets, faisons craquer les jointures de tes doigts. Pour celui-là, ça ira vite. Tu sais désormais comment achever quelqu'un rapidement et sans douleur. Herr Doktor Hirt, lorsqu'il est dans les parages, chronomètre ta performance. Tu t'exerces, tu t'appliques. La nuit, tu t'entraînes sur du linge sale, de vieilles couvertures, pour t'habituer à serrer fort mais sans rudesse, à ne surtout pas relâcher l'étreinte, à soutenir le regard de celui que tu assassines. A lui offrir ton visage.













