- Volume 1 -
Ersin raconte sa vie. Celle d’un petit garçon qui a grandi dans un quartier pauvre d’Istanbul, auprès de parents enseignants et kémalistes (qui sont, suivant l’idéologie d’Atatürk, pour la laïcité, la démocratie et la liberté). C’est en regardant son père peindre qu’il a aimé dessiner. Pour faire plaisir à ses parents, il promet cependant de devenir ingénieur mais l’école stricte et élitiste où il est placé conforte son idée de devenir dessinateur de BD. Il parvient de temps en temps à faire accepter un de ses dessins dans une revue ou un journal. Ado, il finit par convaincre ses parents de lui laisser faire des études en arts graphiques, à condition qu’il ne dessine pas pour des journaux satiriques, ce serait trop dangereux pour sa vie et celle de ses proches. Ses dessins lui permettent de travailler pour le magazine humoristique Penguen et, petit à petit, il devient connu et reconnu. Il réalise son rêve d’enfant : les gens l’interpellent dans la rue, il passe ses journées à dessiner et s’assoit à côté des plus grands. Cependant lorsque le Premier Ministre, Erdogan, intente au procès à un dessinateur qui l’a représenté sous les traits d’un chat empêtré dans sa pelote, Ersin prend peur. Ses parents réitèrent leurs conseils de s’éloigner de tout ce qui pourrait attenter à sa tranquillité, la venue régulière de trois mollahs sous-entendant qu’il pourrait arriver malheur à Ersin et aux siens achève de convaincre le garçon de tout abandonner. Pourtant, le souvenir du petit garçon qui s’est battu pour réaliser son rêve le convainc de continuer sa collaboration avec Penguen.
Dans ce magnifique album, on découvre non seulement la vie d’un garçon puis d’un homme destiné à s’épanouir dans ce qui a toujours été sa passion, le dessin, mais aussi un morceau d’histoire de la Turquie, un pays où il fait, en apparence, bon vivre, mais où la liberté n’est souvent qu’une façade. Un climat de peur et une politique de plus en plus autoritaire laissent peu de place aux critiques et à l’humour, et il faut du courage aux journalistes et dessinateurs pour oser s’opposer à Erdogan. L’album est comme un cœur qui palpite en plein centre d’Istanbul. L’ensemble est absolument passionnant, j’ai adoré découvrir le parcours de cet enfant devenu adulte. J’ai aussi aimé la variété des dessins, entre caricatures et traits plus fins, les couleurs qui usent d’une large palette… bref, j’ai tout aimé et c’est un COUP DE CŒUR !
Il y aura une suite qu'il va être difficile d'attendre.
J’avais découvert ce formidable dessinateur avec Contes ordinaires d’une société résignée qui bouscule sacrément, à lire aussi !
Régression, triste régression… : « Par le passé, bien des politiciens avaient été moqués bien plus méchamment sans que cela ne suscite la moindre réaction, on raconte même que lors de voyages officiels, certains d'entre eux s'amusaient à montrer ses dessins à leurs homologues. »