Ce roman traîne dans ma PAL depuis à peu près sa sortie… c’est-à-dire depuis 2008 !?
Saad Saad est né à Bagdad sous le régime de Sadam Hussein. Malgré la dictature, enfant, il vit heureux avec ses parents et ses trois sœurs. Son père, surtout, l’enchante à lui parler en expressions imagées et à lui faire découvrir clandestinement la littérature. La guerre Koweit-Irak et surtout l’embargo des Américains va plonger la ville dans une misère sans nom. Saad va perdre, d’une manière ou d’une autre, différents membres de sa famille et il se voit contraint de s’exiler. C’est sur l’Angleterre, pays chéri par sa bien-aimée disparue, qu’il jette son dévolu. Il s’agit d’abord de quitter le pays pour rejoindre Le Caire puis d’aller en Lybie, à Malte, en Italie. Des obstacles, des mauvaises rencontres, quelques déboires vont rendre ce périple long et compliqué mais Saad pourra aussi compter sur de belles rencontres, des adjuvants précieux et des coups de chance.
L’auteur a écrit une version de L’Odyssée façon XXIè siècle. Si parfois quelques ficelles s’avèrent un peu trop grosses, si Saad Saad rencontre tout de même un sacré paquet de gens aimables et protecteurs, on se prend au jeu et on accompagne ce garçon avec plaisir dans cette grande aventure. Je pense que c’est à lire comme un conte ou une fable, que de grands enfants ou de jeunes ados bons lecteurs peuvent y trouver leur compte. C’est une manière amusante et divertissante de revoir les principaux épisodes de L’Odyssée tout en évoquant la question de l’exil et l’immigration. Un petit exemple : Ulysse qui fuit la grotte de Polyphème suspendu à la toison d’un bouc devient Saad Saad qui s’accroche sous un camion pour passer une frontière. Je redoutais que la fin soit un peu trop happy end mais finalement, elle est réussie et on obtient un road-trip dynamique pour le récit d’apprentissage d’un garçon « aux mille ruses » des temps modernes.
« On comprendra donc que j'ai poussé au Paradis. Cet enclos merveilleux peuplé de femmes dévouées, d’un père cocasse, d’un Dieu en voyage et d’un despote tenu à distance respectueuse par les murs de notre foyer, abrita mon bonheur jusqu'à mes onze ans. »
« nous avons tous plusieurs personnes en nous. Seul l'imbécile croit qu'il est l'unique occupant de sa maison. »
Un beau résumé : « Tu raisonnes à l'ancienne, papa. tu raisonnes à la Homère. Il y a trois mille ans un homme, Ulysse, rêvait de revenir chez lui après une guerre qu'il en avait éloignée. Moi, j'ai rêvé de quitter mon pays dévasté par la guerre. Quoi que j’aie voyager et que j'aie rencontré des milliers d'obstacles pendant ce périple, je suis devenu le contraire d’Ulysse. Il retournait, je vais. A moi l'aller, à lui le retour. Il rejoignait un lieu qu'il aimait ; je m'écarte d'un chaos que j'abhorre. Il savait où était sa place, moi je la cherche. Tout était résolu, pour lui, par son origine, il n'avait qu’à régresser, puis mourir, heureux, légitime. Moi, je vais édifier ma maison hors de chez moi, à l'étranger, ailleurs. Son odyssée était un circuit nostalgique, la mienne un départ gonflé d'avenir. Lui avait rendez-vous avec ce qu'il connaissait déjà. Moi j'ai rendez-vous avec ce que j'ignore. »