Cet été, je lis du théâtre comme j’avale des fruits frais, voracement et avidement, presque tous les jours. Je ne vais pas chroniquer chacune de mes lectures, d’autant plus que le théâtre lu n’a pas forcément le vent en poupe sur la blogosphère mais je ne pouvais pas ne pas parler de cette petite merveille écrite par un dramaturge contemporain que j’aime beaucoup.
Lys Martagon a 17 ans. Sans doute positivement influencée par son nom de fleur, elle est à part, originale parce qu’elle parle tout le temps, partout. Elle parle des fleuves, des étoiles, des pays, des îles, des continents, des planètes. Elle parle pour contrer la misère qui l’entoure, la fatigue de sa mère qui l’a toujours élevée seule, elle parle pour voir plus loin. Elle parle à son « géant » aussi, cet arbre de trente mètres de haut devenu son ami. Elle cavale toute la journée, montant la colline pour la descendre aussitôt, elle marche pieds nus pour sentir « le léger du chemin ». A la manière du « Voyant » de Rimbaud, elle voit mieux et plus que les autres, au-delà des immeubles de la ville, le regard tourné vers la chaîne de Belledonne. Et elle va emmener Démétrio, un ado qui ne fait que regarder la télé, dans son monde fait de rêveries, de fleurs et d’exploration où tous les sens sont exploités.
Cette pièce a été écrite lors d’une résidence de Sylvain Levey à Grenoble en 2011. J’espère que les Grenoblois sont tous bien conscients de la chance d’avoir ce texte écrit dans l’écrin qui a conçu le bijou. D’une rare poésie, Lys Martagon est un peu la nymphe Écho de Grenoble, elle est partout, virevoltante et joyeuse, emplie de la belle nature qui n’est vraiment pas si loin des hautes tours laides de la ville quand on daigne lever les yeux. Un texte poétique qui se dévore avec plaisir, Lys est accompagnée d’un « chœur de la vallée », de sa mère et de Démétrio mais c’est bien elle seule qui constitue la lumière, le soleil de ces mots et qui va tenter, telle une alchimiste, de transformer le laid en beau. A lire à tout âge.
∞ Coup de cœur ∞
« On devrait construire plus de phrases et moins d’autoroutes. »
« Je collectionne le vent comme d’autres les cuillères en argent. [...] Je collectionne aussi la pluie comme d’autres font sécher les papillons. »
« Quatre-vingt-une pulsations fois des millions de femmes, d'enfants et d'hommes. Ça fait du bruit, ça, je te promets, ça fait du bruit. Si on éteignait toutes les télés, les radios, tous les téléphones, les ordinateurs, si on arrêtait toutes les voitures du monde entier, tous les avions, tous les trains qui traversent la France et les paquebots qui traversent les océans, si on fermait toutes les usines, ne serait-ce qu'une heure, si on bâillonnait la fée Électricité ne serait-ce que quelques instants, si tous les bébés qui naissent acceptaient pour une fois de ne pas hurler comme ils le font pour protester contre l'injustice et la torture dans le monde et si moi, moi, Lys Martagon, cent cinquante-sept centimètres de bas en haut, je décidais un jour de me taire pour de bon on pourrait écouter la symphonie des cœurs qui battent à l'unisson ici où nous habitons, mais tu pourrais aussi entendre les palpitations, des coeurs de Calcutta, de Rio de Janeiro, de Karachi, de Reykjavik, tu pourrais entendre le cri de l'ours polaire à la dérive sur son bout de banquise, tu pourrais entendre le dernier souffle de la vieille femme qui vient de s'éteindre dans un lit d'une clinique sur les bords de la mer Caspienne, tu pourrais entendre les milliers de voix qui s'élèvent un peu partout sur la planète, les voix de ceux qui ont faim, simplement faim, tu pourrais entendre le je t'aime murmuré par la bouche de l'homme dans l'oreille de la femme, tu pourrais entendre la fonte des neiges dans les montagnes rocheuses de l'Est américain [...] »