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13 novembre 2023 1 13 /11 /novembre /2023 07:19

L'Alphabet du silence - Delphine Minoui - Leslibraires.fr

Ayla, professeure de français, vit à Istanbul avec sa petite fille Deniz et son mari, Göktay. La vie tranquille de la petite famille bascule le jour où Göktay se fait brutalement arrêter dans leur appartement. Pour quelle raison ? Parce qu’il a signé une pétition de paix, visant notamment à protéger les Kurdes ; nous sommes en janvier 2016. Ayla tente tant bien que mal à continuer à vivre, elle rend de courtes visites à son mari désormais en prison, élève comme elle peut sa fille toute seule, assiste à la lente dégradation de son pays. Les attentats se multiplient, associés à un besoin de glorification d’Erdogan, le peuple se divise entre les pro-Erdogan et les rebelles, et les mensonges de part et d’autre s’accentuent. Ayla commence à sortir la tête de l’eau lorsqu’elle rencontre un groupe de dissidents pacifistes qui imaginent des maisons de la culture secrètes, inventent des universités clandestines au fond d’un restaurant, dans une ancienne supérette, créent une chaîne YouTube pour évoquer les droits de l’Homme ou pour raconter l’histoire des Kurdes. L’espoir renaît alors pour Ayla, accru par le procès de Göktay des mois plus tard. Elle aussi va se mettre à combattre

Par le biais du roman, Delphine Minoui dépeint la situation d’un pays, la Turquie, qui glisse lentement mais impitoyablement vers une « République de la peur » ou, pour être plus claire, vers une dictature pure et dure. Dans ce pays où poussent les centres commerciaux les plus laids mais aussi de plus en plus de mosquées, la liberté est en danger mais la résistance s’organise de manière spontanée et joyeuse. Dans ce magnifique roman, le prisonnier Göktay, après avoir mené une grève de la faim, entreprend de dessiner les traces et les plis laissés par son corps dans les draps, ce processus fait partie de cet « alphabet du silence », des regards, un air fredonné, un dessin peuvent résonner autant sinon plus que les mots qui valent parfois une arrestation. Un grand coup de cœur pour ce livre à la fois intense et émouvant, engagé et salvateur, édifiant et empli de poésie. Delphine Minoui a l’art d’interpeller les consciences, de nous amener à suivre ces parcours de vie atypiques, de nous faire voyager dans son pays d’adoption qu’elle connaît bien puisque cette journaliste spécialiste du Moyen-Orient y vit depuis 2015 après avoir vécu pendant dix ans en Iran. J’ai vu l’Istanbul de 2006, comme je me languis d’y retourner !

C’est ma 2è découverte de l’autrice que j’avais déjà beaucoup appréciée dans Les Pintades à Téhéran.

Ayla apprend qu’un assistant-chercheur, persécuté, lui aussi, s’est suicidé : « Si elle n'avait pas Deniz, elle aurait pu être cet homme. Ce solitaire qui abandonne la vie. Elle l'imagine. Ses deux bras vers le ciel. Ses ailes qui se brisent en plein vol. Parce que c'est ça, aussi, ce à quoi les professeurs et leurs familles sont condamnés : l'appel du néant, puisque, aux yeux du pouvoir, ils ont cessé d'exister. Des parias de la société, qu'on arrête, qu'on licencie, qu'on assigne à une retraite anticipée. Qu’on radie de la Sécurité sociale et des allocations chômage. Ceux dont les bureaux sont placés sous scellés. Ceux dont les badges ont été déconnectés. Ceux qu'on fait disparaître des registres des universités et dont on ferme subitement les boîtes mail. »

Quand Göktay tend à sa femme les dessins de ses plis de la nuit, des empreintes de son corps sur les draps : « Ayla étudie un à un les dessins, émue par ce qui ressemble à une nouvelle langue, à la fois fragile et audacieuse. Ses doigts caressent les traits ébauchés, suivent les courbes, accompagnent leurs trajectoires. Elles ont la nervosité d'un muscle et la mélancolie d'une fleur fanée. Il y a dans ces tracés toute la puissance des non-dits, tout un silence, qui bruisse de mots absents. Elle y devine la main d'un homme qui a perdu la force d'écrire, mais qui invente un vocabulaire singulier dont lui seul détient les codes. L'ébauche d'une renaissance. »

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9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 10:08

On dirait des hommes - Fabrice Tassel

       Thomas a perdu son fils de 10 ans, Gabriel, noyé sous ses yeux, un jour de tempête, alors que le garçon butait sur un anneau d’amarrage. Il tente, des mois plus tard, de vivre avec – de survivre à cet accident tragique avec sa femme Anna. C’est à la juge d’instruction Dominique Bontet qu’on demande de clore le dossier. Pourtant, elle se refuse à le faire, sans trop pouvoir l’expliquer. En parallèle, c’est Iris qui vient porter plainte contre son mari qui la bat et l’humilie au quotidien ; pourtant, comme elle donne des coups elle aussi, la juge cherche à en savoir plus sur cette famille en souffrance.

       Deux familles liées par un personnage central, cette femme juge, humaine et faillible elle aussi. Le voile est levé très doucement sur des mensonges, des apparences qui ne reflètent pas la réalité. C’est avec beaucoup de sensibilité que l’auteur évoque les différents parcours : celui de Thomas qui n’a jamais vécu comme il l’aurait souhaité mais demeure très amoureux de sa femme, celui d’Anna qui est, depuis des années, restée dans l’ombre de son mari puis dans celui de son fils sans jamais véritablement penser à elle. Dans cet excellent roman noir psychologique d’une grande sensibilité, la tragédie de la mort d’un enfant soulève les coins obscurs de vies frustrées, elle gratte là où ça fait mal et fait la part belle aux femmes, ce trio Anna-Dominique-Iris. Je me suis glissée dans ce roman sans vraiment en être sortie encore, charmée par l’écriture, happée par la tension omniprésente et ce dénouement qu’on ne devine pas avant les dernières pages. C’est un de mes romans préférés de cette rentrée littéraire et j’en fais un coup de cœur.

« Que faire de cette histoire « Gabriel Sénéchal », par exemple, dont le petit visage, en première page du sous-dossier orange rangé dans le dossier bleu, est illuminé par un rayon de soleil ? Onze mois, déjà, que ce garçon de dix ans s'est noyé dans le port alors qu'il se promenait avec son père. Ce soir-là, un samedi, Dominique était la magistrate de permanence et avait été immédiatement appelée sur les lieux par les gendarmes, eux-mêmes avertis par le père. « On aurait dit qu'il venait de voir la fin du monde », avait lâché un militaire. Dominique venait de lancer Jules et Jim, bien calé dans les bras d'Antoine lorsque son portable avait sonné. »

 

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 07:40

LA SYNAGOGUE | Librairie Comptoir du Rêve

En 2021, Joann Sfar est cloué au lit dans une chambre d’hôpital puis reclus chez lui, terrassé par le covid. C’est pour lui l’occasion de se souvenir de son enfance et de son adolescence. A Nice, l’enfant qui s’appelait Eliaou de son nom hébraïque craint les synagogues, il trouve qu’on y chante trop fort, il n’aime pas cette interdiction de pouvoir jouer ou de porter des jeans. Adolescent, pour fuir cette contrainte, il fera partie de cette corporation de jeunes gens qui gardent la synagogue. A la manière d’un vigile, Joann Sfar va donc conseiller aux pratiquants de ne pas s’attarder à l’entrée du lieu de culte et guetter les terroristes potentiels. Pourtant, on lui reproche trop souvent d’être distrait ou d’avoir le nez dans son carnet de dessin. Joann n’est pas doué non plus pour le combat, ses entraînements de kung-fu se terminent en général plutôt mal. Mais surtout, Joann grandit dans l’ombre de son père, charismatique, belliqueux, intelligent, héroïque aux yeux de l’adolescent... ses accointances et ses brouilles avec Jacques Médecin sont également évoquées.

Je ne sais pas pourquoi j’ai arrêté de lire Joann Sfar il y a déjà de nombreuses années mais si un titre était désormais à conseiller, c’est bien celui-là. J’ai trouvé ce gros album très intéressant, sensible, touchant et édifiant en ce qui concerne l’antisémitisme (niçois ... entre autres). Culpabilisant parfois de ne pas être assez combattif, complexé face au modèle Joseph Kessel dont le fantôme vient souvent le voir lorsqu’il est alité, Joann Sfar nous démontre surtout qu’il est un homme pacifiste, malmené par cette discrimination (que personnellement je ne comprendrai jamais) à travers les décennies de sa vie. Evidemment non dénué d’humour, l’album met en scène pas mal de skinheads que Joann Sfar a croisés, plus inoffensifs que franchement méchants. La maladresse du narrateur-auteur le rend sympathique, sa sincérité aussi. On pourrait reprocher quelques bavardages superflus mais, dans l’ensemble, j’ai passé un excellent moment de lecture.

« Mon père a été livré sans l’option « adapte ta syntaxe et ton sujet à l’âge de l’auditoire. » Il me parlait comme si j’étais politologue. »

« A Nice, il fait toujours beau. Sauf quand je monte la garde devant la synagogue. »

La Synagogue - (Joann Sfar) - Documentaire-Encyclopédie [CANAL-BD]

 

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3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 21:19

Les enchanteurs

 

Fosco Larga a plus de deux cents ans. Issu d’une famille d’origine italienne, assez particulière puisque composée de père en fils de saltimbanques, d’acrobates, d’illusionnistes et autres guérisseurs, il grandit lui-même dans un monde imaginaire peuplé de dragons et de chênes qui sont ses compagnons. En Russie, près de Saint-Pétersbourg, sa vie de jeune adolescent bascule le jour où son père admiré et adoré rentre avec sa nouvelle épouse, Teresina, qui n’a que trois ans ½ de plus que Fosco. Le garçon tombe éperdument amoureux de cette femme qui le voit comme un frère et n’hésite pas à se montrer nue devant lui ; une longue période faite de délices et de souffrances démarre alors...

C’est un euphémisme de dire que ce n’est pas mon Gary préféré. J’ai trouvé l’écriture belle mais à tendance « baroque » à l’image de son contenu rocambolesque, extravagant, parfois même rabelaisien. On côtoie Freud mais aussi Pouchkine ou encore la tsarine Catherine désespérément constipée. C’est l’imagination et le rêve qui deviennent les acteurs principaux de ce film à très gros budgets, avec les éclats des lazzis de la commedia dell’arte, ça avait donc tout pour plaire et pourtant je suis restée complètement en dehors de cette histoire d’un autre siècle à grand renfort de tours de magie sur fond d’Histoire russe véritablement sanglante. Je ne me suis attachée ni au narrateur, Fosco, si sottement épris de sa séduisante belle-mère, ni de Teresina qui joue avec les sentiments de son mari et de son gendre et revêt le costume de la sorcière. Ce roman-conte possède des qualités qui plairont sans aucun doute à d’autres qu’à moi.

« Elle s'appelait Teresina. Lorsque je prononce ce nom, il me semble que tous les amis de mon enfance, les géants et les gnomes, les moukhamors, ces champignons aux larges chapeaux bruns qu'ils ôtent toujours, car ils savent que seuls leur couvre-chefs sont bons à manger, leurs tiges n'ayant aucun goût, les dragons vêtus de leurs plus beaux vêtements du dimanche et les chênes de Lavrovo, ces vieux paysans russes, se mettent à marcher vers moi, les bras chargés de dons, et que le vent Efimm, celui qui vient du Nord, et Khitroun, celui qui vient de l'Est, se couchent à mes pieds en murmurant ce nom. Teresina... Si j’ai vécu si longtemps, c’est que j’ai charge d’amour. »

« la seule réponse possible au défi d’être un homme était l’insolence de l’espoir, l’adresse du danseur de corde, l’habileté de l’escamoteur et les mille ruses d’Arlequin. »

« contempler ce visage dont je ne saurai jamais s'il était beau ou seulement joli, car l'œil est un grand créateur et lorsque la patience s'en mêle, l'œil a du génie. »

« Ton père croit que tu seras écrivain, il dit que tu as des yeux qui savent inventer tout ce qu'ils regardent. Invente-moi bien, Fosco. »

Le très bon Lady L. du même génialissime auteur ou encore l'excellent et brillant Gros-Câlin.

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30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 11:11

Filles impertinentes de Doris Lessing - Editions Flammarion

          Tout démarre par une photographie de la mère « sous les traits d’une collégienne imposante, au visage rond empreint de cette assurance caractéristique, me semble-t-il, de l’ère victorienne. » Les portraits de la mère et du père de Doris sont dressés : lui, banquier, souffre d’avoir été amputé d’une jambe lors de la Première guerre mondiale et surtout d’avoir vu toutes ces horreurs, elle, infirmière, est frustrée de n’avoir pas pu devenir officier de la marine malgré son intelligence. Après un séjour dans l’actuelle Iran où naît Doris, la famille retrouve l’Angleterre déprimante et décevante avant de s’installer au Kenya. Entre une mère inventive, organisée et dynamique mais toujours frustrée ne pas vivre autrement et un père obsédé par la recherche de l’or, Doris grandit en s’opposant à ce schéma maternel. Divorçant deux fois, elle n’aura de cesse de décevoir une mère froide et distante, raciste et hautaine.

Sans vouloir me vanter, je crois qu’il est assez idéal de commencer par ce titre pour découvrir l’œuvre de Doris Lessing, le début de sa vie, les prémices de son esprit rebelle, son expérience africaine évidemment formatrice, son amour de la littérature et de l’écriture, son engagement futur. Elle ne parle pourtant presque que de ses parents dans ce livre, de sa mère surtout, utilisant la 3e personne pour parler d’elle-même (« sa fille semblait n’avoir aucun besoin de son aide. Elle continuait de passer son temps dans ce groupe, où tous étaient communistes et amis des cafres. ») Si tout oppose mère et fille, elles sont tout de même réunies sous ce titre « filles impertinentes », chacune ayant lutté contre vents et marées pour se distinguer des autres, s’imposer, chacune défendant sa propre définition du mot liberté. C’est un très beau livre servi par une écriture attachante qui donne envie de découvrir d’autres ouvrages de cette autrice.

Le prix Nobel de Littérature est décerné à Doris Lessing alors âgée de 88 ans en 2007. Elle devient ainsi la onzième femme et l’écrivain le plus âgé à recevoir ce prix. Ce qui me permet de participer au challenge Les classiques c’est fantastique du mois d’octobre qui met à l’honneur les anciens Goncourt ou Nobel.

« En sortant du mariage, je savais que je mettais fin à une fatalité invisible mais invincible qui avait forcé mon père, jadis plein de force, de santé et de beauté, à devenir un homme grincheux, brisé par la guerre, aspirant à mourir à soixante ans, et qui avait changé ma mère si forte, intelligente et compétente en une femme maladive, névrosée, malheureuse. »

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27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 20:40

L'art et le Chat de Philippe Geluck

Philippe Geluck, par l’intermédiaire de son emblématique Chat, nous offre un aperçu de son panthéon artistique personnel à travers siècles, pays et genres très variés, allant de la Vénus de Milo à Ben en passant par Monet, Dubuffet, Fontana, Magritte, Rodin ou encore Vasarely. En face de l’œuvre originale, il y a sa version à lui où le Chat se met en scène et déconne franchement : il engueule les danseurs de Keith Haring, il écrase les Schtroumpfs pour fournir à Klein son bleu, il profite des illusions d’optique de Vasarely pour s’offrir un slip de bain ... tout à son avantage, il se met même en cube pour Picasso. Les œuvres s’accompagnent d’une petite présentation de l’artiste et de quelques réflexions toute personnelles.

C’est un ouvrage qui n’est pas destiné à approfondir l’analyse des œuvres évoquées, évidemment, mais qui permet de faire un petit tour d’horizon des tableaux et sculptures les plus connus selon les goûts - c’est assumé dans la préface - de l’auteur. La BD a été écrite une première fois en 2016 à destination du Musée en Herbe (on comprend mieux la dimension facile d’accès des œuvres) puis revue en 2023, c’est cette dernière version que j’ai lue. C’est très agréable, Geluck est à la fois dans l’hommage et dans la distanciation par l’humour (il regrette qu’il n’y ait pas plus d’œuvres de Vermeer à côté de la facilité d’exécution d’un Fontana). A lire qu’on soit jeune ou expérimenté, amateur d’art ou ignare ; c'est divertissant.

« Ce qu’il y a de formidable, quand tu rends hommage à tes prédécesseurs, c’est que pendant quelques instants tu es obligé de te prendre pour eux. Le temps d’accomplir le geste qu’ils ont inventé. Juste le temps de te la péter. Faire ça du matin au soir serait vain, car tu n'es pas eux. Et ce que tu essayerais de faire, moins bien, ils l’ont fait avant toi, et mieux. N’empêche que ça fait un bien fou. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fait ce métier : pour être les autres. »

« Pour Ben, il faudrait inventer un mot qui n’existe pas encore : écripeinture ou peintécriture. L’écriture de Ben est élégante comme une image. Ses phrases sont toujours justes (mais comment fait-il ?) Et Ben nous entraîne à participer à son tableau parce qu’il nous pousse à lui répondre ou à nous interroger. Ben nous stimule. »

VIDÉO. Philippe Geluck et son chat revisitent l'Art | TV5MONDE -  Informations

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23 octobre 2023 1 23 /10 /octobre /2023 09:30

Okavango - Caryl Férey - Librairie Mollat Bordeaux

Dans la réserve namibienne de Wild Bunch, un cadavre est retrouvé. La lieutenante Solanah Betwase, accompagnée de son efficace assistant, Seth, mène l’enquête et se retrouve vite confrontée au propriétaire de la réserve, John Latham, aussi séduisant que mystérieux et qui ne dévoile son passé obscur que par bribes.

Cette première découverte de l’auteur fut une réussite pour moi sans qu’il y ait pour autant un enthousiasme de folie. J’ai beaucoup apprécié cette thématique de la protection des animaux face à celle du braconnage, un monde qui m’interpelle encore plus depuis le formidable Entre fauves de Colin Niel. Quand on sait que plus l’animal sauvage se fait rare, plus il est recherché par des tarés prêts à tout, ça fait froid dans le dos. Les passages évoquant les guerres m’ont moins plu et certains personnages m’ont paru un brin caricaturaux notamment avec des histoires d’amour un peu vite expédiées et « faciles ». C’est vraiment la dimension polar autour du braconnage que j’ai trouvée passionnante avec des paysages à couper le souffle et un dénouement haletant, mené de main de maître. Pour conclure, je dirais qu’il y avait sans doute quelques pages en trop pour moi mais je conseillerais tout de même cette lecture.

Un billet court pour un roman qui en mériterait un plus long.

 

« Lina agitait les oreilles tandis qu'arrivait la troupe émettant de longs grognements gutturaux. Les éléphants se frottèrent bientôt à elle en signe d'affection, enroulant leurs trompes en de savants messages olfactifs. Lina était leur guide, l'encyclopédie des chemins menant à la moindre mare d'été caniculaire et jusqu'aux rives de l'Okavango, tout là-bas vers le Botswana. La transmission de leur savoir permettait aux éléphants de survivre depuis des millions d'années, tous frères, sœurs ou gardiens des petits, constituant la même famille unie ; la harde ne craignait que les grands mâles en rut qui, au printemps et après quelques raclées infligées à leurs congénères, exigeaient leur saillie avec une tendresse de mirador. »

« Les San considéraient les éléphants comme leurs égaux. Pouvant nomadiser sur un territoire de dix mille kilomètres carrés, les pachydermes connaissaient par cœur les lieux de leurs ressources, cultivèrent leur paysage, comme les petits plans d'eau autour desquels ils gardaient une clairière dégagée pour se prémunir des attaques.  N'étant pas épargnés par les insectes suceurs de sang, ils confectionnaient des tapettes à mouches à partir de buissons, coinçaient les bâtons qu'ils n'utilisaient pas derrière l'oreille, comme des artisans avec un crayon.  Ils reconnaissaient jusqu'à cent individus au son de leur voix et se déplaçaient selon une hiérarchie bien intégrée par la troupe - si l'on déposait devant la meneuse l'urine fraîche d'un éléphant qu'elle savait derrière elle, cette dernière restait déconcertée - comment un proche pouvait-il se trouver à la fois devant et derrière ?»

 

 

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19 octobre 2023 4 19 /10 /octobre /2023 20:19

Le diplôme - Amaury Barthet - Albin Michel - Grand format - Librairie  Sillage PLOEMEUR

La trentaine, Guillaume est un prof d’histoire-géo de banlieue qui a mis une croix depuis longtemps sur les pouvoirs possibles de sa profession. Il est désabusé dans tous les domaines, aussi, quand sa compagne depuis quelques années, Cécile, annonce qu’elle le quitte, il la laisse faire avec nonchalance. La chance lui sourit puisqu’il rencontre illico presto Nadia, une jolie vendeuse de chez Zara avec qui il s’entend immédiatement très bien. Il comprend aussi que, cultivée et intelligente, elle vaudrait mieux qu’un poste mal payé. Après quelques nuits d’amour, il décide de tenter le tout pour le tout : il dérobe le diplôme de HEC de son bourgeois de frère Henri, le falsifie pour y accoler le nom de Nadia Azzaoui, et la pousse à passer un entretien correspondant à ce nouveau diplôme. La carrière inattendue de Nadia démarre comme un feu de paille.

Si l’écriture est simple et sans fioritures, l’intrigue est drôlement captivante et le lecteur est à la fois partagé entre un sentiment d’empathie vis-à-vis du gredin de personnage principal (surtout au début du roman) et un profond dégoût au fur et à mesure que l’histoire avance. En effet, si son acte malhonnête de départ peut se confondre avec une grande générosité, on comprend petit à petit que c’est un grand salaud qui ment à sa compagne en la trompant avec une escort-girl dès les premiers jours. Au final, c’est une comédie grinçante qui dénonce les joyeusetés de notre société actuelle où les notions de mérite et de talent sont mis à mal ; les suspectes ascensions sociales et les magouilles des dirigeants sont étalées en plein jour. A la manière d’une Karine Tuil, l’auteur nous manipule pour mieux dépeindre un être abject mais qui n’est qu’une pâle copie d’une société détraquée. C’est jouissif à lire car empli de sarcasmes et d’ironie, avec des ficelles volontairement grosses. J’ai passé un excellent moment, pas mal du tout pour un premier roman !

« En chemin, nous récapitulâmes le plan convenu. « On va passer en revue ta couverture une dernière fois, fis-je, en essayant péniblement d'imiter Mathieu Kassovitz dans Le Bureau des légendes. Tu es Nadia Azzaoui, né à Reims le 14 mars 1985, ça, c'est la vérité, on ne le change pas. Le pipeau commence à tes dix-huit ans : après ton bac S obtenu avec mention très bien au lycée Marc-Chagall, tu déménages à Paris pour effectuer deux ans de classe préparatoire à Janson-de-Sailly, puis tu intègres le programme grande école d'HEC exactement comme Henri, mais huit ans plus tard. Après un stage de fin d'études chez EY, tu fais tes armes au Boston Consulting Group en Conseil en stratégie, puis te tu te spécialises dans le conseil en stratégie chez McKinsey, particulièrement auprès des banques d'investissement. Aujourd'hui tu traverses une crise de valeurs, tu en as assez de travailler pour la finance mondialisée, donc tu cherches à bifurquer vers un secteur porteur de sens comme l'hôtellerie. Tu t'en souviendras ? »

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17 octobre 2023 2 17 /10 /octobre /2023 10:14

Seul le silence | R.J. Ellory,Richard Guérineau | Philéas

 D’après le roman de Ron Jon Ellory

Joseph Vaughan est le témoin indirect de dizaines de meurtres de petites filles, sur une période de trente ans. Victime collatérale d’un fou sauvage, il voit également sa mère devenir folle et ses deux compagnes successives mourir. Après quelques années de prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis, il sera enfin reconnu pour ses talents d’écrivain. Pour le résumé plus détaillé du livre, je vous renvoie à mon billet du roman.

Un de mes coups de cœur de l’été adapté en BD ; la barre était haute mais le défi a été brillamment relevé. Au scénario, c’est l’excellent Fabrice Colin (l’auteur de Bal de givre ou de Projet Oxatan, entre autres) qui a su savamment pratiquer ellipses et résumés (le roman fait quand même 600 pages), gardant les dialogues les plus percutants. Aux dessins, Richard Guérineau (que j’avais déjà aimé pour Après la nuit) a choisi essentiellement le sépia pour rendre hommage aux paysages de la Géorgie des années 50. Il a également réussi à faire vieillir notre Joseph pour qui l’empathie est peut-être encore plus prégnante dans cette version BD que dans le roman. La dimension tragique et l’horreur de ces 32 meurtres de fillettes sont retranscrites très justement et fidèlement avec l'apparition fantomatique des corps des filles qui exprime bien leur caractère obsédant pour Joseph. En bref, c’est une belle réussite même si je ne peux que vous conseiller de lire, avant tout, l’extraordinaire roman d’un auteur que je quitterai plus d’une semelle.

Seul le silence de Roger Jon Ellory, Fabrice Colin

 

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14 octobre 2023 6 14 /10 /octobre /2023 13:08

Ultramarins - Mariette Navarro - Quidam Editeur - ebook (ePub) - Librairie  Le Divan PARIS

 

Un cargo de marchandises en direction des Antilles avec à son bord une commandante et des hommes d’équipage qui, ce jour-là, obtiennent gain de cause : une belle pause leur est accordée, une baignade en pleine mer. Le moteur est coupé, la commandante seule garde le bateau, les hommes s’étonnent de prendre du bon temps. Cette parenthèse va avoir des retentissements importants pour la suite du voyage. Le nombre de marins ne colle pas avec les données de départ, la météo se révèle bien étrange et exceptionnelle et un halo de mystère entoure hommes et bateau.

En général, je choisis un livre pour son auteur ou parce que j’en ai lu du bien. Je démarre la lecture sans rien savoir de son contenu, sans jamais lire la quatrième de couverture. Ici, l’incipit fait mouche, tout de suite ; il m’a profondément touchée dès les premières lignes sur cette femme commandante de bateau dans cette immensité marine. La belle plume de l’autrice nous emporte instantanément dans de exquis abysses. Avec un charme fou, elle nous permet de côtoyer cet équipage où chacun reste anonyme, plongés que nous sommes dans cette étendue aquatique avec, pour seul point d’ancrage, cet immense cargo devenu bête. En peu de mots, la magie s’installe comme lorsque le second pose un petit galet lisse - cet objet venu de la terre - sur une carte, et en fait une « île ronde, rassurante, inhabitée. Une petite île de poche, mais immense par rapport à l’échelle de la carte, un continent nouveau. » Le lecteur se sent sans cesse délicieusement bousculé alors qu’il pense être dans un univers confortable, une tension apparaît et lorsqu’il croit que le drame ou le fantastique va surgir, c’est une ode à l’humanité qui est offerte avec délicatesse. Un condensé de poésie et de beauté et une œuvre impeccable à la fois pour sa forme et pour son contenu. Je reviendrai vers cette autrice qui est aussi dramaturge.

Un très beau COUP DE CŒUR !

« Ils commencent donc par là. Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l'océan. Se glissent dans l'eau. À des milliers de kilomètres de toute plage. Personne ne le saura jamais, mais c'est maintenant qu'ils naissent, de l'air vers l'eau, expulsés volontaires de leur condition verticale et de leur âge. L'espace d'une seconde ils renversent l'ordre des choses. Peut-être que quelque part des oiseaux prennent leur envol à l'envers ou qu’une rivière, d'un coup, remonte à sa source : voilà ce qu'ils pressentent, en vrac, et chacun dans sa langue. »

« Elle sait qu’on n’est pas toujours les bienvenus sur le dos des océans, qu’on ne peut pas impunément s’agripper à leur crinière. »

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