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13 juillet 2024 6 13 /07 /juillet /2024 14:45

Parce que les fleurs sont blanches de Gerbrand Bakker

Nous sommes aux Pays-Bas. Ils sont trois frères : les jumeaux Klaas et Kees16 ans et Gerson, 13 ans. Leur mère a disparu quelques années auparavant, ils savent seulement qu’elle est en Italie, elle envoie parfois des cartes postales avec quelques mots épars. Leur père, Gerard, vit tant bien que mal cette situation, il élève au mieux les garçons et cache difficilement son chagrin. Le Jack Russell, Daan, est l’ami fidèle de Gerson. Un accident de voiture va briser cet équilibre familial. Gerson, après quelques jours de coma, se retrouve complètement aveugle, sans espoir de guérison. Evidemment contrarié de tout ce qu’il ne peut plus voir, qu’il ne peut plus faire, il se confronte à la bienveillance et aux conseils de son entourage.

Il y a dans le début de ce texte une simplicité qui frise le burlesque : ces hommes vivant seuls avec la mère absente en tête, les quelques soucis d’intendance, la gestion bancale et maladroite du père qui met un point d’honneur à suivre son rituel de lavage de voiture « couleur morve », tout cela amène le lecteur à sourire avec tendresse. L’accident survient avec sa part de gravité et de grandeur, les frères vont tisser de nouveaux liens, le malheur du petit ne trouvera plus qu’une maigre réponse dans la présence du chien et l’impuissance de tous se fait émouvante. Tout en pudeur et en retenue, ce n’est pas un roman donneur de leçons qui fait de beaux discours mais qui ouvre discrètement et subtilement la porte d’une maison où une tragédie – comme il en arrive tant – a pris la première place. Et les sujets comme la résilience, l’habitude de la souffrance, le temps qui passe et qui devrait guérir sont mis à mal. D’une implacable justesse, l’auteur pose ses personnages et surtout ce Gerson (il lui donne régulièrement la parole), dans une impossible résignation. Le dénouement flirte avec le sublime. Un texte à lire, sans aucun doute !

Roman repéré chez Sacha, Keisha, Alex, Eva, entre autres... nous sommes toutes d’accord sur ses qualités.

L’accident : « Personne n’a rien vu, ça nous a pris au dépourvu. Nous riions et, quelques secondes plus tard, nous ne riions plus. »

« S’habituer. Si ce n’est qu’une question de temps, alors c’est comme la croûte qui se forme sur les écorchures. A la fin, il vous reste au maximum un petit bout de peau d’une autre couleur. A cause de teinte différente, vous savez qu’un jour il s’est passé quelque chose mais la teinte en elle-même a disparu, engloutie par la peau saine, engloutie par le temps. »

Gerson : « Quand je rêve, je vois. Mes rêves s’en moquent que je sois devenu aveugle. Je me demande comment ça se passe chez les aveugles de naissance. »

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9 juillet 2024 2 09 /07 /juillet /2024 10:20

Intrigue à Giverny (Grand format - Broché 2014), de Adrien Goetz | Grasset

Pénélope, conservatrice au Mobilier National, assiste à un dîner officiel au Musée Marmottan, pendant lequel deux femmes disparaissent pendant une brève extinction des lumières. Le plus dingue c’est que la première, Carolyne Square, une Américaine passionnée de Monet, est retrouvée morte dans un sauna parisien quelques heures plus tard et que la seconde, une bien étrange bonne sœur, Marie-Jo, demeure introuvable. A Giverny, on constate qu’un intrus s’est introduit, de nuit, dans l’atelier de Monet, mais que rien n’a disparu. Les mystères éveillent la curiosité de Pénélope, détective à ses heures perdues, et de son futur mari, Wandrille, journaliste chargé de réaliser la couverture du mariage entre Charlène et le prince Albert.

Vous est-il déjà arrivé de vous endormir devant un film que vous saviez super sympa ? de vous réveiller et de ne plus piger grand-chose à l’intrigue ? J’ai eu exactement cette impression en lisant ce livre pendant une période d’intense activité où je n’ai vraiment pas eu le temps de me concentrer sur ma lecture (c’est toujours un manque terrible pour moi de ne pas avoir ma dose quotidienne de lecture). Je n’ai pas saisi toutes les subtilités du roman mais je tenais à faire un billet parce que le contexte artistique est évidemment passionnant et, pour qui est allé à Giverny (comme moi en avril), c’est un vrai plaisir de redécouvrir les jardins et l’atelier de Monet ainsi que quelques jolis secrets. Malgré ma part de responsabilité, je pense tout de même que l’écriture de Goetz toussote, qu’elle manque un peu de fluidité, qu’à force de vouloir créer des images, il perd un peu son lecteur. Quelques longueurs et digressions (pas sur Monet, plutôt sur les habitudes alimentaires du couple Pénélope-Wandrille) m’ont paru inutiles et même leur relation avait un air factice. Avec ce flop, je ne suis donc pas sûre de renouveler l’expérience avec cet auteur pourtant décrit comme un maître du « polart » qui a réussi à m’ennuyer avec un thème qui m’enthousiasme.

Une nuit de juin 2011, Kintô Fujiwara, le directeur de la maison Giverny est réveillé par un fracas provenant de l’atelier de Monet : « Une branche a craqué. Il n’y a plus de vent. Le bruit s’est détaché sur le fond de la pluie. Kintô est assis sur son lit. Il écoute, dans son pyjama à carreaux. Cela va réveiller les fleurs. »

« La musculation c’est le contraire du sport, c’est le secret pour avoir un esprit malsain dans un corps sain. »

Les liens entre Monet et Clemenceau intriguent : « Monet rencontre par exemple Mrs. Asquith, un des contacts de Clemenceau, la femme de celui qui, en 1908, devient Premier ministre. On ne sait rien de leurs rapports, le seul document qu’on possède c’est l’autorisation d’accès à la Tour de Londres qu’elle lui a procurée. Voulait-il peindre ce haut lieu de l’histoire anglaise ? Aucun tableau n’en témoigne. »

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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 07:43

La route - Manu Larcenet - Dargaud - Grand format - Kléber STRASBOURG

  -   D’après l’œuvre de Cormac MacCarthy  -

Un homme et son fils errent au milieu de nulle part dans un monde apocalyptique où tout n’est que cendres, ruines et misère. Poussant leur caddie où se nichent de pauvres provisions et une vieille tente élimée, ils doivent trouver de quoi manger dans un univers où les humains ne sont plus nombreux mais aussi éviter les quelques personnes qu’ils seraient amenés à croiser. Les découvertes faites dans les maisons délabrées le prouvent : les hommes restants sont devenus des monstres, assassinant leurs congénères, allant jusqu’à les manger, pillant la moindre parcelle de nourriture et manifestant une sauvagerie effroyable. Père et fils tentent de joindre le Sud où un maigre espoir est permis mais entre le vol de leurs provisions, la maladie de l’un ou de l’autre, les mauvaises rencontres, ils meurent de faim et parfois de froid et avancent doucement. Ils parviennent cependant à rejoindre l’océan où l’attente est déçue.

Mort, peur et désolation. Je suis une grande fan de Larcenet et, malgré les éloges que j’ai pu lire au sujet de cette BD, je redoutais le moment de retrouver cette histoire sordide et terrifiante. Le résultat a dépassé mes craintes, je suis sortie de cette lecture abasourdie, nauséeuse et abattue, avec un mauvais goût dans la bouche et des idées noires. Mais il faut bien admettre que cette adaptation du roman qui m’a foutu une trouille bleue est une réussite. Préférant l’image au texte, Larcenet a choisi quelques dialogues qui sont là pour prouver à quel point le père protège son fils, à quel point le fils croit encore mais difficilement aux paroles de réconfort de son père. Mis à part un unique rire d’enfant et des regards d’amour entre les deux protagonistes, tout n’est que noirceur, une noirceur magnifiée par le crayon de Larcenet qui a su, avec une finesse extrême, reproduire le poudroiement d’un air vicié, comme si le malheur pénétrait tous les interstices des maisons en ruine, des êtres, de la peau, des cerveaux. L’innocence et les questions candides de l’enfant sont une petite perle dans cet univers gris et noir, noir et gris, ... et sa réponse « Alors d’accord » qui revient comme un refrain glauque et funeste. Du grand art même qui se lit en apnée.

J’espère tout de même que Larcenet nous reviendra avec son humour légendaire...

Critique BD : “La Route” de Manu Larcenet, l'adaptation parfaite de Cormac  McCarthy

Manu Larcenet : "Mon fond à moi, c'est la noirceur"

Une de mes séries préférées : Le retour à la terre.

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2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 14:42

Cézembre - Hélène Gestern - Grasset Et Fasquelle - Grand format - Librairie  des femmes PARIS

Yann de Kérambrun vient d’apprendre la mort de son père. Evidemment bouleversé, le chagrin ne le submerge pas non plus parce qu’il n’entretenait qu’une relation lointaine avec cet homme qui avait toujours été dur et froid. Divorcé et loin de son fils unique, l’historien qu’il est  décide cependant de quitter sa routine parisienne et d’investir la maison familiale située à Saint-Malo. Il fouille dans les affaires et les archives familiales et revient sur les pas de son arrière-grand-père, Octave, qui a fondé une compagnie maritime du même nom. Les contours des visages des aïeuls se précisent au fur et à mesure des investigations de Yann et le sort peu connu de Cézembre, l’île en face de Saint-Malo se retrouve intimement lié à un drame familial qui s’est répercuté inconsciemment de génération en génération. Rebecca, une mystérieuse femme croisée souvent sur la plage, va chambouler notre héros et, très discrètement, entrer dans sa vie.

Il faut vraiment détester la Bretagne pour ne pas aimer ce bon gros roman ! On y est, on respire cet air vivifiant, on assiste au spectacle de l’océan, tournés vers le large, maisons et humains dans le dos. Bien sûr, il y a cette histoire familiale et le parcours des trois associés à l’origine de la compagnie Kérambrun mais le roman porte bien son nom, c’est de l’île et de la mer dont il s’agit avant tout. Je n’ai mis les pieds à Saint-Malo qu’une seule fois mais je me souviens d’un choc, d’une rencontre à part avec une ville maritime des plus originales et des plus séduisantes. J’ai retrouvé dans ces pages toutes ces saveurs. Voilà le versant positif de ma lecture. Pour les ombres au tableau, il y a un petit côté mièvre et poussif dans l’histoire d’amour qui n’en est pas vraiment une entre Yann et cette belle jeune femme pleine de mystère. J’ai moins aimé aussi cette langueur à mener une enquête finalement très longue et pas toujours crédible (même si la pirouette finale est plaisante). Je ne pense pas réitérer avec cette autrice que beaucoup ont lue même si j’ai passé un bon moment (un livre à emporter en vacances, ça s’y prête bien !)

Je participe à deux challenges avec cette lecture : Book trip en mer  de Fanja (les îles et les bateaux restent la principale thématique du roman mais aussi la nage, la conception des bateaux, la vie côtière, Jersey, ...) et le Challenge Pavés de l’été 2024 de La petite liste (547 pages)

"L'île est là, encadrée par les montants des bow-windows. Même si ses reliefs paraissent moins saillants que sur la carte postale, la permanence du paysage est troublante : j'ai sous les yeux exactement le même panorama que celui que Octave a fait photographier, comme si le siècle qui nous séparait venait de s'effacer. J'imagine mon aïeul tiré à quatre épingles, la barbe bien taillée, le cheveu court, inflexible comme mon père, debout devant l'horizon ; à moins que ce jeune homme dynamique et inventif n'ait préféré des tenues plus chics, des guêtres, une fine moustache ou un chapeau melon."

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30 juin 2024 7 30 /06 /juin /2024 09:17

Je suis la bête - Andrea Donaera - Cambourakis - Poche - Librairie Goulard  AIX EN PROVENCE

Michele est mort, l’adolescent s’est défenestré. Son père, Mimí, chef de la Sacra, la mafia qui règne sur le territoire des Pouilles, cible l’objet de sa vengeance sur Nicole. En effet, la jeune fille se serait moquée de Michele et aurait envoyé promener ses déclarations d’amour répétées. Veli est le gardien de la cellule que Mimi a réservée pour ses prisonniers ; ils n’y restent que quelques jours en attendant... leur mort. Pas foncièrement mauvais, Veli accueille Nicole dans son antre. Cette proximité va déclencher un rapport inédit entre les deux êtres – Nicole surprenant son geôlier par sa spontanéité et sa candeur, tandis qu’à l’extérieur, Mimí fait régner la terreur et se laisse envahir par un chagrin devenu folie.

 

Quel curieux polar ! A la fois violent et sans concession, poétique et d’une incroyable beauté, il n’est pas sans rappeler la tragédie antique. L’auteur multiplie les voix et les points de vu, le résultat n’en demeure pas moins oppressant. Par son originalité, sa poésie et son efficacité, Je suis la bête est un roman dont je me souviendrai longtemps et que je ne peux que recommander. Je n’en fais pas un coup de cœur à cause d’une scène d’une effroyable répugnance et une fin que j’ai trouvée un peu emberlificotée. Si c’est un premier roman pour l’écrivain italien originaire des Pouilles, le bonhomme n’est pas un novice en littérature puisqu’il est l’un des fondateurs du centre de recherche du PEN sur la poésie contemporaine et les nouvelles formes d’écriture, et le directeur artistique du festival littéraire Poié à Gallipoli.

 

Mimí devant sa fille Arianna : « il est seulement le père de Michele, P. pour le moment il peut rien faire d'autre. Il a pas d'explication, c'est comme ça, depuis que Michele est mort, il sent qu'il a qu'un enfant, il sait pas comment l'expliquer, c'est comme ça. Puis Mimi se tait, sa fille aussi, ils se regardent. Mimi voudrait dire qu'il regrette, mais non, il n'y arrive pas, il ne sait pas pourquoi, il s'en va. Il laisse la porte ouverte. »

Veli, à propos de Nicole : « Je l'entends respirer. Je sais qu'elle ne dort pas. Et en effet elle parle bientôt, à voix basse. Ça me semble absurde de l'entendre parler ainsi, comme si c'était un acte de respect envers moi, une précaution pour ne pas me réveiller au cas où je dormirais déjà ».

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 09:14

Libro Green Manor: 16 encantadoras historietas criminales De Fabien Vehlmann ,Denis Bodart - Buscalibre

  -   16 charmantes historiettes criminelles   -

Un certain Thomas Below est interné dans un hôpital psychiatrique londonien, il a travaillé toute sa vie en tant que domestique au Green Manor’s Club. Le Docteur Thorne recueille ses confidences : dans ce club, sévissaient les criminels les plus rusés, se manigançaient les pièges les plus tordus, s’élaboraient les machinations les plus sournoises. Un meurtre sans victime, un crime sans meurtrier, des morts placées sous le signe de l’art, des empoisonnements, des lettres anonymes, une encre sympathique, des cadavres emmurés, des complicités féminines, des chasses à l’homme (au sens premier du terme), des coups de feu silencieux, ... tous les procédés sont bons pour rivaliser d’imagination et de cruauté.

Tout est dans le sous-titre, ou presque. Il s’agit de nouvelles policières généralement très courtes mais l’adjectif « charmantes » est à saisir dans un sens plutôt ironique puisque, dans cette société anglaise huppée de la fin XIXè, les esprits machiavéliques rivalisent d’inventivité et d’atrocité. C’est un plaisir de lecture d’entrer dans ce monde aussi cossu que perfide, où l’ignominie revêt son plus élégant complet-veston. Les 16 historiettes sont vraiment courtes (elles sont réunies ici mais il s’agit de trois tomes séparés) et je conseillerais de les lire au compte-goutte ; espacer la lecture permet de mieux savourer chacune de ces nouvelles (qu’on oublie un peu trop vite, dommage).

« Eh bien, jouons cartes sur table, George. Oui, ma réussite s’est construite sur le vol. Les affaires sont les affaires, n’est-ce pas ? Et oui, j’ai tué et je tuerai encore, tout simplement parce que ma fortune m’autorise à le faire sans risque. Voyez-vous, j’ai mis au point un système tout simple me permettant d’éliminer impunément n’importe quel homme dans cette ville. »

D'autres ouvrages de Vehlmann : Jolies ténèbres ; Les Cinq Conteurs de Bagdad

Green manor, bd chez Dupuis de Vehlmann, Bodart, Smulkowski

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24 juin 2024 1 24 /06 /juin /2024 11:13

Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson - Editions  Flammarion

C’est un podcast de Radio France qui m’a fait découvrir ce court récit non fictionnel, et qui me permet de participer au challenge Les classiques c’est fantastique chez Moka et Fanny. Ce mois-ci : « Tout plaquer, solitude, introspection & isolement ».

En septembre 1978, l’auteur que nous connaissons bien décide de faire un voyage seul, depuis Monastier, en Auvergne jusque dans les Cévennes. Après une courte réflexion, il choisit un âne pour porter ses bagages et son sac de couchage (il ne veut s’encombrer d’une tente). Modestine et l’homme ne s’entendent pas forcément bien d’emblée, la bête avance trop doucement et il lui faudra des coups de baguette pour accélérer (plus tard, Stevenson découvre l’efficacité de l’aiguillon...) En une bonne douzaine de jours, Stevenson trace son chemin, alternant nuits à la belle étoile et pauses dans les auberges, descriptions de ce qui l’entoure et digressions historiques.

Si l’écoute de cette histoire a été plutôt amusante et agréable, le récit narre surtout les péripéties d’avec Modestine (il ne dit l’apprécier que lorsqu’il doit la revendre, peu avant son arrivée), les tracas propres aux voyage (la chaleur, la nourriture, l’orientation) et les rencontres avec les campagnards (souvent bourrus mais d’aide précieuse), il m’a manqué des réflexions personnelles sur les ressentis de l’écrivain. D’introspection, il n’y en avait pas vraiment et les quelque 260 kms parcourus ont davantage été une ode à la nature qu’un cheminement personnel (l’ère de la méditation et du recentrement sur soi n’avait pas encore débuté). Pourtant, j’ai lu par ailleurs que Stevenson avait décidé d’accomplir ce périple essentiellement à cause d’une rupture amoureuse. En dépit de cette carence, la contemplation des paysages et la candeur touchante de Stevenson (il n’avait alors que 28 ans) offrent une sorte de bercement poétique et hypnotique (j’ai écouté le récit en courant, ça ne m’a pas fait avancer plus vite !) A découvrir, d’autant plus que l’itinéraire nommé plus tard le « chemin de Stevenson » est devenue un chemin de randonnée réputé.

« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le nid douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants. Hélas ! Tandis que nous avançons dans l’existence et sommes plus préoccupés de nos petits égoïsmes, même un jour de congé est une chose qui requiert de la peine. »

« Les étoiles étaient claires et colorées comme des joyaux, mais sans annoncer la gelée. Une légère vapeur argentée tenait lieu de voie lactée. Grâce à la blancheur du bas, je pus repérer Modestine qui tournait en rond au bout de sa corde.  Je l’entendais mâcher assidûment le gazon mais il n’y avait pas un autre son, à part l’indescriptible et doux murmure du ruisseau sur les pierres. »

« Personne ne connaît les étoiles s’il n’a pas dormi, selon l’heureuse expression française, « à la belle étoile ». Il peut bien savoir tous leurs noms et distances et et leurs grandeurs et demeurer pourtant dans l’ignorance de ce qui seul importe à l’humanité, leur bénéfique et sereine influence sur les âmes. Les étoiles sont la plus grande source de poésie. »

 

Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson
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21 juin 2024 5 21 /06 /juin /2024 16:26

L'île haute | Actes Sud

Vadim, un garçon de douze ans, a pris trois trains différents depuis Paris pour arriver près de Chamonix où l’accueille Eloi, cet « homme surgi du froid » qui l’emmène marcher longuement à travers des paysages glacials et enneigés. Nous sommes en 1943, officiellement, Vadim est envoyé sur les hauteurs, dans la famille de Blanche et Albert, pour soigner son asthme, officieusement, en tant que petit-fils de juifs, il va prendre le prénom de Vincent et fuir les nazis. Dès son arrivée, c’est le choc culturel et esthétique. Si l’air de Vallorcine semble lui réussir, il faut tout apprendre : le ski, la traite des vaches et des chèvres, le foin, la neige... mais après l’hiver, vient (tardivement) le printemps et une nouvelle nature prend forme. Moinette, petite fille du même âge, va contribuer à son apprentissage, se moquant parfois de sa naïveté de citadin. Martin, lui, jeune homme aveugle, lui fera écouter des mots jamais entendus jusqu’alors. Si le garçon se débrouille plutôt bien dans cette avalanche de nouveautés, le danger ne cesse de guetter.

Quelle merveille que ce roman !! Ode à la nature, il magnifie le quotidien à la montagne, sublime les changements de saison et permet à ce petit garçon qui pense n’être qu’une « fiction » de prendre vie une deuxième fois. C’est autant touchant que sublime, l’intrigue se tait régulièrement au profit des paysages, des fleurs, des animaux, des sons et des couleurs. L’écriture de Goby est un bijou de créativité, les images surgissent, magiques et puissantes, faisant de ces montagnes une « île haute », de celle qui sauve, à l’instar des monts Ararat qui ont marqué la fin du déluge de Noé. Certains pourraient reprocher à l’autrice de cumuler un vocabulaire pas toujours accessible (que de mots ai-je rencontrés pour la première fois !) mais je trouve que cette langue participe au voyage dans cette Arcadie reculée et j’ai mis du temps à m’arracher à ce microcosme avec vue sur le Mont Blanc.

Moinette demande à Vincent de ne pas révéler son secret, sa montagne préférée, les Drus : « Qu'est-ce que ça pourrait faire à la fin qu'il le dise ? Il ne comprend pas que Moinette leur construit une cabane. Un nid rien qu'à eux où elle accumule des trésors, des mots, des sensations, des images, c'est pourquoi ce matin-là elle confisque les Drus au monde et les offre d'un bloc à Vincent, à Vincent et à elle, elle a dix ans, ils sont seuls en haut de la côte et le paysage n'a été modelé que pour leurs yeux. »

Pour rendre la terre plus fertile, les enfants doivent ramasser des pierres : « Il perd du temps, il ramasse moins de pierres. Il n’a jamais vu de crocus, ni de coucous, ni de ces tussilages que Moinette appelle tacounets. Ni de ces moignons bizarres verts et blanchâtres qui crèvent la terre, les pétasites au nom évocateur de la bombe de fleurs qu’ils contiennent. Il n’a jamais vu de chatons de saule aux peluches douces, Moinette en fait de rapides bouquets – les pierres d’abord elle répond, quand il propose son aide -, ni de bourgeons de frêne, Albert dit qu’ils ressemblent à des pattes de chevreuil, il le croit sur parole. »

---     COUP DE CŒUR     ---

Et, après avoir également aimé Un paquebot dans les arbres et Kinderzimmer, j’ai choisi Valentine Goby pour être mon autrice chouchou via le challenge de Géraldine. (je me rends compte que mes auteurs préférés sont surtout des hommes... voilà de quoi équilibrer la balance).

 

 

L’île haute de Valentine Goby
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17 juin 2024 1 17 /06 /juin /2024 20:35

Des amitiés qui font grandir | Lelivrescolaire.fr

Eh non, je n’avais toujours pas lu ce qui semble être devenu un classique des robinsonnades.

Des garçons d’âge différent se retrouvent sur une île déserte suite au crash de leur avion. Ce ne sont que des enfants, certains sont très jeunes, d’autres un peu plus mûrs comme Ralph qui va tout de suite prendre le rôle du chef, assisté de Porcinet, ce petit garçon dodu et myope, pas très courageux mais intelligent et dont les lunettes vont permettre de faire du feu. Jack, lui, rassemble autour de lui les « chasseurs » occupés à chercher de la nourriture. Cette île a tout du paradis : bassins d’eau chaude, températures idéales, recoins gorgés de fruits délicieux, nuages de papillons, étendues de fleurs, eaux transparentes et zéphyrs bien agréables. « On peut rester ici jusqu’à ce qu’on meure » ne sera cependant pas longtemps valable. Ralph a bien conscience qu’il faut maintenir un feu allumé et une fumée assez haute pour attirer les éventuels secours. Mais Jack et ses copains ne l’entendent pas de cette oreille, c’est l’appât de la chasse et du gibier qui va être le plus fort et les enfants vont entrer dans un conflit qui tournera mal... très mal.

J’ai beaucoup aimé cette lecture, plus que je l’imaginais. En plus d’être une robinsonnade avec ses étapes plutôt prévisibles : des règlements à suivre (ou pas), la construction de cabanes, les bagarres, les amitiés créées, la peur d’un monstre, ... elle propose aussi une subtile réflexion sur l’appartenance à un clan, le passage à l’âge adulte, la tyrannie, la barbarie. Disons-le, ces gosses nous fichent quand même sacrément la frousse et certains deviennent vite des sauvages que l’humanité semble avoir quitté. Petite dédicace à Porcinet, ce petit sage précautionneux, affublé de sa conque, symbole de civilisation et de solidarité qui connaîtra la même destinée que lui. Une grande force, plus qu’une force, une violence, est insufflée dans le dénouement bouleversant et tragique qui crée de légitimes suspicions quant au genre humain. Roman classé littérature jeunesse (mon édition le destine à des 5è) qui me paraît ardu et complexe pour des petits, je dirais plutôt que c’est un texte intemporel aux allures de fable, riche, dérangeant et percutant que je suis bien contente d’avoir enfin lu.

J’adore cet incipit qui pose deux enfants que tout oppose sur un bout d’île paradisiaque : "Le garçon blond descendit les derniers rochers et se dirigea vers la lagune en regardant où il posait les pieds. Il tenait à la main son tricot de collège qui traînait par terre ; sa chemise grise adhérait à sa peau et ses cheveux lui collaient au front. Autour de lui, la profonde déchirure de la jungle formait comme un bain de vapeur. Il s'agrippait péniblement aux lianes et aux troncs brisés, quand un oiseau, éclair rouge et jaune, jaillit vers le ciel avec un cri funèbre ; aussitôt, un autre cri lui fit écho : « Hé, attends une minute, dit une voix. » [...] Celui qui parlait sortit à reculons des broussailles et des brindilles s'accrochaient à son blouson graisseux à la pliure des genoux, des épines mordaient sa peau nue et grassouillette. Il se baissa, les enleva soigneusement et se retourna. Plus petit que le blond et très gras, il s'enfonça en cherchant les endroits où poser les pieds et il leva les yeux derrière ses lunettes à verres épais."

Le premier cochon est enfin tué, sa tête devient un totem  : " Point d'ombre sous les arbres, mais partout une immobilité nacrée qui enrobait d'irréel la réalité et en effaçait les contours. Le tas d'entrailles formait une masse grouillante de mouches qui bourdonnaient avec un bruit de scie. Gorgées, elles se précipitèrent sur Simon pour pomper la sueur qui lui dégoulinait sur le visage. Elles lui chatouillaient les narines et jouaient à saute-mouton sur ses cuisses. Innombrables, noires et d'un vert irisé. Devant Simon, pendue à son bâton, Sa-Majesté-des-Mouches ricanait."

 

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14 juin 2024 5 14 /06 /juin /2024 07:56

La grande fête de rien du tout, tome 1 de la série de BD Pépin et Olivia -  Éditions Dupuis

Pépin est un petit garçon malin, espiègle, tête en l’air, qui n’aime pas l’école mais, par ses étourderies, vit parfois des aventures hors du commun. Avec sa grande sœur Olivia, ils s’aiment et se détestent, jouent ensemble et s’agacent aussi.  Aujourd’hui est un jour particulier, celui de la « fête » : très tôt, Pépin attend les invités, ne tient plus en place (« j’ai trop d’énervement dans les jambes... elles gigotent toutes seules »). La mère envoie les deux enfants dehors chercher les copains et c’est l’occasion de se souvenir de petites anecdotes : « La petite bêtise » raconte une catastrophe parfum sorbet cassis ; lors de la recherche du « cartable perdu », Pépin retrouve surtout un caniche très chic et un sac de billes ; « Dans la forêt » narre une promenade en forêt avec mamie où tout le monde s’est perdu (et la vieille femme dans la cabane isolée n’était finalement pas une méchante sorcière), « Le petit-déjeuner de cow-boy » permet à père et fils de se retrouver à l’aube, dans la campagne, et d’observer le réveil de la nature ...

Ce bon gros album se déguste avec plaisir, comme souvent avec Camille Jourdy c’est doux et tendre sans être guimauve. Certains se retrouveront sans doute dans ces jeux d’enfants (où les écrans sont absents), la candeur et l’innocence des propos de ce petit Pépin sonnent très justes. Les personnages allant des enfants au père de famille avec ses recettes loufoques (le cake thon-vanille n’est pas apprécié par sa femme, trop polie pour le dire) en passant par le voisin grincheux qui s’extasie devant les premiers flocons de neige, les personnages sont tous attachants. Les dessins comme les couleurs baignent dans cet esprit de jeu, de créativité, de bonne humeur. Pépin haut comme trois pommes (c’est le cas de le dire) étonne et nous fait sourire avec son esprit pragmatique et enfantin, ses remarques ingénues et pourtant pleines de bon sens. Et puis, c’est bon, exceptionnellement, de plonger dans un univers dénué de méchancetés, de guerre et d’horreurs. Merci pour cette douce parenthèse arc-en-ciel.

A mettre entre toutes les mains !

J’avais déjà pu apprécier le talent de l’autrice pour Rosalie Blum et Juliette.

 

La famille recueille et décide d’adopter un chaton :

- C’est le plus beau jour de ma vie !!

- Carrément ?

- Tu parles... Il dit tout le temps ça... Déjà la semaine dernière c’était pareil quand mamie lui a offert son jeu de construction.

- Ben quoi ? C’est normal que quand on est petit les plus jours de la vie changent souvent. 

Paloma, la petite copine, aime beaucoup Pépin :

- Et si on disait que loi j’étais une petite Indienne et toi un petit cow-boy ?

- Oui mais tu sais ils ne sont pas tellement copains les cow-boys et les Indiens...

- Ben dans mon jeu à moi ils sont très copains et même qu’ils vont se marier... 

Le voisin grognon :

- Sois raisonnable et arrête de faire l’enfant !

- Je suis un enfant !! 

Pépin et Olivia #1 | BoDoï, explorateur de bandes dessinées - Infos BD,  comics, mangas

 

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