Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 juin 2024 2 11 /06 /juin /2024 19:16

Ma reine - JEAN-BAPTISTE ANDREA - Iconoclaste - ebook (ePub) - Place des  Libraires

J’avais tellement adoré Cent millions d’années et un jour et Des diables et des saints, puis aimé Veiller sur elle (vous saisirez la nuance du changement de verbe) que je ne pouvais pas ne pas lire le premier roman de cet écrivain (dont j’aurai ainsi tout lu).

En Provence, dans la vallée de l’Asse, dans les années 60. Un garçon vit avec ses parents dans une station-service. Il ne va plus à l’école et, après des mois de « formation », il a le droit de servir l’essence. Ses parents hésitent à le placer dans un institut spécialisé parce qu’il ne comprend pas grand-chose, il a du mal avec la notion de temps, il ne retient pas tout ce qu’on lui dit, presque rien... c’est un simplet moqué à l’école quand il était petit, malmené par un père peu conciliant. Il décide alors de partir faire la guerre pour prouver qu’il peut être un adulte, se battre et revenir avec des médailles. La guerre, c’est au-delà de la station, derrière la colline, donc celui qu’on surnomme Shell à cause de l’inscription dans le dos de son blouson, s’en va un beau matin. Dans cette fugue vers un ailleurs qu’il ne connaît pas, il va rencontrer Viviane, 13 ans. Elle va devenir sa reine, celle qui lui donne des ordres et qu’il se doit de respecter, celle qu’il va aimer et lui donner de la vie une autre saveur.

Dans une nature rude mais accueillante, un être sans malice doté pourtant de tant d’autres qualités, va se retrouver seul faisant preuve de courage puis sera accompagné par petites touches de Viviane, ensuite d’un berger mutique nommé Matti. La beauté se niche aussi dans ces deux personnages qui ne jugent pas Shell mais l’accueillent avec simplicité et bienveillance. S’il n’a pas la force des romans cités plus hauts, s’il est vrai que j’aurais aimé un autre protagoniste que cette figure du naïf (très courante quand même), que j’aurais aimé une ultime rencontre avec les parents, j’ai tout de même beaucoup apprécié ce livre empli de tendresse et d’humanité. Entre conte et récit d’apprentissage, l’auteur nous emmène dans un endroit reculé, un nouvel Eden, pour tantôt admirer des peintures rupestres, tantôt garder des moutons mais toujours suivre les pas de ces enfants devenus des magiciens à leur manière. Pour reprendre une image du roman, c’est doux comme ces vêtements mouillés qu’on étale sur l’herbe au soleil, qu’on grelotte de joie en attendant qu’ils sèchent. Jean-Baptiste Andrea crée des étincelles qui me charment, il touche là où c’est secrètement le plus beau.

« Elle a ri et, je ne sais pas pourquoi, j’ai ri aussi. Je n’avais pas eu d’amie avant, et je crois que c’était ça qui se passait. »

 Quand Matti veut lui servir de la gnôle : « [...] j’avais bu une bière en douce un jour et ça m’avait fait faire encore plus de bêtises que d’habitude. Il a haussé les épaules, il a avalé le verre d’un trait et il a fait claquer sa langue contre son palais. Son eau-de-vie sentait les prés après la pluie, les fleurs mouillées, mais avec une amertume derrière qui disait que l’orage n’était pas complètement passé. »

« Je pense que c’est là, parmi les tiges sèches qui me piquaient les chevilles, que j’ai doucement glissé hors de l’enfance pour devenir un homme. Tout ça, c’était très simple quand on y pensait. Je n’avais qu’à aimer la colère de Viviane autant que son amitié. Elles étaient belles toutes les deux puisqu’elles venaient d’elle. Il suffisant de savoir regarder. »

Partager cet article
Repost0
8 juin 2024 6 08 /06 /juin /2024 11:44

Les Naufragés du Wager - David Grann - Editions Du Sous Sol - Grand format  - Place des Libraires

Le roman aux milliers d’éloges... ou pas loin. Il me tardait de découvrir cet auteur.

En 1740, une flotte britannique quitte l’Angleterre pour piller les trésors espagnols au large du Chili, dans un contexte de guerre Angleterre/Espagne. Le vaisseau de ligne Wager en fait partie. Après avoir bravé les mollusques qui rongent la coque, les dangers du tumultueux Cap Horn, les cadavres dont il faut se débarrasser, les 250 marins avec, à leur tête, le capitaine David Cheap, sont confrontés à la tempête du siècle mais doivent aussi faire face à une épidémie de scorbut (un peu de typhus aussi, tiens). Les obstacles, problèmes et périls atteignent leur acmé quand le bateau fait naufrage sur une île au large de la Patagonie. Ils ne sont plus que quelques dizaines de misérables loqueteux tiraillés par la faim et la peur, et la rudesse de l’île ne permet guère de vivre décemment. Il est temps de prendre une décision : soit poursuivre la mission qui leur a été attribuée, soit faire marche arrière et regagner la côte est de l’Amérique du Sud. Cheap et l’enseigne du Wager, Byron (16 ans et le petit-fils du poète !) restent sur l’île et tentent de gagner Chiloé, une île chilienne, tandis que Bulkeley, le canonnier, un homme pieux qui aime tenir son journal, dirige le groupe des mutins.

Après un début un peu longuet consistant à présentant les personnages principaux, le roman gagne en profondeur, se laisse porter par la houle grondante et le lecteur se retrouve (presque) aussi chaviré que les personnages. Le rythme est haletant, l’auteur maîtrise son sujet, il n’y a pas à dire (la bibliographie en fin d’ouvrage le prouve et Grann est allé jusqu’à passer trois semaines sur l’île), il intercale des témoignages authentiques et des images de cartes et de portraits du personnel du Wager afin d’apporter cette petite touche de réel qui fait mouche. C’est une robuste épopée où le mot « aventure » prend tout son sens. La vie sur l’île hostile et glaciale est à peine atténuée par la rencontre d’indigènes que les Européens continuent à traiter de « sauvages ». On assiste également à toutes les étapes d’une robinsonnade (à plusieurs) :  le besoin de civiliser l’île, la constitution de clans, l’émergence des menteurs, des voleurs, des chefs, des désespérés, la construction de « maisons », la construction de bateaux...  Pour écrire ce roman s’inspirant de faits historiques, l’auteur imbrique toutes les pièces d’un puzzle gigantesque et rend un bel hommage à  cet extraordinaire périple dont peu reviendront. Mission accomplie, dépaysement garanti. J’en redemande mais trop non plus parce que c’est loin d’être mon genre de prédilection. Il m’a manqué un élément primordial de la littérature : le sentiment ! Les personnages évoluent au gré des vagues, des ordres, des mutineries, du vent... ça ne me suffit pas ! J’ai aussi trouvé la fin un peu vite expédiée même si c’est le dénouement même de cette aventure qui a voulu ça (chacun a dû rendre des comptes une fois revenu en Angleterre). En bref : certains ont bien plus aimé que moi !

Grâce à cette lecture, je participe au challenge maritime de Fanja, Book Trip en mer.

La tribu rencontrée, les Kawésqars : « Au fil des siècles, ils s'étaient adaptés à la rudesse de leur environnement. Ils connaissaient pratiquement les moindres recoins de la côte et portaient en eux des cartes mentales de ces dédales de chenaux, de criques, de fjords. Ils connaissaient les abris protégés des tempêtes, les torrents de montagne aux eaux cristallines que l'on pouvait boire sans danger, les récifs chargés d'oursins, d'escargots de mer et de moules comestibles, les anses où se regroupaient des bancs de poissons et les meilleurs endroits, en fonction de la saison et des conditions climatiques, où chasser le phoque, l'otarie et le lion de mer, le cormoran et le brassemer cendré. »

Partager cet article
Repost0
5 juin 2024 3 05 /06 /juin /2024 14:40

Le grand incident - Zelba - Éditions Futuropolis - ebook (ePub) - Librairie  de Paris PARIS

Le Louvre a rouvert ses portes depuis peu et les règles ont changé : désormais, les hommes majeurs doivent laisser leurs vêtements au vestiaire. Femmes et enfants déambulent donc toujours dans le musée habillés mais les visiteurs masculins se promènent nus. Pourquoi donc ? C’est très simple : les nus féminins se sont offusqués une ultime fois (avec la photo obscène de trois ados, l’un touchant les seins d’une statue féminine) avant de disparaître. Tous les nus de femmes sont devenus invisibles et seule Teresa, une femme de ménage, peut encore entendre leur rébellion : attouchements, insultes, remarques misogynes et déplacées. Pour le directeur du musée et sa sœur, c’est une catastrophe, le musée doit fermer et on invoque des raisons sanitaires pour justifier ce « grand incident ». Vous l’aurez compris, ce n’est que lorsque les hommes accepteront de se dévêtir aussi que les œuvres féminines réapparaitront.

 Quelle lecture jouissive !! Dès les premières planches, on accroche à cette situation toute nouvelle et fort cocasse. Si on passe une bonne partie de la BD à sourire, le reste est dédié aux œuvres d’art et certaines histoires de nus artistiques sont bien retracées ici comme cette fameuse Suzanne épiée par deux vieillards menaçants qui a été peinte un bon nombre de fois (Véronèse d’abord, d’autres ensuite ...prenant rarement parti pour Suzanne). L’autrice revendique sa BD « conte fantasticomique », elle en profite pour faire parler les œuvres en vers mais surtout pour apporter un éclairage différent sur la perception de la nudité. J’ai pensé à mes élèves qui ont parfois du mal à accepter la nudité en peinture ou en sculpture (cela se traduit par des gloussements ... à peine sonores et des regards en coin quasi lubriques). Zelba a vraiment le don de raconter et de nous faire entrer dans son univers, j’avais déjà apprécié son talent pour Mes mauvaises filles (avec un sujet bien plus grave). Une artiste à suivre !

A noter, en passant comme ça hein, qu’à la tête du Louvre se trouve enfin une femme depuis 2021, Laurence des Cars, après une petite trentaine de directeurs masculins, depuis 1802.  

Kouros :

« Ici, l’art grouille de femmes à poil... De nos jours, c’est d’un banal !

A l’origine, c’était nous les nus,

bien des siècles avant Jésus.

A l’ère de l’Antiquité grecque,

Moult zobs et point de schneck.

Depuis, les temps ont bien changé,

Les meufs ont tout ensorcelé.

Ont monopolisé l’espace

A coups de coude, à coups de grâce.  »

 

--- Coup de cœur ---

Le Grand incident, bd chez Futuropolis de Zelba

Partager cet article
Repost0
2 juin 2024 7 02 /06 /juin /2024 22:13

Le Soldat désaccordé, Gilles Marchand | Livre de Poche

Le narrateur, un ancien combattant de la guerre 14-18 y a beaucoup perdu : une main, ce qui l’a relégué à des tâches différentes pendant la guerre (comme chauffeur), et sa fiancée, Anna, qu’il aurait voulu mieux aimer. Pour compenser ces pertes, il s’acharne à retrouver des disparus réclamés par des familles malheureuses. Ainsi, il mène une enquête approfondie pour retrouver Emile Joplain, un fils de riche qui est tombée amoureux d’une pauvre Alsacienne employée à servir sa famille, Lucie Himmel. Cette guerre qui ne devait durer que quelques semaines va séparer les amants mais chacun n’aura de cesse de tenter de retrouver l’autre. Le narrateur, de témoignages en lettres retrouvées, de chansons en récits de souvenirs, entre Paris, l’Alsace ou encore Arras, va avancer doucement, plutôt piétiner souvent, pour dénicher un semblant de vérité et se redécouvrir soi-même par la même occasion.

J’avais lu beaucoup d’avis positifs au sujet de ce roman, ils sont amplement mérités, l’histoire bouleversante des personnages principaux est servie par une plume sensible, délicate et parfois créative. La poésie se mêle à cette enquête un peu insensée et la photographie de cette période d’entre-deux-guerres paraît très juste, celle de la barbarie de la Première Guerre l’est tout autant. Le dénouement va de surprise en surprise et j’avoue avoir été malmenée, avec grand plaisir, pour délier les fils de cette intrigue complexe. Et puis, il y a l’amour, ah, qu’il est joliment décrit, ce sentiment si pur et si candide qui unit Emile et Lucie même si le destin leur a fait une blague de très mauvais goût. Une lecture très très agréable que je recommande et un auteur que je vais suivre !

Pendant la guerre, les prisonniers allemands qui passaient : « Certains les insultaient. D’autres leur parlaient. Moi, j’évitais. Ils nous ressemblaient trop. Et puis ça se voyait qu’ils étaient perdus, qu’ils avaient peur, qu’ils étaient fatigués, qu’ils avaient des poux tout comme nous. Je ne voulais pas prendre le risque de les trouver sympathiques. Si on avait su qu’un Boche c’était rien qu’un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus. »

« Un merle noir grignotait son troisième lombric de la matinée, se disant que ce n’était pas raisonnable mais qu’on n’avait qu’une vie. »

« En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco chanélait, André bretonnait, Maurice chevaliait. »

Partager cet article
Repost0
30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 15:01

 

Inconditionnelles - broché - Kae (Kate) Tempest, Dorothée Munyaneza - Achat  Livre ou ebook | fnac

Cela fait bien longtemps que je voulais découvrir cette autrice aux multiples talents (poétesse, musicienne, romancière, essayiste, ...) dont je connaissais un peu la poésie.

Chess et Serena sont en prison où elles se sont rencontrées, et aimées. Chess est incarcérée pour vingt-cinq ans pour avoir tué son compagnon trop violent et Serena pour vol avec violences. Cette dernière bénéficie d’une libération conditionnelle, une nouvelle qui l’effraie autant qu’elle la soulage. Chess, pour tromper sa peine de perdre Serena, retrouve Silver, une professeure de musique qui va lui permettre d’extérioriser tout le talent de la détenue par le biais de chansons. Silver n’est là que pour mettre en avant des textes écrits par la détenue, déjà beaux et travaillés, car Chess a composé pour sa fille si loin d’elle.

La pièce de théâtre découpée en 23 scènes est suivie d’un petit carnet de partitions de chansons composées par Kae Tempest. Poèmes et chansons (de Kae Tempest ou d’autres : Diana Ross, Michael Jackson, Bill Withers, Conroy Smith...) reviennent régulièrement rythmer ce beau texte à la fois très fort et pudique, délicat et violent. Il y a des passages magnifiques comme celui où Chess fait tout pour que Serena vive une vraie vie à l’extérieur, loin des affres de l’univers carcéral, lui demandant de l’oublier, de prendre un chien et de mettre une croix sur sa vie en prison ; celui aussi où Silver doit faire face à la violence explosive de Chess qui finira par se muer en ardeur musicale ; l’acmé de la pièce qui envoie le texte de Chess pour sa fille Kayla en pleine figure des lecteurs/spectateurs ... whaouh !. Une très belle pièce au titre parlant, à lire, à voir ou à jouer (être musicienne me semble être indispensable pour les rôles de Chess et Silver). Je poursuivrai ma découverte de cette autrice qui, on le sent, s’échine à ouvrir toutes les écoutilles de la compréhension humaine, prône la tolérance et l’acceptation de l’autre.

Je ne suis cependant pas sûre de continuer à chroniquer mes lectures théâtre au vu du peu de succès qu'elles rencontrent. (c'est pas grave, hein)

« L’amour m’a mise sous les verrous,

L’amour m’a menottée.

Je ne pouvais pas sourciller,

Je lui appartenais.

Je commençai à croire,

Qu’il était comme un dieu.

Je me suis enfermée pour lui, 

J’en ai perdu mes envies.

 

Une fois le jour venu,

Les sirènes dans la rue –

Et lui en tas à mes pieds étendu.

Il avait l’air si doux tout à coup,

Comme endormi

Couchée à ses côtés

J’ai attendu les condés. [...]

 

J’ai pris vingt-cinq piges – plus que mon âge,

La première nuit, j’avais compris que je n’avais pas pleuré depuis des années

Pa’ce que mes larmes le mettaient en colère, à présent j’ai pleuré

Chaque nuit pendant un mois, et puis je m’endormais.

 

Les cinq premières étaient sévères,

Les cinq suivantes un enfer,

Ma gamine grandit

Sans sa mère ni son père »

 

Serena qui redoute la sortie de prison : « Qu’est-ce que je vais faire ? Jamais gagné de la thune autrement que par les moyens qui m’ont conduite ici. Deux mômes à nourrir et je sais même pas ce qu’ils aiment manger. Dehors, tout est contre moi. Ici, je t’ai toi et tout a du sens. »

Partager cet article
Repost0
27 mai 2024 1 27 /05 /mai /2024 10:55

L'homme et le loup et autres nouvelles - Jack London - Le Livre De Poche  Jeunesse - Poche - Place des Libraires

J’ai choisi ce titre pour participer au beau challenge Les classiques c’est fantastique chez Moka et Fanny (la saison 5 démarre, n’hésitez pas !) Le thème porte ce mois-ci sur la nature. Je pense être dans les clous avec ces six nouvelles nous emmenant dans une nature lointaine et dépaysante.

« L’homme et le loup » : Ils sont deux, fatigués, chargés de ballots, affaiblis par des jours de marche. Mais Bill abandonne son compagnon de route sans se retourner parce qu’il peine à traverser une rivière. Ils devaient se retrouver à une cache près du Dease Lake au Canada mais la faim et une cheville douloureuse ont eu raison de la ténacité de l’homme (il va jusqu’à manger des vairons et des poussins vivants, et sucer des débris d’os de caribous !) Il croise un ours qui ne l’effraie même pas et sera suivi par un loup malade en quête de nourriture, comme lui. Ces « carcasses mourantes » finiront à se livrer à une sorte d’accolade macabre pour savoir qui mangera l’autre. Dans cette nouvelle, trois entités cohabitent : la nature, l’homme et le loup, et la nature sortira grand vainqueur de ce match tragique.

« Le fils du loup » : Dans le Yukon, Scruff Mackenzie, un homme blanc « chasseur d’élans » se rend chez les Sticks, des Amérindiens, pour trouver une femme. Il a jeté son dévolu sur la fille du chef, Zarinska. Mais la tribu est méfiante devant ce « fils de loup » et seul un combat entre deux hommes tranchera... C’est la nouvelle que j’ai le moins aimé.

« Bâtir un feu » : il me semble que la BD (géniale) de Chabouté  a contribué à faire connaître cette belle et effroyable nouvelle où on assiste à la mort d’un homme, perclus de froid. -40 degrés : tout est de neige ou de glace dans cette région du Yukon. Un homme avance seul avec un husky indigène sur les talons. Il peine à manger parce que ses doigts s'engourdissent en quelques secondes, il ne sent plus ses orteils mais parvient tout de même à faire un feu ... qui s'éteint lorsqu'il enlève ses chaussettes. On assiste ainsi à la mort de cet homme courageux mais naïf et stupide qui, les doigts morts, ne parvient plus à utiliser les allumettes. D’une effrayante tristesse.

« Chris Farrington, un vrai marin » : c’est la revanche du p’tit jeune !  Sur la Sophie Sutherland, un trois-mâts qui chasse le phoque pour sa fourrure au large du Japon, Chris, un gamin, a l’occasion de montrer ses compétences lors d’un typhon où c’est lui seul qui va manœuvrer et donner ses ordres à un capitaine impuissant.

« Les redoutables îles Salomon » : cette nouvelle se distingue des autres par sa dimension comique : si les îles Salomon sont réputées dangereuses et hostiles, le capitaine Malou va jouer avec les clichés et la grande naïveté de Bertie pour lui présenter des indigènes cannibales et sanguinaires et une vision démesurément effroyable des lieux. C’est plutôt léger et agréable à lire !

« Repousser un abordage » : Bob et Paul sont deux jeunes hommes amis qui ont réussi à s’acheter un voilier, le Mist. En naviguant dans la baie de San Francisco, Paul se plaint que la véritable « aventure » a disparu en ce début XXè siècle lorsqu’ils se font attaquer par deux pêcheurs italiens qui leur en veulent parce que le Mist a cassé leurs filets. Paul aurait mieux fait de se taire...

Jack London oppose souvent la civilisation à la nature sauvage démontrant que c’est rarement l’homme qui a raison. Dans un cadre rude et hostile, il parsème de petites étincelles d’humanité, toujours bonnes à prendre et servies par une écriture imagée et efficace. Je pense que je garderai surtout en mémoire la nature glaciale et impitoyable du Grand Nord.

Extrait de « L’homme et le loup » : « Pourtant, l’été indien se maintenait et il continuait de ramper et de s'évanouir, tour à tour, et, toujours, le loup malade toussait et haletait sur ses talons. Ses genoux étaient devenus de la viande crue, comme ses pieds. Bien qu'il les ait protégés avec la chemise qu'il portait précédemment sur le dos, il y avait une traînée rouge qu'il laissait derrière lui sur la mousse et sur les cailloux. Une fois, en tournant la tête, il vit le loup lécher avidement, sa traînée rouge ; il perçut alors avec acuité ce que pourrait être sa fin - sauf si - sauf s'il pouvait tuer le loup. »

Le froid dans « Bâtir un feu » : « Le givre que créait sa respiration avait saupoudré sa fourrure d'une poussière de gel ; les bajoues, le museau et les cils étaient plus particulièrement blanchis par la cristallisation de son haleine. La barbe et les moustaches rousses de l'homme étaient pareillement gelées, mais de manière plus solide, le dépôt prenant la forme de glaçons qui grandissaient à chaque fois que s'exhalait son souffle tiède et humide. De plus, l'homme chiquait et une muselière de glace lui collait aux lèvres, avec tant de rigidité qu'il ne pouvait pas dépasser son menton quand il crachait le jus de la chique. »

L’homme et le loup et autres nouvelles de Jack London
Partager cet article
Repost0
24 mai 2024 5 24 /05 /mai /2024 19:10

 

               Lune sanglante - Livre de James Ellroy

                Alors que Theodore J. Verplank pense s’apprêter à rejoindre une amoureuse qui l’a contacté via un petit mot doux, il tombe dans un piège tendu par trois ados de son âge qui l’humilient, le frappent et le violent. Cet être abîmé va devenir un tueur en série dont les meurtres frisent la perfection. Il tue des jeunes femmes qu’il pense « sauver » et le mode opératoire change à chaque fois. Après des crimes masqués en tentatives de suicide, la violence et l’abjection prennent le dessus et la 21ème victime est retrouvée pendue et éviscérée. Le sergent Lloyd, très intelligent et totalement dévoué à la recherche de l’assassin, fait enfin le lien entre les différents meurtres. Il délaisse sa femme et ses filles pour accomplir une mission où il va prendre une part toute personnelle.

J’avais oublié à quel point l’écriture et l’univers d’Ellroy secouaient ! C’est pourtant dans ce monde sombre et violent que se produisent de petites étincelles. J’ai dû m’accrocher lors les cinquante premières pages, la narration est plutôt tarabiscotée et les visions d’horreur récurrentes. Finalement, ça fonctionne vraiment quand l’enquête démarre. Ce que j’ai aimé, c’est qu’on n’est pas dans un monde manichéen : Lloyd auquel le lecteur s’attache vite parce qu’il est brillant, investi dans sa mission de trouver le meurtrier, éminemment bon et humain, est trop peu présent pour sa femme qu’il adore, il va coucher avec d’autres femmes (qu’il aime aussi !). Il prend du temps, le soir tard, pour raconter des histoires (sordides certes) à sa plus jeune fille. Et puis il y a cette admiration que lui voue un ancien qui a tout de suite compris qu’il avait affaire à un génie, une « intelligence policière suprême ». L’écriture d’Ellroy est d’un tranchant efficace qui ne peut laisser indifférent. J’ai moins aimé me perdre dans la multitude de personnages et dans une narration un peu alambiquée (pas seulement au début). Et puis cette surenchère de violences et de barbaries... oui, bon ok, c’est un roman noir. Noir, noir.

Mon coup de cœur allait au magistral Dahlia noir.

 

« Des souvenirs aveuglants de Julia se balançant de la poutre de plafond de sa chambre à coucher se mêlèrent à ce qu’il venait d’apprendre pour le convaincre que, d’une manière ou d’une autre, pour quelque raison atroce, infernale, la folie de son meurtrier atteignait son paroxysme. Lloyd baissa la tête et adressa une prière à ce qui semblait être son Dieu rarement invoqué : « S’il te plaît, laisse-moi l’avoir avant qu’il ne fasse du mal à quelqu’un d’autre. »

Partager cet article
Repost0
21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 09:17

La méduse de Boum

Odette est vendeuse en librairie et vit seule. Depuis quelque temps, la jeune femme voit une petite méduse noire devant elle et, après consultation d’un ophtalmologue, effectivement, il y a une tache en forme de méduse dans un de ses yeux. On ne lui donne ni réponse ni traitement. Odette tombe amoureuse de Naina, une cliente de la librairie, leur relation sans contrainte est simple et jolie. Mais Odette voit arriver une autre méduse, ... une dans chaque œil, elle commence à s’inquiéter mais le cache à Naina.

C’est un roman graphique original et touchant que signe une autrice québécoise (nul besoin d’aller lire sa biographie, le parler québécois sent délicieusement bon dans chaque planche). Avec pudeur et poésie, elle évoque une maladie qui l’a personnellement touchée (puisqu’elle souffre de maladie oculaire) et qui renvoie, à tout lecteur, je pense, une angoisse, celle de perdre la vue. Le personnage principal est d’emblée attachant car décrit avec tendresse et la relation avec Naima semble naturelle et saine. La thématique est pourtant fortement anxiogène et le traitement qui en est fait n’épargne pas le lecteur. J’aimerais bien lire autre chose de cette dessinatrice.

Si j’ai beaucoup aimé cette BD, j’ai quand même l’impression que les parutions de ces dernières années ont du mal à sortir des thématiques de mort, maladie, handicap...

La Méduse - (Boum) - Drame [CANAL-BD]

Partager cet article
Repost0
18 mai 2024 6 18 /05 /mai /2024 11:49

Together ; la régression - Dennis Kelly - L'arche - Grand format - Librairie  de Paris PARIS

Encore du théâtre !

Un homme et une femme. Le 17 mars 2020, au premier jour du confinement en France. Ils se déchirent, s’insultent, se crachent leur haine au visage et se demandent comment ils vont pouvoir vivre dans cette proximité forcée. Leur garçon, Arthur, assiste à ces scènes terribles et, lui-même un peu étrange, ne dit rien. Les jours passent, les secrets se révèlent, les mensonges s’avouent et ceux qui se haïssaient finissent par se rapprocher à l’heure où le monde entier se disloque. La grand-mère est à l’hôpital, en fin de vie, mais aucun de ses proches ne pourra assister à sa mort. Chacun peut doucement sortir de la maison, reprendre une vie sociale mais le couple poursuit ce duo sordide, parfois plus tendre, souvent sadique.

C’est une pièce que je ne voulais pas voir parce que je n’ai pas bien vécu cette période Covid que j’ai envie d’oublier (et j’y arrive plutôt bien) et pourtant, elle est devenue un de mes coups de cœur de ces derniers mois.  Si ce couple s’exprime avec violence, il n’en demeure pas moins que cette longue cohabitation et cette situation pandémique ont, partout, modifié les relations entre les humains ; ce n’est finalement que l’image d’un homme et d’une femme ordinaires. Au début de la pièce, la femme paraît beaucoup plus défendable et morale que son homme, la tendance se renverse astucieusement lorsqu’elle révèle des souvenirs atroces dont elle a été responsable. Failles, erreurs, incompréhensions et doutes sont exacerbées. Le jeu des acteurs, absolument excellent, a parfaitement su exprimer cette attirance-répulsion par le biais d’une dimension politique intéressante (la femme, de gauche, est une fausse gentille, l’homme, de droite est ouvertement méchant), grâce également à un dispositif de mise en scène original puisque les spectateurs sont sur la scène, dans une proximité qui permet d'être complètement plongés dans l'intimité du couple. On ne ressort pas indemnes de cette représentation d’une tension brutale, d’une émotion grandissante. Bravo au metteur en scène, Arnaud Anckaert, et aux deux comédiens.

La Cie du Théâtre du Prisme vient du Nord mais elle tourne dans la France entière, les prochaines dates sont ici.

Together | La Ferme Corsange | BilletReduc.com

Partager cet article
Repost0
15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 14:50

Le ciel ouvert | Actes Sud

Notre narrateur-auteur a trouvé l’amour, l’Amour, celui qu’on éprouve à quarante passés, celui qui est interdit parce que la belle (princesse ?) n’est pas (encore) libre, celui qui fait écrire n’importe quoi. Pas n’importe où puisque tout se passe par Instagram où Nicolas Mathieu a, publiquement ou en privé, posté des messages destinés à son amoureuse. Il y parle de cette relation, de ce couple qui n’en est pas tout à fait un, de ces rencontres trop éphémères, du manque et de l’absence, de la vie, de la décennie, du temps qui passe.

Pour tout vous dire, je suis du genre rapide pour écrire un billet, je termine le livre et j’écris ma petite bafouille dans les 24h qui suivent en général. Là, j’ai retardé l’affaire... et pour cause, comment dire d’un de ses écrivains préférés qu’on n’a pas du tout du tout aimé son livre ? Argh, ça m’arrache les doigts du clavier mais du début à la fin, je suis restée à côté de cette pseudo déclaration d’amour à laquelle je n’ai pas cru une seconde et qui m’a terriblement agacée. D’abord, Nicolas Mathieu passe un temps fou à parler du cul de sa maîtresse ou de ses cuisses lisses (peut-être suis-je un brin jalouse !), il nous répète aussi à peu près 23 fois qu’elle fume beaucoup et tout le temps en s’occupant de ses gosses. Ensuite il prouve par A+B que (ô scoop), l’amour à 40 ans n’est plus aussi insouciant que l’amour à 15 ans. On ne se l’explique pas trop mais, au bout d’un moment le sujet dévie complètement (heureusement, en fait), et là, les réflexions sur la vie dans les bars, la notion de voyage, les villes, la détresse des amants liée au confinement, son fils, ces digressions-là ont quand même un peu plus de gueule que la mièvrerie poisseuse du début. J’y ai même retrouvé la plume que j’aime tant, emplie à la fois de poésie, de réalisme et d’âpreté... mais ça ne dure que quelques paragraphes. Au bout du compte, le texte est si court qu’on a envie de dire « tout ça pour ça ? » une fois la dernière page tournée. Nicolas, Nicolas, il ne faut plus me faire de mauvaises blagues comme ça. Soit t’es aveuglé par cet amour pour cette princesse et tout ça va vite passer, soit tu ne sais vraiment plus quoi écrire et il faudra songer, comme le commun des mortels, à une reconversion (parce que ce livre est quand même un gros foutage de gueule). Mais ne me fais plus un coup pareil, ça m’a déprimée quatre jours pleins, reviens-nous avec de bons gros romans sociologiques, organiques et terriens.

(Telerama parle d'une "ode palpitante à la vie" et les Inrocks trouvent le récit "somptueux"...)

« Parfois, je me réveille, je constate le vide à côté de moi et je pense à toi, précise dans ta cuisine. Le lait chaud, les tartines, France Inter, tes pieds nus sur le sol froid, tes cheveux vite noués, les enfants qui boivent leur chocolat. Je t'imagine rapide comme un colibri, chaque chose à sa place, un monde à refaire à l'aube, l'école et les informations, tu as déjà envie de fumer et tu regardes le jour qui se forme, le vaste ciel recommencé, en buvant ton café. Ta moue de sept heures, cet appétit d'exister qui est déjà là. »

« J'écoutais ta voix, tes hanches, j'écoutais ta nuque et tes mains, et la laine sur ta peau, le crépitement du tabac, j'écoutais ton sang qui du cœur à la tête va si fort et dont tout dépend. Il faisait bon ici, et le ciel ouvert n'offrait pas la moindre prise. Alors je te disais des mots possibles, des aveux, des bêtises. Mais surtout, j'écoutais le souffle entre chaque parole, ce qui n'est pas dit, le secret qui vient du ventre, ce mystère entre nous qui grandit. Tu sais, le globe terrestre tient tout entier dans les mailles de nos désirs, ce filet que tissent les gens en s'appelant d'un bout à l'autre du monde, de Hong-Kong à Sydney, de Bar-le-Duc à Épinay. »

Partager cet article
Repost0