J’avais tellement adoré Cent millions d’années et un jour et Des diables et des saints, puis aimé Veiller sur elle (vous saisirez la nuance du changement de verbe) que je ne pouvais pas ne pas lire le premier roman de cet écrivain (dont j’aurai ainsi tout lu).
En Provence, dans la vallée de l’Asse, dans les années 60. Un garçon vit avec ses parents dans une station-service. Il ne va plus à l’école et, après des mois de « formation », il a le droit de servir l’essence. Ses parents hésitent à le placer dans un institut spécialisé parce qu’il ne comprend pas grand-chose, il a du mal avec la notion de temps, il ne retient pas tout ce qu’on lui dit, presque rien... c’est un simplet moqué à l’école quand il était petit, malmené par un père peu conciliant. Il décide alors de partir faire la guerre pour prouver qu’il peut être un adulte, se battre et revenir avec des médailles. La guerre, c’est au-delà de la station, derrière la colline, donc celui qu’on surnomme Shell à cause de l’inscription dans le dos de son blouson, s’en va un beau matin. Dans cette fugue vers un ailleurs qu’il ne connaît pas, il va rencontrer Viviane, 13 ans. Elle va devenir sa reine, celle qui lui donne des ordres et qu’il se doit de respecter, celle qu’il va aimer et lui donner de la vie une autre saveur.
Dans une nature rude mais accueillante, un être sans malice doté pourtant de tant d’autres qualités, va se retrouver seul faisant preuve de courage puis sera accompagné par petites touches de Viviane, ensuite d’un berger mutique nommé Matti. La beauté se niche aussi dans ces deux personnages qui ne jugent pas Shell mais l’accueillent avec simplicité et bienveillance. S’il n’a pas la force des romans cités plus hauts, s’il est vrai que j’aurais aimé un autre protagoniste que cette figure du naïf (très courante quand même), que j’aurais aimé une ultime rencontre avec les parents, j’ai tout de même beaucoup apprécié ce livre empli de tendresse et d’humanité. Entre conte et récit d’apprentissage, l’auteur nous emmène dans un endroit reculé, un nouvel Eden, pour tantôt admirer des peintures rupestres, tantôt garder des moutons mais toujours suivre les pas de ces enfants devenus des magiciens à leur manière. Pour reprendre une image du roman, c’est doux comme ces vêtements mouillés qu’on étale sur l’herbe au soleil, qu’on grelotte de joie en attendant qu’ils sèchent. Jean-Baptiste Andrea crée des étincelles qui me charment, il touche là où c’est secrètement le plus beau.
« Elle a ri et, je ne sais pas pourquoi, j’ai ri aussi. Je n’avais pas eu d’amie avant, et je crois que c’était ça qui se passait. »
Quand Matti veut lui servir de la gnôle : « [...] j’avais bu une bière en douce un jour et ça m’avait fait faire encore plus de bêtises que d’habitude. Il a haussé les épaules, il a avalé le verre d’un trait et il a fait claquer sa langue contre son palais. Son eau-de-vie sentait les prés après la pluie, les fleurs mouillées, mais avec une amertume derrière qui disait que l’orage n’était pas complètement passé. »
« Je pense que c’est là, parmi les tiges sèches qui me piquaient les chevilles, que j’ai doucement glissé hors de l’enfance pour devenir un homme. Tout ça, c’était très simple quand on y pensait. Je n’avais qu’à aimer la colère de Viviane autant que son amitié. Elles étaient belles toutes les deux puisqu’elles venaient d’elle. Il suffisant de savoir regarder. »