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21 mars 2023 2 21 /03 /mars /2023 10:08

Le Silence et la Colère

Je me réjouissais tout particulièrement de lire la suite du Grand monde tant apprécié l’année dernière.

Un petit bond dans le temps : après 1948, on se retrouve en 1952. François travaille toujours au Journal du soir, il est toujours avec Nine, sa fiancée sourde dont les mystères rendent sa personne de moins en moins limpide. Jean s’apprête à ouvrir le Dixie, un très grand magasin de prêt-à-porter féminin, son épouse Geneviève est toujours aussi odieuse, d’autant plus qu’elle a du mal à élever voire à aimer sa fille de trois ans, Colette. Hélène, quant à elle, a pris du galon puisqu’elle a droit, en tant que (vraie) journaliste, à un reportage : rendre compte de ce village, Chevrigny, qui doit disparaître sous les eaux au profit d’un barrage. Ô ciel, elle n’est toujours pas mariée même si amants et prétendants ne manquent pas. Les parents Pelletier restés à Beyrouth suivent de loin et parfois avec inquiétude l’évolution de leurs enfants mais un certain combat de boxe va venir distraire leur routine. 

Entre Beyrouth, Charleville, Paris et Chevrigny, ça bouge, il n’y ni pause ni temps mort dans les rebondissements et les mésaventures de chacun, bref, c’est un roman social mais toujours encore, comme Le Grand Monde, un roman d’aventure. Chaque personnage est fortement marqué, aucun n’est ordinaire ou lisse, et ils sont presque tous monstrueux. Bref, on est vraiment dans du Romanesque avec un grand R. Sans doute moins conquise par ce deuxième opus que par le premier tome, certains passages m’ont un peu laissée indifférente notamment les pages sur la boxe ; la dimension caricaturale de Geneviève -un monstre dans toute sa splendeur- m’a un peu lassée et j’ai trouvé certaines histoires un peu vite réglées à la fin. Je chipote un peu parce que j’ai quand même pris beaucoup de plaisir à ce roman vite dévoré malgré ses quelque 560 pages. La femme prend une place importante : le thème de l’avortement est mis en avant, la maternité, la condition de la femme dans les années 50 et, à part Geneviève (qui n’a rien d’humain), ce sont les femmes qui sont les véritables héroïnes du livre. Merci Lemaitre. Zola ne peut que ressurgir, encore plus dans les dernières pages qui marquent l’ouverture du grand magasin de Jean, l’effervescence, la société de consommation en devenir, le rapport triangulaire patron/employés/clients. On aimerait connaître la suite, en savoir plus sur les personnages et leur évolution, bref, la dimension feuilletonesque est au sommet de sa gloire chez un Pierre Lemaitre en pleine forme.

A noter l’intéressant et véridique article joint au roman : « La Française est-elle propre ? »

 

Certains traits de l’époque ne nous manquent pas :

  • l’avortement est vu comme un « crime contre la sûreté de l’Etat » … et la brigade anti-avortement sévit toujours.
  • « Cette fille devait bien avoir vingt-deux ou vingt-trois ans et ne portait ni alliance ni bague de fiançailles. »
  • Filles et garçons sont ensemble à l’école de Chevrigny : « ça n'est pas très normal de les mettre ensemble, mais que voulez-vous, l'institutrice des filles est partie le mois dernier, on ne pouvait pas faire autrement. »

Geneviève ou comment jouer la comédie : « Car aucune femme n’avait jamais été autant enceinte que Geneviève. La grossesse lui interdisant de nombreux mouvements, il fallait la servir plus souvent encore qu'à l'accoutumée, ranger, épousseter, laver à sa place. Les tâches ménagères lui avaient toujours répugné, elle n'avait jamais rien fait de bien notable dans la maison ; enceinte, elle ne faisait plus rien du tout. Soufflant, se tenant la poitrine à deux mains, poussant des gémissements plaintifs, s’arc-boutant soudainement sous l'effet d'un élancement dans les reins, elle passait douloureusement du fauteuil au lit, il fallait lui apporter son ouvrage, un verre d'eau, madame Faure, sans vous commander à moins qu'il y ait de la limonade ! Vous iriez m’en chercher ? Tout était prétexte à lamentations, ses seins qui gonflaient lui causaient des douleurs horribles, l’appartement orienté au sud. »

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18 mars 2023 6 18 /03 /mars /2023 16:05

Les Pizzlys - Jérémie Moreau - Delcourt - Grand format - Chez mon libraire

Nathan est chauffeur uber à Paris. Il élève seul sa sœur Léa, une ado, et son petit frère Etienne depuis la mort de leur maman. Mais Nathan ne va pas bien, à force de rouler nuit et jour, d’avoir le nez collé à son GPS, il souffre de vertiges voire d’hallucinations. Et un jour sa voiture s’encastre dans un poteau alors qu’il devait amener Annie, une dame d’un certain âge, à l’aéroport. Ne sachant pas où passer la nuit, Annie accepte l’invitation de Nathan, sympathise avec la petite famille et finit par leur proposer de l’accompagner vivre avec elle en Alaska, son pays natal. N’ayant plus grand-chose à perdre, Nathan accepte. C’est évidemment un choc culturel, Etienne se voyait déjà gamer, Léa est toujours collée à son Iphone alors qu’il n’y a plus ni connexion ni électricité. Passés les premières lamentations et appréhensions, les trois finissent par s’habituer à vivre dans cette cabane isolée, au milieu de paysages grandioses. Parfois ils croisent un pizzly, ce croisement entre un ours polaire et un grizzly, souvent ils marchent des heures, tous les jours ils chassent leur nourriture. Mais le réchauffement climatique se ressent partout : les animaux sont perturbés, les cycles sont malmenés, les glaces fondent, les maisons s’effondrent. Malgré tout, cette petite famille vit au contact de la nature d’une manière toute nouvelle, en véritable connexion avec les animaux que les hommes vont apprendre à respecter et même à écouter.

Cette lecture est une claque ! Entre fable écologique et récit d’anticipation qui n’en est plus vraiment, cet album est surtout un avertissement alarmant sur les dégradations qu’on inflige à notre planète et l’urgence qu’il y a à réagir.  La beauté de certains passages, de certaines vues à couper le souffle, de la noblesse de cette vie simple régie par un animisme convaincant contraste avec l’angoisse des lendemains, la terre souffre et elle l’exprime en s’effondrant ; c’est très alarmiste mais sans doute nécessaire. Il n’est pas forcément question de fin du monde mais d’une métamorphose inévitable et, en cela, l’album est très juste. Je n’ai peut-être pas tout aimé, j’ai eu du mal à me faire à tout ce fluo mais les dessins sont si beaux. J’ai eu du mal à interpréter ce choix du magenta, du rose, du vert luminescents, à la fois pour faire référence aux aurores boréales (?), à la dimension déjantée et psychédélique de notre monde archi connecté ? Je ne sais pas. Toujours est-il que l’album mérite qu’on le découvre, pour ses richesses, son engagement, l’éclat particulier de ses planches.

J’avais moyennement aimé Penss et les plis du monde, adoré La saga de Grimr et vénéré (!) Le Singe de Hartlepool.

« Ce chaos est tout l'inverse d'une fin du monde. C’est un grand bouillonnement, une immense redéfinition de toutes choses… Le passage d'un monde à un autre. »

En pleine forêt : « Il n'y a rien qu'on puisse cacher, pas même nos pensées les plus profondes. Tout ce qu'on fait, tout ce qu'on dit, tout ce qu'on pense, reste là-dehors dans le monde. »

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L720xH950/pizzlys_bd-50-ebeb8.png?1665336631

https://www.francetvinfo.fr/pictures/uNvQXySe4AWT-_ezLc_DCgJZjvQ/fit-in/720x/2022/10/14/phpLxmoUy.jpg

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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 17:13

Livre : La crue, Blackwater : l'épique saga de la famille Caskey, écrit par Michael  McDowell - Monsieur Toussaint Louverture

 

Eh oui, je m’y suis enfin collée, moi aussi !

A Perdido, ville de l’Alabama, en 1919, une crue a submergé la ville, les endroits restés indemnes sont peu nombreux, les habitants se sont réfugiés sur les hauteurs. Lorsqu’ils font une ronde, Oscar Caskey, un riche propriétaire de scierie et son domestique noir Bray, secourent une jeune femme, mystérieusement rescapée dans une chambre d’hôtel pourtant inondée. Ils l’emmènent en barque et, malgré le halo d’énigmes qui l’entoure, cette Elinor Dammert venue d’une autre région, se fait peu à peu accepter par la ville. Dans la famille Caskey, c’est d’abord James, cet homme « frappé par le sceau de la féminité » qui se prend d’affection pour Elinor et l’héberge. Marié à Geneviève, une femme alcoolique qui quitte la ville les ¾ du temps, il doit cependant faire face au fort caractère de Mary-Love sa sœur (et mère d’Oscar) qui, d’emblée, n’aime pas Elinor (et elle est la seule). Oscar finit par épouser cette belle étrangère rousse qui étonne par sa vigueur, son rapport particulier à l’eau (elle nage à contre-courant avec la force d’un grand gaillard) et son pouvoir subtil de persuasion. Est-elle un être bienfaisant ou malfaisant, le suspense reste entier…

Peut-on parler de « déception » ? Si je n’avais eu vent de toute la médiatisation de cette saga qualifiée de « phénomène littéraire », je vous aurais dit que c’était une lecture bien agréable sans être incroyable. Evidemment, je m’attendais à un truc énorme et exceptionnellement époustouflant et je fus déçue. Tout ça pour ça… J’ai trouvé ça très court, un peu creux et inconsistant, et le fantastique ne m’a pas particulièrement plu (ce n’est pas non plus mon genre de prédilection) mais c’est bien écrit et très fluide. J’ai apprécié le fait que ce microcosme, que cette petite ville au climat rude (il fait trop froid ou trop chaud ou il pleut des trombes) soit gouvernée par les femmes et que de petites remarques subtiles mais fréquentes renvoient à cette société matriarcale où les hommes semblent seulement semblent gouverner mais sont finalement très faibles, influençables et incapables. Il faut reconnaître que le suspens qui s’appuie sur l’étrangeté et le mystère qu’entourent le personnage d’Elinor happe le lecteur ; reste à savoir si j’ai envie de lire la suite, aidez-moi à me décider, dites-moi ce que valent les tomes 2 à 6 !

(Ma fille m'a dit "Ce livre, on ne le lit rien que pour sa couverture", et c'est vrai !)

Les jours et semaines qui suivirent la crue : « La puanteur ne parut jamais entièrement s'en aller. Même une fois les maisons décrassées de la boue, les murs récurés, de nouveaux tapis étalés, du nouveau mobilier acheté et des rideaux accrochés ; même lorsque tout ce qui avait été abîmé fut jeté et brûlé, que l'on débarrassa les jardins des branches et autres carcasses pourrissantes, et que l'herbe eut commencé à repousser, la ville, aux aguets le soir venu, Découvrez que sous le parfum de jasmin et de rose, sous l'odeur du dîner sur le feu et l’amidon des chemises, elle empestait la crue. »

Les temps ont changé fort heureusement : « Les Blancs n’aiment pas voir des gamines noires quand ils mangent, la gronda Roxie, à moins qu'elles apportent un plat. »

 

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12 mars 2023 7 12 /03 /mars /2023 12:16

L'île des âmes - Piergiorgio Pulixi - Gallmeister - Poche - Place des  Libraires

 

J’achète rarement un roman sans rien connaître ni de l’auteur ni du livre… quelle bonne pioche j’ai faite ici !

Sud de la Sardaigne. Une fliquesse, Mara Reis, qui a la langue bien pendue, va devoir faire équipe avec Eva Croce venue de Milan pour d’obscures raisons. Une unité des affaires classées a été créée à Cagliari et les deux femmes que tout oppose doivent collaborer avec un certain Moreno Barrali, un enquêteur à qui il ne reste plus que quelques mois à vivre. La vie et la carrière de ce flic ont été marquées par une affaire non résolue : le meurtre de deux femmes à 11 ans d’intervalle commis selon les mêmes rituels, très proches de la civilisation nuragique, celle d’un peuple de paysans sardes qui s’est adonné au culte de la Déesse-mère puis de celui de Dionysos. A trop vouloir s’obstiner, Moreno en a perdu la santé mais aussi toute crédibilité parmi ses pairs. Lorsqu’une jeune femme, Dolores, est retrouvée sauvagement assassinée selon le même rituel, les enquêtrices vont faire le lien avec les crimes non élucidés mais sur leur parcours, les découvertes macabres vont se succéder, comme si cette affaire était maudite…

Quel roman passionnant !! Sauvage, organique, puissamment sarde, il me semble qu’il pourrait entrer dans la catégorie des « ethno-polars » tant il nous en apprend sur la culture sarde et la civilisation nuragique. Les personnages sont forts et marquants, ils évoluent avec brio dans cette enquête sombre et mystérieuse. Les chapitres courts, la variation des points de vue et les changements de décor permettent de créer un rythme très enlevé. L’écriture est belle et efficace, la poésie de certaines descriptions tranche avec le langage cru de Mara, c’est délicieux. Et puis vivre quelques centaines de pages sur cette merveilleuse île sarde (je n’ai vu qu’une partie du nord, il me tarde d’en découvrir un jour davantage !), quel plaisir ! Pulixi a repris nos enquêtrices préférées pour les placer dans son dernier roman, L’Illusion du mal.


- COUP DE CŒUR -

Eva Croce quitte Milan pour la Sardaigne : « Le tangage du bateau lui évoquait les contractions d'une parturiente. Le clapot des vagues, les gémissements causés par les douleurs. Le souffle du vent, la respiration haletante de la femme sur le point de perdre les eaux. Le battement sourd des moteurs du ferry qui montaient dans les tours, l'augmentation vertigineuse du pouls. Elle sourit, amère. En un sens, c’était ça : cette nuit enveloppante était l'utérus qui la retiendrait encore quelques heures, jusqu'à ce qu'elle accouche d'une nouvelle vie, d’une nouvelle elle. »

« La Sardaigne n'est pas une île. C’est un archipel d'innombrables îlots séparés non par la mer, mais par des langues de terre. Certaines ne sont que de petits atolls, mais chacune a sa propre identité. Parfois même une langue et des coutumes spécifiques. Et les démarcations qui les séparent sont invisibles à l'œil nu. Du moins pour qui n'est pas du coin. Pour tous les autres, elles sont bien perceptibles, car tracées avec du sang en des temps immémoriaux. Des frontières inviolables qui imposent le respect. Parce qu’en certains lieux la mort est plus sacrée que la vie. »

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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 10:01

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnac

Alors que le grand patron de l’entreprise d’anti-dépresseurs, Garan-Servier, vient de passer l’arme à gauche, Antoine, dans une manif à Paris, est blessé. Il a voulu empêcher un casseur de briser la vitrine d’une banque … ça, ça le dépasse Pierrot, vouloir protéger une banque ! Pendant ce temps-là, dans le petit village de Montcoeur, le maire pavoise, ravi d’avoir eu l’idée d’organiser un pique-nique de l’amitié… jusqu’à ce que la vieille Berthe déboule et lui plante sa pique à brochette dans les fesses. Etrangement, le lendemain, un incendie ravage la ferme de Berthe mais aussi toute l’entreprise Garan-Servier ! Qui est le coupable ?

Et encore une chouette virée avec nos joyeux lurons ! Je ne sais pas pourquoi j’ai laissé traîner l’album si longtemps avant de le lire, je ne me lasse toujours pas des irrévérences de nos petits vieux, du bazar qu’ils sèment, de cette atmosphère décomplexée et anarchiste. La langue de Lupano est fleurie, le dessin de Cauuet est d’une belle précision pour mettre en valeur la belle vieillesse. Le racisme, la délocalisation, les préjugés se font tout petits dans les grands discours révolutionnaires de nos vieillards préférés. Qu’est-ce qu’on a envie d’y croire et d’aller boire des coups à La Chope avec Mimile, Pierrot et Antoine ! A lire sans modération.

Lorsque les policiers tentent d’interpeller Berthe à son domicile, elle leur jette une fourche à leurs pieds :

« Bon, déjà, elle n’a plus sa fourche.

- Je note : « Tentative d’homicide sur un agent des forces de l’ordre.

- C’est une lecture très partiale des événements. Je dirais plutôt qu’elle a rendu les armes, non ? 

- Et envoyez-moi tout le pshitt que vous voulez, vous me faites pas peur, j’en ai plein, des fourches !

- Surarmée, donc. »

 

« Pourtant, ta tête, y a pas de quoi la mettre en avant. Ni pour le contenu, ni pour le contenant ! »

Lien vers Le tome 6

Les Vieux Fourneaux - Tome 7 - Les Vieux Fourneaux - Chauds comme le climat  - Wilfrid Lupano, Paul Cauuet - cartonné - Achat Livre | fnac

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 15:55

Malheur Indifferent (Folio) de Peter Handke

Au rayon (très étendu) de mes lacunes, il y a Peter Handke, écrivain, scénariste, dramaturge et réalisateur autrichien, prix Nobel de Littérature 2019.

La mère de l’auteur-narrateur s’est suicidée en 1971, à l’âge de 51 ans. Dans ce court récit, Peter Handke retrace le parcours d’une vie à la fois fade et douloureuse. Née en Autriche dans une époque où la femme ne peut que se taire et s’occuper des tâches ménagères, elle aimerait « apprendre » mais ce désir étant très vite balayé, elle se contente du peu, du moins, voire du rien. Amoureuse du père de Peter, elle ne pourra rester avec lui et devra épouser et supporter un homme violent et alcoolique. D’acceptations en résignations, la vie suit son cours et les quelques plaisirs qu’elle s’octroiera seront vite balayés par des problèmes de santé invalidants. La mère souffre de migraines insupportables, un mal qui ne guérit pas. Son suicide est parfaitement organisé, elle écrit à ses proches, leur envoie son testament, s’apprête pour l’occasion…

L’absence d’émotions surprend d’emblée ; c’est sans pathos aucun que l’auteur raconte sa mère comme il aurait raconté la vie d’un inconnu. Il dissèque tout ce qu’il sait pour essayer de comprendre son acte final … qu’on conçoit aisément. Même au moment de l’annonce du décès, l’indifférence semble dominer, Peter se surprend à penser à autre chose devant le cadavre qu’il veille, il s’ennuie et son esprit divague. Il aimerait aussi faire un objet littéraire de ce qu’il écrit. Il a d’ailleurs attendu quelques semaines pour s’attabler à cette tâche. Et pourtant, la simplicité et la narration froide et objective fonctionnent et permettent de rendre un véritable hommage à la mère disparue, de livrer le portrait d’une femme déjà morte avant de se tuer, d’une vie sans consistance ni appétit. La distance placée entre la mère -d’ailleurs jamais nommée- et son fils rend compte de la pudeur de l’auteur et permet de se faire porte-parole de ce qui a été : une époque, une femme née au mauvais endroit, une pauvreté autant sociale qu’intellectuelle. Evidemment on ne peut pas ne pas songer à L’Etranger de Camus. J’ai beaucoup aimé ce texte fort qui se veut aussi réflexion sur l’écriture mais qui, surtout, célèbre l’effacée, met en lumière une discrète et lutte contre l’oubli.

« Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort. »

« Elle n’était donc rien devenue, elle ne pouvait plus rien devenir non plus. »

« Même ce corps mort me semblait effroyablement abandonné et avide d’amour. »

« Ecrire n’était pas, comme je le croyais bien au début, me souvenir d’une période close de ma vie, ce n’était constamment que prendre cette attitude dans des phrases dont la distance n’est qu’arbitraire. »

« Un jour, le couteau m’a glissé des mains en coupant le pain, il m’est revenu aussitôt à l’esprit qu’elle coupait des petits morceaux de pain dans le lait chaud des enfants le matin. »

 

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 15:54

Nos gloires secrètes - Poche - Tonino Benacquista - Achat Livre ou ebook |  fnac

Le titre de ce recueil de six nouvelles est assez explicite : les histoires nous projettent dans un passé obscur fait de secrets inavoués.

Dans « Meurtre dans la rue des Cascades », un jeune homme un peu paumé a malencontreusement tué un poivrot, copain d’un soir, en le jetant par-dessus une verrière. Jamais puni, jamais inquiété, il vivra une vie tapi dans ce secret terrible.

« L’Origine des fonds », c’est la revanche d’un auteur-compositeur très fortuné qui a des comptes à régler avec son passé. Nouvelle à chute qui fait sourire et fait bien plaisir.

« Le parfum des femmes » nous permet d’accompagner un grand nez, un parfumeur à la retraite, dans son grand appartement parisien où, seul, il s’ennuie et se souvient de ses heures de gloire passées lorsqu’il parfumait les plus belles femmes du monde. Une voisine, jeune et jolie, fait son apparition et lui permettra de manière complètement insolite, d’exercer une dernière fois son beau métier.

« Le rouge, le rose et le fuchsia » : un couple fait l’acquisition, chez un antiquaire, d’un petit bureau de secrétaire appelé un « bonheur-du-jour » mais c’est une photo sur le bureau du vendeur qui les attire encore plus. Leur imagination vagabonde loin de la réalité.

« Patience d’ange » est ma nouvelle préférée. Un couple lutte au quotidien avec la maladie de leur petit garçon, Justin. Un mal étrange le ronge depuis des mois : il est devenu inerte et muet. Contre toute attente, mère et père se sont rapprochés, ils ont trouvé un semblant d’équilibre mais ils restent emplis d’espoir au moment de ce rendez-vous avec un grand médecin…

« L’aboyeur » est celui qui annonce les invités lors des réceptions mondaines. Le richissime Christian fait appel à lui pour ses 50 ans : il a invité 50 personnes, des proches, des célébrités, des indispensables dans sa vie de nanti… Mais personne ne viendra jamais. L’occasion pour lui de partager ses confidences avec l’aboyeur et une partie de ses souvenirs, et les leçons à tirer de cet abandon généralisé. Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’excellent Bal d’Irène Némirovsky.

 

J’ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles avec des textes variés, colorés, parfois un peu espiègles et coquins, célébrant la vie. Les histoires se lisent avec plaisir, elles sont distrayantes et parfois un brin philosophiques et m’ont rappelé celles d’un Eric-Emmanuel Schmitt. De l’auteur, j’ai presque tout lu et au fil du temps, je l’ai de moins en moins aimé. Saga, Malavita, Romanesque, Quelqu’un d’autre restent néanmoins d’excellents souvenirs.

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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 18:42

La dernière reine - Jean-Marc Rochette - Casterman - Grand format - Chez  mon libraire

Edouard Roux a grandi dans le Vercors et son enfance a été marquée par la mort du dernier ours, humilié par les hommes et sauvagement assassiné devant l’enfant. Soldat pendant la Première Guerre, il en sortira complètement abîmé et c’est une sculptrice, Jeanne, qui va lui offrir un nouveau visage… pas n’importe lequel, celui d’un kouros grec. Si, grâce à Jeanne, Edouard retrouve sa dignité, il rencontre aussi l’amour. Il emmène Jeanne dans son Vercors, elle s’en éprend immédiatement et y découvre un incroyable secret : une grotte cachée dont les parois sont recouvertes de dessins de nos ancêtres ainsi qu’un ours grandeur nature magnifiquement sculpté dans la pierre. Jeanne va le dessiner et le reproduire dans son atelier parisien. Le secret est et sera gardé par les deux êtres qui s’aiment mais l’air vicié de Paris et ses habitants trop souvent malhonnêtes vont éloigner encore une fois Jeanne et Edouard dans leurs montagnes chéries.

Au début de l’album, on ne sait pas tellement où on va, la chronologie est malmenée, le fil directeur c’est ce type un peu à part, Edouard Roux, un peu à part parce que plus proche de la nature et des animaux que des hommes ; mais c’est aussi le Vercors, région âpre, puissamment vivante, somptueusement primitive qui est le cœur de tout. Puis l’intrigue s’étoffe de mille subtilités, mise sur le beau, le sublime, l’engagé. Le dessin, quant à lui, charme et revêt ses plus beaux atours quand il est ancré dans la nature, les deux pieds dans l’herbe, à caresser la rudesse de la pierre et à scruter la pureté du ciel bleu. On pourrait même espérer que l’homme débarrasse le plancher, mais il en reste qui ne sont pas si mauvais…  C’est vraiment très très bon, le succès de ce bon gros album de 238 pages est mérité, le dessin simple, brut, essentiel s’accorde si bien à l’histoire racontée. Je terminerai par un très minuscule bémol (un bémolet en fait), le sombre de la plupart des planches là où elles méritaient tellement de lumière… ça ne m’empêche pas de faire de cette lecture un coup de cœur !

Je n’avais jamais lu Jean-Marc Rochette, ce fut une belle découverte, j’arrive un peu tard puisque le bonhomme semble avoir déclaré qu’il ne publierait plus d’albums. Il me reste tous ses autres à lire, tant mieux pour moi.

  « Ne t'inquiète pas. Je viens du pays des ours. Ma famille les connaît depuis toujours.

- Depuis toujours ?

- On respire le même air, on foule la même terre, on boit à la même source. On est de la même famille. L'ourse m'a dit que ces montagnes lui manquaient. Elle m'a parlé de l'arbre où elle avait l'habitude de se gratter. Elle m’a raconté le goût des framboises et des myrtilles et le vent frais du soir. Elle, si triste et si seule. »

 

  « Edouard, c'est un trésor universel. Cette sculpture est un vrai joyau. Elle va révolutionner l'histoire de l'art. Et l'histoire en général.

- Rien ne sortira d'ici, Jeanne. Seuls les membres de ma famille connaissent l'existence de cette grotte. A part toi et moi, personne ne connaît ce lieu. Nous sommes les gardiens de son sommeil. De ses rêves. Les hommes tuent la magie. Jure-moi que tu ne me trahiras pas. Personne ne doit la réveiller. »

La dernière Reine - cartonné - Jean-Marc Rochette, Jean-Marc Rochette,  Jean-Marc Rochette - Achat Livre ou ebook | fnac

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24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 15:07

Trois questions à Anne Berest (“La Carte postale”, Grasset)

Je crois que c’est parce que j’avais entendu parler l’autrice dans une émission de radio et qu’elle m’avait un peu agacée que je n’avais pas voulu lire ce livre… Erreur que j’ai corrigée, vous voyez bien.

Anne Berest est la maman d’une petite fille qui, en sortant de l’école, lui dit qu’elle a l’impression qu’« à l’école, on n’aime pas trop les juifs ». Cette remarque bouleverse complètement la narratrice-autrice ; dans sa famille, la religion juive n’a jamais été pratiquée ; le mot même revêt une dimension abstraite et assez vide de sens. C’est à ce moment-là qu’elle se souvient d’une carte postale étrange reçue au domicile de sa mère, Lélia, quelques années auparavant et qui n’avait pour texte que les quatre noms « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Les quatre aïeuls morts dans les camps d’extermination pendant la guerre, Ephraïm et Emma les parents de Noémie et Jacques et grands-parents de Lélia. La mère d’Anne lui raconte (enfin) l’histoire tragique morcelée et incomplète, celle d’Ephraïm et Emma, le couple de Russes qui a fui leur pays pour la Lettonie en 1919, avant de rejoindre la Pologne, puis la Palestine et enfin la France où les deux ont toujours tout fait pour s’intégrer et devenir français. L’histoire de Noémie et sa sœur Myriam, toujours complices, brillantes dans tout ce qu’elles entreprenaient, de belles ados avec un avenir radieux devant elle. Et celle du petit dernier, Jacques, qui a dû suivre Noémie lorsque les deux enfants étaient arrêtés pour on ne savait où encore… et pour ne jamais revenir. Après ce retour en arrière émouvant, Anne mène l’enquête, s’interroge sur l’entourage de Myriam la rescapée, notamment sa future belle-famille, les Picabia dont Vincente, cet être beau et très libre qui fera souffrir l’aînée. Anne n’aura de repos que lorsqu’elle pourra retrouver l’auteur de cette carte postale mais aussi retisser les liens entre elle et ses aïeules.

Quelle lecture passionnante ! Plus qu’un roman sur la Seconde Guerre mondiale et la déportation, c’est aussi une réflexion sur l’appartenance à la communauté juive, à la filiation, aux liens ténus tissés par-delà les décennies et donc à la psychogénéalogie. Anne a réussi à mieux se comprendre à travers ce personnage féminin, Myriam, qui lui a laissé en héritage des traits de caractère, des habitudes, une manière de penser. On y croit ou pas, en tous cas l’autrice nous le présente comme une évidence pour elle. Certains passages sont incontestablement poignants et très forts et je crois que c’est le retour des déportés, êtres rachitiques et hagards, accueillis dans ce grand hôtel du Lutetia, qui m’a le plus chamboulée. Deux univers qui se confrontent et ne se comprennent plus, ou plutôt le monde des vivants qui affronte celui qui ne porte plus de nom, qui n’a plus rien à voir avec l’humanité… Le roman raconte les faits avec simplicité et fluidité, il pose parfois des questions essentielles et interpelle les silences. Le silence occupe une place importante dans cette page d’Histoire effarante, un silence parfois contraint, souvent indispensable et évident pour celui qui se tait, douloureux pour celui en quête de réponses. Anne Berest a levé un coin du voile, elle le fait avec sincérité et pudeur, le résultat est magnifique. Et on ne peut s’empêcher de penser à toutes ces familles brisées où le silence n’a pas permis de combler les trous, les manques, les vides. Un roman à lire absolument et un coup de cœur pour moi.

Il se trouve que j’ai déjà lu cette autrice et je l’avais complètement oublié : Recherche femme parfaite.

L’antisémitisme ne date évidemment pas de la guerre mais elle y a trouvé de quoi s’engraisser : « L'exposition débute le 5 septembre 1941, elle a pour fonction d'expliquer aux Parisiens pourquoi les Juifs forment une race dangereuse pour la France. Il s'agit de prouver « scientifiquement » qu'ils sont avides, menteurs, corrompus, obsédés sexuels. Cette manipulation de l'opinion publique permet de démontrer que l'ennemi de la France, c’est le Juif. Pas l’Allemand. L'exposition est pédagogique et ludique. Dès l'entrée, les visiteurs peuvent se faire photographier devant la reproduction géante d'un juif. Des maquettes mettent en scène différents faciès : des nez crochus, des lèvres épaisses, des cheveux sales.

L’administration française a mis des années à reconnaître que Jacques et Noémie étaient morts à Auschwitz : «  on refusait de dire que les juifs étaient déportés pour des questions raciales.  On disait que c'était pour des raisons politiques. Les associations d'anciens déportés obtiendront seulement en 1996 la reconnaissance de « mort en déportation » ainsi que la rectification des actes de décès ».

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21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 10:07

L'eau rouge - Jurica Pavičič - Leslibraires.fr

En 1989, en Croatie, dans une petite ville côtière, une famille vit ses derniers instants insouciants : les jumeaux de 17 ans, Silva et Mate, et leurs parents Vesna et Jakov dînent ensemble. Les jeunes sortent mais Silva ne reviendra pas. Jamais. Sa disparition plonge les trois autres membres de la famille dans l’effroi, les hommes partent à sa recherche en parallèle du travail de la police et la mère tombe dans une grande hébétude. Les mois passent et les pistes sont maigres jusqu’au jour où une jeune femme, Elda, se souvient avoir vu Silva le lendemain de sa disparition, à la gare routière, prête à quitter le pays. C’est un beau cadeau pour la famille de savoir que Silva a disparu de son plein gré mais, surtout, est sans doute encore vivante. Mate n’en poursuit pas moins ses recherches et, quelques années plus tard, à l’heure d’internet, il va créer un site pour retrouver Silva, il va continuer à voyager partout où les moindres pistes et indices le mèneront. Et retrouver Elda, la femme qui a vu Silva pour la dernière fois…

C’est un polar totalement réussi qui prend son temps et se laisse goûter doucettement. Ce qui est appréciable, c’est, qu’en plus de l’enquête, du portrait précis et juste qui est brossé des personnages, une photographie de la Yougoslavie puis de la Croatie est faite sur une période allant de 1989 à 2017. Roman noir qui offre la rétrospective d’un pays qui a été communiste, qui a connu la guerre civile, qui est entré dans l’Europe avant de voir le tourisme se développer… et fait un constat plus négatif que positif : simplicité et authenticité ont cédé la place à quelque chose de surfait et d’artificiel, la gangrène a pris. En somme, un roman prenant et intéressant qui a obtenu de belles récompenses amplement méritées ; je recommande vivement !

Le jour des dix-sept ans de Silva, sans elle : « Silva, elle, n’est ni morte ni vivante. Silva a disparu et pour une personne disparue, vous n'allez pas au cimetière, vous ne préparez pas de gâteau. Vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous ne pouvez pas la pleurer, vous ne pouvez pas échanger avec elle ou échafauder des projets. Si Silva p n'avait pas disparu, ils parleraient avec elle de ses études futures, de son permis de conduire, de sa place à la cité universitaire. En lieu et place de Silva vivante, ils ont maintenant une photo d'elle. Vesna l’a placée à un endroit visible, au-dessus de la table de la salle de séjour. Elle l’a placée là comme le rappel constant qu'ils ne sont pas au complet, qu'il leur reste en permanence une tâche à accomplir, un manque à combler. »

« Bien que la nuit soit calme, qu'il n'y ait pas de vent, l'eau n'est pas tranquille. Elle ondule, elle se cabre et vient cogner contre la roche, elle fait des vagues qui s'entrechoquent et s'écrasent contre les parois verticales. C’est le soir. L’eau est d’un bleu foncé. Et d’un coup, de bleue elle devient rouge.  Elle prend la couleur du sang et commence à grossir, comme lors de l’inondation biblique de l’Egypte. Les eaux rouges grossissent et grossissent. »

C'est encore un cadeau de Michaël que je remercie +++ et qui décidément a encore tapé dans le mille !

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