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9 décembre 2024 1 09 /12 /décembre /2024 18:41

Jour de ressac - Maylis de Kerangal - Gallimard - ebook (ePub) - Librairie  Privat TOULOUSE

Elle est comédienne de doublage, mariée à un imprimeur et mère d’une grande ado. Un jour, le coup de fil d’un flic lui apprend qu’elle doit venir au plus vite au Havre, un homme mort a été découvert sur la plage, il a été impossible de l’identifier mais il portait sur lui un ticket de cinéma avec son numéro de téléphone à elle. Aller au Havre signifie pour la narratrice revenir dans la ville grise et froide où elle a grandi, où elle a connu son premier amour, la ville qu’elle a quittée pour ne plus jamais y retourner. L’interrogatoire au commissariat se solde par un échec puisqu’elle ne reconnaît pas le cadavre des photos. Lors de ce séjour qui fait comme une parenthèse dans sa vie, elle va errer dans cette ville à la fois connue et lointaine, amie et hostile.

De nombreux passages ainsi que l’ambiance générale empreinte de flottements, de souvenirs, d’hésitations, de balades portuaires, d’introspection, de murs de béton, de rencontres fugaces m’ont vraiment plu, je crois que je n’étais pas loin du coup de cœur. Le livre est porté par une écriture magnifique, que ce soit avec de longues phrases envoûtantes et poétiques, que ce soit avec une brièveté qui fait mouche. Evidemment, vous me voyez venir, il y a un « mais ». C’est l’ensemble qui m’a paru décousu, tels des morceaux séparés d’un patchwork, j’attendais en vain qu’on les unisse, qu’on tisse de vrais liens entre eux pour qu’ils soient moins solitaires et abandonnés à eux-mêmes. Un sentiment d’inachevé confirmé par la fin qui m’a laissée perplexe... Peut-être que le titre (très judicieusement trouvé) annonçait déjà ce flux et ce reflux. Mis à part ces bémols, la ville du Havre prend une telle place, se fait si belle malgré sa laideur, tellement attirante malgré la répulsion qu’elle pourrait susciter que je ne peux que conseiller cette lecture. Il me tarde de lire d’autres titres de cette autrice, je cueillerai vos conseils avec plaisir.

Je n'ai lu que Réparer les vivants de l'autrice.

«  (...) la plage du Havre est populaire, elle est portuaire et municipale, les familles descendent en cortège depuis les quartiers du plateau, elles vont à la mer, elles vont à la cabane, les enfants ont la bouée autour du ventre, ils courent sans attendre vers le clapot, au risque de se perdre dans la foule puisque à marée basse, s'il fait soleil, c'est une multitude qui envahit l'estran, des milliers de corps se floutent dans la brume de chaleur, la clameur monte une nappe suave et bourdonneuse, et ce bruit-là est bien l'un de ceux que je préfère, celui qui dit la turbulence et l'allégresse, la récréation et les joies premières, la révélation de la peau, la rencontre du sable qui déconcerte, évoque la soie et rappelle la boue, d'autant que ces jours-là la hiérarchie sociale se dénude et se couche, elle se met à plat, et ce n'est pas qu'elle soit abattue pour de bon, non, faut quand même pas rêver, mais elle perd toute verticalité, elle s'étale des plus modestes côté digue aux plus cossues côté cap, partage du sensible, échantillon réparti d'est en ouest selon des revenus croissants, quand c'est bien un même cordon de galets sur lequel on se pose, et qui fait mal au cul. »

 

Si je n'avais pas débarqué avec un mois de retard, j'aurais pu participer au challenge citadin d'Ingannmic. :)

 

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6 décembre 2024 5 06 /12 /décembre /2024 08:23

Spy x family Tome 1

C’est Fanja la coupable, son engouement pour cette série de mangas a été contagieux. Moi, lire des mangas... eh bien oui.

Loid alias Twilight est un excellent espion qui sait se grimer et vaincre ses adversaires avec une efficacité redoutable. La dernière mission qu’il a acceptée consiste à neutraliser un personnage qui menace la paix entre l’ouest et l’est, mais ce Donovan Desmond ne se laisse pas approcher facilement. La couverture de Loid ? Devenir un bon père de famille pour inscrire son enfant dans l’école privée du fils de Desmond. Loid doit donc rapidement trouver enfant et femme (parce que l’entretien initial de l’école exige la présence des deux parents). Anya, une orpheline qui lit dans les pensées va devenir sa fille, et Yor, une tueuse professionnelle qui se cache derrière le masque d’une jolie célibataire très naïve va devenir sa femme. Avec cette famille créée de toutes pièces, Loid va tout faire pour réussir l’entrée extrêmement sélective de cette école privée.

Je me suis très vite laissé embarquer dans cette histoire romanesque, les personnages sont attachants, et si on ne peut encore parler d’affection véritable, on devine déjà une admiration des uns pour les autres. La petite Anya est adorable avec ses grands yeux, ses envies enfantines et ses réflexions d’adulte, Yor se distingue par ses compétences physiques hors du commun, son agilité, sa réactivité et Loid est un espion charmant mais impulsif dans un univers sclérosé et misogyne où la femme doit avant tout se marier et savoir faire la cuisine. Les trois protagonistes font taire les imbéciles en s’adaptant à chaque nouvelle situation et Anya qui, à six ans, a presque tout saisi n’a qu’une seule envie : « J’aimerais vivre avec eux tout le reste de ma vie ! ». J’ai déjà réservé le 2e tome à ma bibliothèque, pas sûre de lire tous les tomes (le 13e vient de sortir si j’ai bien compris) mais c’est prenant et divertissant. Complètement novice, j’ai cependant l’impression que les dessins diffèrent peu d’un manga à l’autre (ne m’en voulez pas...)

Spy x Family #1 | BoDoï, explorateur de bandes dessinées - Infos BD,  comics, mangas

 

 

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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 17:33

Après minuit

Le soir du 29 octobre 2022, Jen, une avocate heureuse, assiste à une scène terrifiante : elle voit, par la fenêtre de sa maison, son fils unique de dix-huit ans, Todd, poignarder un homme dans la rue. Avec son mari, elle se précipite mais l’homme est déjà mort et Todd très vite arrêté. Au retour de ces quelques heures pénibles au commissariat de police, Jen s’écroule de fatigue. Elle se réveille... le  28 octobre, Todd est dans sa chambre et la routine familiale ne semble absolument pas perturbée par un meurtre qui, évidemment, n’a pas encore eu lieu. Jen s’évertue à comprendre pourquoi son fils, intelligent et sans histoire jusque-là, en est arrivé à tuer un homme. Au soir du 27 octobre, Jen s’endort avec mille questions dans la tête... et se réveille le 26 octobre. Ces retours en arrière vont devenir son nouveau mode de vie, et elle mènera l’enquête, seule parce qu’incomprise des autres, avec cette étrange déconstruction du temps.

Ce roman est clairement addictif, et de temps en temps, un bon polar qui permet de s’évader complètement sans se poser trop de questions, ce n’est pas mal du tout. Je reste toujours admirative des idées épatantes de ces créateurs de polars, un genre dénigré par certains lecteurs mais il faut admettre que si l’écriture n’a souvent rien de révolutionnaire, le contenu est remarquable. Il l’est ici, parce que ces bonds dans le passé questionnent l’héroïne - elle va jusqu’à être projetée plusieurs années en arrière - mais le lecteur aussi, imaginez vous retrouver un an en arrière, 5 ans, 10 ans... avec des personnes décédées que vous pouvez revoir, une jeunesse retrouvée, des enfants qui sont encore petits. Bref, un gros potentiel sciemment utilisé autour des thématiques de l’effet papillon, des boucles temporelles mais aussi du rôle de mère, avec des retournements de situation et une vérité qui ne se dévoile que très progressivement. Un beau plaisir de lecture.

« Jen ouvre les yeux. Elle est au lit. Et on est le 26. J-3. Elle s’approche de la baie vitrée. Dehors, il pleut. Où est-ce que tout ça va finir ? Elle va rétropédaler... quoi ? Pour toujours ? Jusqu’à ce qu’elle cesse d’exister ? Elle a besoin de connaître les règles du jeu. »

C'est chez Eve que j'avais piqué cette idée de lecture, merci à elle !

Une petite liste de page-turners :

Temps glaciaires de Fred Vargas

Tout ce qu’on ne s’est jamais dit de Celeste Ng

La Fille du train de Paula Hawkins

Nymphéas noirs de Michel Bussi

Apprendre à se noyer de Jeremy Robert Johnson

Helena de Jérémy Fel

Red Room Lounge de Megan Abbott

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29 novembre 2024 5 29 /11 /novembre /2024 15:34

Actualités Saison 2023-2024 - Le Grenier de Babouchka

Mis en scène par Charlotte Matzneff

Qui sont donc ces « téméraires » ? Tout le monde les connaît : d’un côté Emile Zola, en train d’écrire son roman Rome et qui, parce qu’il se fait traiter d’antisémite par un ami inconséquent, s’intéresse davantage à l’affaire Dreyfus qu’à l’écriture de son livre ; de l’autre côté, Georges Méliès, qui tente de réaliser un film sur la même affaire (considéré comme le premier film politique). Un objectif commun : faire innocenter le capitaine Dreyfus accusé à tort de trahison. Toujours soucieux du détail, Zola accumule les preuves qui démontrent que Dreyfus a été victime d’un odieux antisémitisme alors que le véritable traître, Esterhazy, a été acquitté un peu trop rapidement. Entre sa maîtresse Jeanne tombée enceinte, la jalousie de sa femme Alexandrine et ses gueuletons chez Alphonse Daudet, Zola ne sait plus où donner de la tête mais cette affaire Dreyfus devient sa priorité, son obsession.

Avec une mise en scène très rythmée et créative à tous points de vue, le spectateur lui aussi se prend de passion pour cette affaire Dreyfus. Une grande et longue table va servir à la fois de comptoir de bar, de piano, de table, de tribune et surtout de bureau d’Emile Zola. Les sept acteurs endossent plusieurs rôles, jouant, tournant, courant, virevoltant d’un personnage à l’autre, chantant, criant leur haine et leur révolte, dans une même soif de vérité. D’un dynamisme vivifiant, les couleurs et les musiques se répondent, le chassé-croisé des comédiens est réglé à la seconde près, et loupe, caméra, cintres, menottes, ... cliquettent et dansent astucieusemen en une chorégraphie savamment imaginée. L’humour et le burlesque du tournage du film compense l’aspect dramatique de cette affaire sordide. On s’immerge dans la fin de ce XIXè siècle, j’ai adoré les tableaux figés tellement dans l’esprit de l’époque, et Zola prend réellement vie (quelle ressemblance avec l’écrivain !) C’est un superbe spectacle total qui permet également aux plus jeunes de découvrir cette page d’histoire qui en dit déjà tellement sur l’avenir...

C’est l’excellente compagnie du Grenier de Babouchka qui est sur scène pour plus d’1h30 d’émotions. J’ai eu la joie de retrouver celui qui a été mon Cyrano préféré, Stéphane Dauch (Méliès ici).

« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »

Tournée dans toute la France cette année encore puis en 2025 : Plessis Trévise : Ve 29 Nov | St Germain en Laye : Sa 30 Nov | Levallois Perret : Ma 3 Déc | Levallois Perret : Me 4 Déc | Vernon : Ve 6 Déc | Serris : Sa 7 Déc | Roubaix : Ma 10 Déc | Agde : Je 12 Déc | Roanne : Ma 17 Déc | Buc : Je 19 Déc

Les Téméraires – MARILU Production

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25 novembre 2024 1 25 /11 /novembre /2024 08:02

Persuasion

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Les Classiques c’est fantastique avec pour thème du mois de novembre, une incroyable « battle Jane Austen vs Les sœurs Brontë ».

Dans le Somersetshire, Anne a deux sœurs casse-pieds et un père veuf un peu sot. Si elle n’a jamais vraiment été écoutée et aimée à sa juste valeur, elle a toujours vécu dans le luxe et l’opulence. La famille doit cependant laisser derrière elle leur grande demeure pour la mettre en location afin de conserver le train de vie que tous menaient jusqu’à présent. Anne recroise Frederick Wentworth devenu capitaine. Epris l’un de l’autre neuf ans auparavant, elle a dû refuser sa demande en mariage sur le conseil d’une amie plus âgée parce qu’il était alors sans fortune. Les années ont passé et, même si la beauté d’Anne s’est fanée (à 27 ans...), elle est encore courtisée par les hommes mais n’a d’yeux que pour le beau Wentworth devenu riche. Gêne et embarras, maladresses et incompréhensions vont les éloigner l’un de l’autre.

J’ai découvert l’autrice avec Orgueil et préjugés, j’étais alors éblouie par l’écriture et le style élégant et raffiné de l’écrivaine. Si le style et l’élégance des phrases m’ont encore une fois séduite, le contenu lui-même m’a trop souvent franchement barbée ... entre les femmes si fragiles qu’il faut sans cesse les protéger, la marraine/amie qu’on écoute docilement sans suivre ses propres instincts, le qu’en-dira-t-on, les apparences, la bienséance, ... pfiouuu, je me suis tellement sentie à mille lieues de tout ça ! A part nos deux héros parfaits – et on sait d’emblée qu’ils finiront ensemble – ces personnes riches, hypocrites et oisives ne s’occupent que de commérages, de soirées à combler, d’invitations, de peau qu’il ne faut pas avoir trop halée ... Je me suis ennuyée.

Pour revenir à la battle Austen/Brontë, Les Hauts de Hurlevent m’ont davantage emportée et subjuguée.

« Un homme n'a pas à veiller un enfant, ce n'est pas de son ressort. Il appartient toujours à la mère de s'occuper de son enfant malade, c'est ce que lui dicte généralement son cœur. »

Anne a si mal vieilli (à 27 ans !) « Si les années avaient terni l'éclat de sa jeunesse à elle, le temps n'avait pas laissé de trace sur lui. Il avait une mine resplendissante, une allure plus virile. Elle avait retrouvé le même Frederick Wentworth. »

Prise de conscience : « Le chagrin d'un individu n'est pas nécessairement proportionnel à sa taille. Une personne grande et forte a bien le droit d'être tout aussi profondément affligé que la créature la plus gracile. »

 

 

Persuasion de Jane Austen
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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 10:33

Les enfants du large - Virginia Tangvald - JC Lattès - Grand format -  Kléber STRASBOURG

L’autrice-narratrice est la fille de l’aventurier et navigateur, Peter Tangvald. Ayant fait plusieurs fois le tour du monde, vivant exclusivement sur le bateau construit par lui-même (sans moteur ni radio), il a eu sept femmes et de nombreux enfants. Un jour de tempête, il part en bateau avec sa petite fille de sept ans, Carmen, et demande à Thomas, son fils alors âgé de 15 ans, de le suivre dans un coin réputé dangereux, au large de Bonaire, une île des Caraïbes. Les deux bateaux font naufrage, seul Thomas survit. La mère de Virginia avait quitté Peter brutalement, emmenant la petite âgée de deux ans. Virginia jeune adulte, se rend compte qu’elle a besoin de comprendre ce qui s’était passé le jour du naufrage, qu’elle a besoin de retrouver Thomas, celui qui prend aussi la mer, celui qui ressemble tant à son père... Les retrouvailles aux saveurs morbides perturberont la jeune femme. Et la disparition de Thomas, des années plus tard, confirmeront encore un peu plus ce destin familial funeste.

Ce roman autobiographique prend des allures d’enquête mais de nombreuses questions resteront sans réponse et, surtout, Virginia Tangvald, tentera – par l’écriture – de soigner ses plaies familiales, cette malédiction qui plane. En effet, non seulement Peter a toujours choisi des femmes très jeunes, mais deux d’entre elles ont disparu dans des circonstances étranges qui laissent supposer que Peter pourrait les avoir tuées. La narratrice, en perte de repères, semble trouver son équilibre une fois la dernière page noircie, prête à fonder une famille et à revoir la définition du mot « liberté », si cher à son père. Le hasard a voulu que je démarre ce roman sur un bateau, non loin de Dubrovnik, et je ne sais pas si le contexte l’a favorisé, mais j’ai éprouvé un réel engouement pour le début de ce livre ; cette histoire énigmatique et romanesque a de quoi happer le lecteur. Mais le soufflet est retombé dans la seconde moitié du livre et même si j’ai été heureuse que Virginia trouve sérénité, apaisement et amour (elle est en couple avec le sympathique chroniqueur culturel, Youssef Bouchikhi), certains passages ne m’ont pas tellement intéressée. Disons plutôt que je n’ai pas forcément compris son obsession à évoquer un père qu’elle n’a pas connu – le livre aura eu le mérite de le faire tomber de son piédestal. Son témoignage s’accompagne de morceaux de l’autobiographie de Peter lui-même qui ont été judicieusement répartis dans le livre et, pour un premier roman, il faut admettre, que l’ensemble est plutôt prometteur et agréable à lire.

« J'avais perdu mon frère de vue en même temps que cette île quand ma mère avait fui notre père. Cette collision tant attendue entre le passé et le présent me donnait le vertige. J'avais tellement hâte de le revoir. »

Les retrouvailles avec Thomas : « Nos deux solitudes étaient criantes. Tant d’années de mer nous séparaient désormais. J’avait attendu trop longtemps pour le rejoindre. Dans ce néant, dans cette solitude où était né mon désir obsédant de le retrouver, autre chose m’était apparu, trop flou pour que je puisse clairement l’identifier. Le soupçon d’une proximité profonde entre nous, accompagné d’une fascination pour le funeste. Quelque chose de terrible et d’inavouable est alors monté jusqu’à moi, une odeur rance de fer et de sang jointe à l’étrange impression que j’allais mourir de ses mains. »

Virginia est née sur un bateau, Thomas enfant assiste à l’accouchement : « Per lui tendit les ciseaux, qu’il avait fait bouillir juste avant dans l’eau des pâtes, pour couper son cordon. Thomas courut trouver un livre dans lequel il le ferait sécher comme une fleur. Carmen me porterait jusque sur la poitrine de ma mère, épuisée, haletante. Ma mère, la femme qui survivrait. »

et je participe, enfin à nouveau, au Book Trip en mer de FanjaJ'ai atteint le grade de "second-maître", je suis ravie !!

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17 novembre 2024 7 17 /11 /novembre /2024 08:23

Le voyage d'Abel

Abel est un vieux monsieur qui vit seul dans un coin isolé de Reclesme, un petit village au cœur de la France. Paysan, il cultive la terre et s’occupe de deux vaches et d’une poignée de moutons. Il déteste son chien qui vient régulièrement lui mordiller le mollet sans prévenir, il déteste d’ailleurs à peu près tout le monde dans le village et, surtout, il n’a qu’un seul rêve : fuir. Il rêve d’aller en Ethiopie et, début de l’automne, il est vraiment décidé à vendre animaux et ferme pour s’en aller. Les autres se moquent de ses lubies d’aventurier et de marin en devenir. Au mois de février, Abel est toujours là, dans sa maison enfouie sous la neige, à pester contre ses frères qui l’ont laissé seul, contre les poivrots du bistro toujours mauvaise langue. Il n’y a que Mme Huong, la boulangère, qu’il apprécie, sans doute parce qu’elle vient de si loin, du Vietnam...

Les dessins de Duhamel m’ont plu, comme ça avait déjà été le cas pour Jamais ou Le retour. A la fois simple, précis et juste, le trait représente parfaitement les paysages mais aussi les personnes, Duhamel n’a pas son pareil pour dessiner les trognes des types. Beaucoup de gris, de noir et de blanc pour évoquer le triste quotidien d’Abel, quelques touches de couleurs lorsqu’il se voit en pleine mer ou sur une plage de cocotiers. Vous l’aurez peut-être deviné, ce sont les rêves et l’espoir qu’un jour il partira qui font tenir le vieux bonhomme aigri et grincheux. J’ai tout de même trouvé l’ensemble un peu tristounet et frustrant par rapport au dénouement. Le tout n’en demeure pas moins très agréable à lire, parfois vraiment drôle comme les dialogues au café du village. Un hommage aux ruraux sans doute... ceux qui ne partent jamais...

« Ah..., ils viennent de trouver un médicament contre l’alcoolisme...

- Houlàà... moi, j’attends de connaître les effets secondaires...

- Si vos femmes apprennent ça, vous êtes bons pour la grenadine. » 

Le Voyage d'Abel, bd chez Bamboo de Sivan, Duhamel

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13 novembre 2024 3 13 /11 /novembre /2024 08:17

Le syndrome de l'Orangerie de Grégoire Bouillier - Editions Flammarion

Bmore, un détective derrière lequel se cache (à peine) l’auteur, fait un tour au Musée de l’Orangerie, et .. stupéfaction, là où il pensait ne ressentir, comme tous les autres visiteurs, que sérénité, douceur et harmonie face aux immenses Nymphéas de Monet, il se sent oppressé et angoissé comme s’il émanait de ces grands panneaux quelque chose de délétère et de morbide. En creusant un peu (ensuite beaucoup beaucoup plus), il trouve des explications à cette réaction négative : Monet a démarré ses immenses fresques en 1914, le premier jour de la guerre, il venait de perdre son fils aîné, Jean, il craignait pour son cadet parti au combat, il craignait pour la France. Mais sa double cataracte, cette « tragédie de l’œil » qui le rendra aveugle n’y est pas pour rien non plus : la peinture « se fait littéraire » puisqu’il lit les couleurs sur ses tubes et peint avec le souvenir qu’il en a. Ce n’est pas tout, le nymphéa, cette fleur que tout le monde admire, possède un niveau de toxicité assez important, il est anaphrodisiaque et l’eau qui dort a des pouvoirs mortifères... autant de raisons qui permettent de comprendre le « syndrome » subi devant les toiles de l’impressionniste. Mais si finalement tout n’en revenait pas à l’amour, et si la première femme de Monet, Camille, n’était pas au cœur même de ces nymphéas...

Première découverte d’un auteur assez allumé qui m’a rapidement fait penser à Jaenada dans son appétit des digressions (mais Jaenada le surpasse, tout de même). Bouillier a son style, une sorte de fouillis organisé, avec des réflexions personnelles et autobiographiques qui viennent se glisser dans la biographie de Claude Monet. Car c’est bien d’une biographie (partielle) qu’il s’agit, ou encore d’une autopsie des Nymphéas :  on entre dans le tableau impressionniste dès la première page pour n’en ressortir ... que bien des jours après la lecture. C’est un texte vivant, dense, coloré, dynamique, plein de riches idées et de remarques amusantes (un chapitre entier n’est conçu que d’exergues, tous plus amusants les uns que les autres !), de bavardages parfois un peu longuets et un brin oiseux. Alors si Bouillier va parfois un peu trop loin (un parallèle est fait entre les jardins de Giverny et le camp d’Auschwitz... tout de même !), j’ai appris beaucoup de choses (Monet avait sept jardiniers ;  il a décidé de tout de A à Z quant à la conception de son jardin, jusqu’à faire détourner une rivière, jusqu’à faire venir des espèces de nymphéas de l’autre bout de la terre ; il a peint environ 400 tableaux de nymphéas sur une trentaine d’années, a détruit beaucoup de toiles qu’il a lacérées au couteau ; il y a aussi La Japonaise, un tableau insolite dans son œuvre que Bouillier explique très bien). L’auteur a réussi à m’embarquer (c’est le cas de le dire), à m’inciter à regarder le célèbre tableau de Monet autrement, à confirmer que nos propres ressentis peuvent parfois être très justes quand on regarde une œuvre d’art (ou un film, ou un livre...)

Devant Les Nymphéas : « Pourtant tout m'apparaissait ici figé, immobile, statique, opaque, silencieux, inerte. Trop figé et trop silencieux pour que la vie puisse circuler, s'épanouir, s'égayer. D'où ma sensation de claustrophobie. Comment un espace ouvert peut-il donner l'impression d'un lieu clos et replié sur lui-même ? »

« Car bien avant de peindre le moindre nymphéa (en 1897), Monet les cultivait depuis des années. C'est-à-dire qu'il fabriqua de toutes pièces le modèle qui, sur la toile, devint ensuite sa source d'inspiration. Il créa lui-même le sujet de sa peinture. Il n'y a que Pygmalion et sa Galatée qui puissent rivaliser, sauf qu'il s'agit d'un mythe. (Cézanne ne créa pas les pommes qu'il peignait. Léonard de Vinci ne créa pas Mona Lisa, seulement La Joconde, etc.) »

Lecture commune avec Keisha, sans le vouloir :) (les grands esprits, n'est-ce pas...!?)

 

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9 novembre 2024 6 09 /11 /novembre /2024 16:22

Ces féroces soldats – Les Éditions Buchet-Chastel

L’auteur se fait le porte-parole de ses parents et de leur vie durant la Seconde guerre mondiale. Nés tous les deux en Moselle, non loin l’un de l’autre, père et mère ont dû fuir leur maison le 1er septembre 1939 ; la plupart portaient leur costume le plus élégant puisqu’on ne pouvait pas tout emporter...  Sur des charrettes de paysan puis dans des wagons à bestiaux, ils ont été emmenés dans la « France de l’intérieur », là où on ne parle pas la même langue, où on ne cuisine pas de la même manière. Un an à passer dans le Pas-de-Calais pour le père, dans la Vienne pour la mère puis retour à la maison, puisque les Allemands « étaient partout » et qu’ils avaient été désignés « allemands ». Sous le joug du Troisième Reich, il est interdit de parler français, les noms (des villes, des rues, des statues, même des gens) deviennent allemands. Vient le moment où le père est mobilisé puis enrôlé dans la Waffen-SS et incorporé de force à Munich, il est désormais un Malgré-nous. Après des combats où il avouera plus tard avoir volontairement tiré à côté – toujours - après la libération par les Américains, il est fait prisonnier pendant quatre mois, toujours loin des siens et sans nouvelles d’eux.

Habitants d’Alsace ou de Lorraine, même combat, celui d’être ballottés de droite à gauche, celui de se détacher du foyer, celui de se faire voler une identité. C’est avec une infinie tendresse pour ses parents et beaucoup de pudeur et de respect pour les Malgré-nous que Joël Egloff s’empare de ce sujet (est-il encore méconnu par certains ?). Il s’adresse constamment à son père à la 2è personne au présent, et à ce « tu » on s’attend presque à ce que le père réponde « oui, ça s’est passé comme ça... ». Le narrateur tente de combler les vides, les blancs, les défauts de mémoire, il devine et suppose, imagine parfois mais pour mieux rétablir l’ambiance d’antan, ce climat de malaise. Il me semble que l’acceptation était le point commun de tous ses soldats enrôlés malgré eux. La désertion existait cependant mais ce sont les membres de la famille qui en payaient souvent le prix. L’auteur réussit brillamment à rendre hommage à toute une population, à tous ces êtres qui n’étaient que de pauvres pions sur le grand échiquier de la guerre, le tout est servi par une écriture élégante entourée d’un voile de douceur. J’ai beaucoup aimé.

Une excellente BD sur le même thème : Le Lierre et l’Araignée de Grégoire Carlé.    

« Cela fait des années, pourtant, que le plan est prêt et tenu secret, car on le pressent, c'est ici que sera inaugurée la guerre. Ce sont vos prairies qu'on envisage comme champs de bataille et vos villages sur lesquels pleuvront les premiers obus. C'est sur vos terres que viendront mugir ces féroces soldats. Mais ils n'égorgeront ni vos fils ni vos compagnes, car vous serez déjà loin, et leurs blindés s'échoueront sur ces récifs de métal, dressés tout exprès pour briser leurs chenilles. »

« Tes parents sont nés allemands, de parents nés français. Ils sont devenus français, ils redeviendront allemands s’il le faut et, ils ne le savent pas encore, mais ils mourront français. Chez vous, bien plus qu’ailleurs, on sait que le vent tourne souvent et qu’il faut s’en protéger, et en dépit des soldats qui vont et viennent, vous êtes restés et vous resterez les mêmes. »

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5 novembre 2024 2 05 /11 /novembre /2024 16:53

Vincent Lambert est mort - Olivier Delaulne - Librinova - ebook (ePub) -  Librairie de Paris PARIS

Jean-Luc Bianchi est le directeur de l’hôpital de Reims, ou plutôt il « était » le directeur de l’hôpital où Vincent Lambert a passé plus de dix ans dans un état végétatif chronique irréversible. Bianchi est désormais un chef déchu, un homme seul, arrêté et mis en prison. Cette incarcération va lui permettre de revenir sur ces dernières années – survoltées - où son quotidien était lié peu ou prou à Vincent Lambert. L’enjeu était de savoir s’il fallait le laisser vivre, comme le souhaitaient ses catholiques de parents, ou lui permettre de mourir, ainsi que le réclamait Rachel, sa femme. Après maints revirements, Bianchi s’est surtout acharné à chercher en Vincent un soupçon de conscience, une trace de vie qui lui permettrait de répondre à cette question : veut-il oui ou non vivre encore ?

Dans son avant-propos, l’auteur précise qu’il s’est appuyé sur des faits vrais en utilisant les vrais patronymes (des parents, de la femme, du neveu et du premier médecin de Lambert) mais que le reste n’est que fiction. Le journal de Bianchi qui narre son séjour en prison mais surtout ses derniers agissements dans l’affaire Lambert se lit comme une enquête, avec ses doutes, ses rebondissements, ses circonvolutions, ses protagonistes bons ou méchants. Fort bien documenté, le roman - au rythme vivace et efficace - se base sur un fait réel pour aborder cette fameuse question de l’euthanasie mais le romanesque prend parfois le dessus pour rendre le tout agréable à lire, fluide et finalement captivant. Le personnage (fictif) de Bianchi, bon vivant, consommateur de champagne, gagne en profondeur au fil des pages qu’il noircit dans son journal, et, paradoxalement, il s’illumine lors de ce séjour en prison. La fiction permet d’ajouter des protagonistes qui vont faire avancer la réflexion sur la fin de vie. J’ai beaucoup aimé cette lecture qui offre une vue de 360 degrés sur cette épineuse et complexe situation. On a beau vouloir signer un papier souhaitant l’arrêt d’un acharnement thérapeutique à un instant T, cette décision peut évoluer dans le temps et selon les circonstances. Un roman original mêlant intelligemment la fiction à la réalité. Merci aux généreux prêteurs !

L’excellente BD, Mes mauvaises filles, sur le même thème.

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