Je ne pouvais pas ne pas faire de billet sur ce spectacle absolument bouleversant. Pour la petite anecdote, j’y suis allée avec ma grosse valise pleine d’a priori, à savoir, Eric-Emmanuel Schmitt est certes un bon romancier (excellent pour certaines de ses œuvres mais pas toutes), un superbe conteur mais certainement pas un bon comédien. Et puis, ce spectacle, ça doit être une démonstration d’auto-flagornerie, bref, le type pour moi était un peu pédant et prétentieux. Eh bien, j’en ai pris pour mon grade !
A l’âge de neuf ans, Éric entend jouer de la musique sur le piano familial véritablement pour la première fois ; c’est sa tante Aimée qui lui a montré que la musique de Chopin surtout, pouvait l’emmener « ailleurs », dans un univers sublime et merveilleux. Éric attendra sa majorité et ses études à Paris pour reprendre les cours de piano auprès d’une certaine Mme Pylinska, une dame d’une cinquantaine d’années, très particulière, acariâtre et fantasque, qui multiplie les conseils aussi fantaisistes qu’incompréhensibles. Éric ne jouera pas tout de suite sur l’instrument. Non. Son premier devoir est d’aller, tous les matins, au jardin du Luxembourg, cueillir des fleurs sans en ôter la rosée. Il apprendra ainsi la délicatesse du doigté. Pour comprendre à quel point main droit et main gauche sont à la fois dissociées mais complémentaires, il devra observer longuement le jeu du vent dans les feuilles des arbres (la main droite) ainsi que la stabilité du tronc sous le souffle (la main gauche). Il s’agira encore de faire des ronds dans l’eau ou de faire l’amour très lentement et de regarder l’être aimé dans les yeux. D’incompréhensions en sautes d’humeur, Éric se laissera finalement apprivoiser par cette grande dame qui, en plus de lui apprendre à vraiment jouer du piano avec âme et émotions, lui enseignera à vivre son existence pleinement, à trouver la bonne « porte ».
Eric-Emmanuel Schmitt a écrit ce récit en 2018 et cette adaptation théâtrale a été mise en scène par Pascal Faber. L'auteur-comédien endosse plusieurs personnages : lui-même, Mme Pylinska ou encore Aimée, cette tante adorée qui lui révélera son secret ainsi que le « secret de Chopin ». L’auteur se révèle être sur scène incroyablement talentueux, il porte la voix avec justesse, change de personnage avec brio, rend honneur aux mots magnifiques qu’il a lui-même écrits. Cette virtuosité et cette élégance sont accompagnées d’un pianiste, pas n’importe lequel, Nicolas Stavy subjugue le public avec Chopin, nous permettant de découvrir ou de redécouvrir ses plus belles œuvres. L’ensemble -près de deux heures de bonheur- se révèle être drôle, tendre et d’une bouleversante beauté ; en nous révélant un pan de sa vie, Schmitt nous renvoie à l’essence même de notre existence. Sur une musique de Chopin à se damner ! Je ne suis pas la seule à être sortie de là complètement retournée et fascinée avec des étincelles enchanteresses dans les yeux. Si vous le pouvez, courez voir Monsieur Schmitt, il tourne dans de petites salles de province en France et en Belgique jusqu’en avril.
COUP DE COEUR !
Les dates : https://www.eric-emmanuel-schmitt.com/news.cfm?nomenclatureid=1788&newsid=636
« Ecris ! Ecris toujours en pensant à ce que t'a appris Chopin. Ecris piano fermé, ne harangue pas les foules. Ne parle qu'à moi, qu'à lui, qu’à elle. Demeure dans l'intime. Ne dépasse pas le cercle d'amis. Un créateur ne compose pas pour la masse, il s'adresse à un individu. Chopin reste une solitude qui devise avec une autre solitude. Imite-le. N’écris pas en faisant du bruit, s'il te plaît, plutôt en faisant du silence. Concentre celui que tu vises, invite-le à rentrer dans la nuance. Les plus beaux sons d’un texte ne sont pas les plus puissants, mais les plus doux. »