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20 août 2024 2 20 /08 /août /2024 17:40

Liv Maria - Julia Kerninon - Folio - Poche - Librairie Gallimard PARIS

Liv Maria est la fille de Thure, un homme grand et gros venu de Norvège et d’une « brindille », Mado, une femme bretonne tenancière d’un café. L’un parle et lit beaucoup, l’autre se tait souvent mais les deux s’aiment profondément. Liv Maria est née sur une île, doux cocon permettant une enfance idyllique au milieu des livres et de l’amour de ses proches mais un incident va décider sa mère à l’envoyer à Berlin pour une année, chez sa belle-sœur. Liv Maria va mûrir d’un coup au contact de Fergus, un professeur d’anglais d’origine irlandaise, avec qui elle va vivre une histoire d’amour passionné qui la marquera toute sa vie. Une tragédie va cependant ramener Liv Maria sur son île et du haut de ses dix-sept ans, elle va devoir affronter la solitude, l’exil encore, connaître l’Amérique du Sud, les bracelets en or, les chevaux, l’amour et le sexe, les margaritas, le pouvoir de l’argent, la solitude encore, avant de rencontrer le doux Flynn avec qui l’envie de fonder une famille naîtra.

                J’ai lu ce livre presque d’une traite tant il nous emporte vite dans l’univers de cette fille à part, romanesque et héroïne de tragédie à la fois, forte et parfois énigmatique dans ses décisions. Rien ne l’arrête, rien de l’effraie, sauf peut-être le souvenir de cette première histoire d’amour. Il y a beaucoup de sensibilité dans ce roman et j’ai aimé les nombreuses évocations, par petites touches, à ses parents. J’ai beaucoup aimé les différentes strates de cette vie qui parfois ne sont pas si compatibles les unes avec les autres. J’aurais pu aller au coup de cœur mais certaines invraisemblances, des ruptures dans le rythme de la narration (les choses se règlent parfois très vite, trop facilement) m’ont un peu contrariée. J’en garderai néanmoins un très bon souvenir avec une envie de suivre cette autrice d’origine bretonne.

C’est stimulée par l’enthousiasme d’Antigone que j’ai eu envie de lire ce roman, merci à elle !

« Cette surprise que les autres manifestaient devant ses parents, Liv Maria la balayait sans une hésitation. C’était évident. Son père était un lecteur, et sa mère était une héroïne. Son père aimait les histoires, et sa mère était un personnage. Jane Eyre, Molly Bloom, Anna Karénine, et Mado Tonnerre dans son café, telle que son père l’avait vue pour la première fois, le jour où il y était entré pour passer le temps jusqu’à l’arrivée du ferry qui devrait le ramener sur le continent. »

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16 août 2024 5 16 /08 /août /2024 14:56

Minuit dans la ville des songes

Je ne connaissais cet auteur que de nom.

Je ne vais pas tourner autour du pot : cette lecture est un formidable coup de cœur ! Elle démarre déjà par une superbe épigraphe : « Je ne crois pas comme ils croient, je ne vis pas comme ils vivent, je n’aime pas comme ils aiment... Je mourrai comme ils meurent... » (de Marguerite Yourcenar) et se poursuit avec la vie de l’écrivain, du moins une grande partie de ses trente premières années. Vivant seul à Manosque dans une petite maison au bord de la forêt, il se souvient de sa petite enfance : les trois livres qu’on lui lisait en boucle (Les Misérables, Le Comte de Monte-Cristo et Sans famille), l’école buissonnière, les vols et larcins qu’il commettait avec la racaille de son quartier marseillais, le be-bop en boîte de nuit, les nombreuses exclusions scolaires. Il va définitivement quitter l’école après avoir lancé une bonne droite dans le foie du directeur de l’école privée (ce dernier vomit sur ses chaussures devant 500 élèves). Fuyant seul à Londres, il vit en faisant la plonge dans un petit resto puis rejoint l’Andalousie. Un retard d’un mois au régiment d’infanterie à Verdun où il est incorporé l’envoie en prison où il retrouve un copain d’enfance, Ange-Marie Santucci, un truand rebelle qui lui enseigne l’esprit de révolte mais aussi et surtout le goût de la lecture et le pouvoir des mots. De la prison à la vie de déserteur, René n’a besoin que de livres et de soleil, de temps en temps un croissant et un café au lait sur une terrasse du Sud.

           Quel voyage ! Quels voyages ! René Frégni est le symbole même de la liberté, la liberté totale qui rejette les contraintes et les règles au profit d’une sobriété heureuse. Comment ne pas admirer cette vie jalonnée des lectures de Giono, Dostoïevski, Rimbaud, Maupassant, Céline, Camus, ... cette vie à part rendue possible par une débrouillardise hors du commun et pourtant toute naturelle, anoblie par une si belle simplicité. L’histoire des errances du jeune homme, de son amour pour la lecture se poursuit par son entrée dans le métier d’écrivain ; il gribouille quelques mots sur un bout de serviette, sur un carnet, avant d’écrire plus, toujours plus, sur un grand cahier rouge, avant de se faire rejeter par plusieurs maisons d’édition pour se faire enfin accepter dans la ronde des écrivains.  J’ai pleinement, intensément et goulûment adoré ce livre, il a fait écho à mes aspirations les plus profondes, m’a émerveillée de la première à la dernière page. Un véritable enchantement. Bien sûr que je vais poursuivre ma découverte de cet auteur !

Merci pour le cadeau indirect (ce livre a été offert à mon mari par une personne qui a décidément bon goût).

« J'ai passé toutes ces années à ramasser des mots partout, au bord des routes, dans les collines, sur les talus du printemps, le banc des gares, le quai des ports, dans la rumeur sous-marine des prisons, les petits hôtels dans lesquels je dors parfois, les villes que je traverse, les mots que j'aimerais prononcer lorsque je regarde, ébloui, certains visages de femmes, ceux que soulèvent en moins l'injustice et l'humiliation, les mots qui font bouger mon sommeil, la nuit, et qui sont sans doute la clé de tous les mystères. Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots. »

« Dire une fois dans sa vie non, non à tout ! Quoi qu’il se passe, quel que soit le risque, faire un pas de côté. Secrètement, je remerciais Ange-Marie, dès le premier jour, là-bas, il m’avait dit : Ne rampe pas, ne te couche pas devant eux, tu n’as qu’un seul devoir, désobéir ! »

« Je ne possédais rien, même pas un lit pour dormir, une table pour manger, une chaise pour m’asseoir. Deux chemises et mon blazer suspendus à une ficelle tendue dans la chambre. J’avais la lumière immense de la mer, l’odeur du maquis, l’eau fraîche d’une source, tous ces arbres qui allaient fleurir, que je comprenais maintenant. J’étais l’homme le plus riche du monde, ma liberté était sans limites ! »

« Maintenant j'écrivais sous un ciel libre, tôt le matin, ou au milieu de la nuit. J'écrivais ce qui me sautait dessus. Et je ne pouvais ne rien écrire pendant des semaines. Je me levais le matin, préparais mon café au lait et ouvrais la porte sur la beauté du monde. Chaque heure m'appartenait. J'étais chaque jour ce que j'inventais. »

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12 août 2024 1 12 /08 /août /2024 17:34

L'hôtel des Oiseaux

Amélia démarre son existence sur des bases bien instables : sans la présence d’un père, elle est trimballée par une mère volage et droguée qui ne l’aime pas vraiment. Quand sa mère décède dans un accident, sa grand-mère l’emmène loin, à San Francisco, mais mourra rapidement à son tour. Jeune adulte, Amélia a la chance de rencontrer Lenny, un type parfait pour elle, adorable et amoureux avec qui elle aura un petit garçon. Une tragédie va mettre un terme définitif à ce bonheur à trois et, plutôt que le suicide, la jeune femme va choisir l’exil et se retrouver complètement par hasard en Amérique centrale. Accueillie par Leila, la gérante de l’hôtel « la Llorona », elle va découvrir une autre vie, entourée de fleurs et d’oiseaux. Elle va surtout réaliser que l’endroit sublime qui lui permet de revivre petit à petit est en décrépitude et menace d’être rasé par des promoteurs trop gourmands. Décidée à restaurer cet hôtel, elle va y rester bien plus longtemps que prévu initialement, multipliant les rencontres aussi heureuses que malveillantes...

C’est un pavé de presque 520 pages qui nous fait voyager, essentiellement dans ce lieu imaginaire mais ô combien merveilleux d’un hôtel idyllique, au bord d’un grand lac et au pied d’un volcan. J’aurais aimé savoir si un endroit bien réel a inspiré l’écrivaine, dans ce cas, il attirerait bon nombre de touristes, c’est sûr ! Si ce roman se lit facilement et agréablement, je l’ai trouvé un peu trop feel good, avec des rebondissements peu crédibles et une manière trop lisse de régler les problèmes des personnages. A la manière d’une série télé pas trop bonne, pas trop mauvaise. Ceci dit, c’est un bon page turner qui rassasie et fait rêver. Après L’homme de la montagne, je n’ai toujours pas retrouvé l’enthousiasme ressenti à la lecture de De si bons amis... et je me demande si je vais poursuivre avec cette autrice.

 Merci à Tiphanie pour ce prêt !

Et encore une lecture qui participe au challenge des Pavés de l'été, chez la petite liste.

« Au début de ma quatrième semaine à La Llorona, j’avais établi une sorte de routine. Je me levais très tôt, avec les oiseaux, puis j’allais dans le patio prendre le petit déjeuner que Maria avait préparé pour moi, servi chaque jour sur une nappe tissée, dans les assiettes en céramique de Leila ornées d’oiseaux encore plus extravagants que ceux de son jardin. Leila ne se joignait jamais à moi à cette heure matinale, mais un jour elle m’avait laissé un livre, à lire en buvant mon café sur les cérémonies mayas, les instruments anciens et une coupure de presse jaunie sur la visite à la Esperanza d’un guitariste espagnol célèbre qui avait composé une chanson à propos du lac. »

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8 août 2024 4 08 /08 /août /2024 07:20

Rouge karma - Jean-Christophe Grangé - Albin Michel - ebook (ePub) - Chez  mon libraire

Je n’avais plu lu cet auteur depuis 13 ans (Le Vol des Cigognes que j’avais adoré).

Mai 68 à Paris. Hervé Jouhandeau est un jeune étudiant en histoire ; un peu timide et romantique, il est secrètement amoureux des trois copines, Cécile , Nicole et Suzanne. Alors que manifestations et révoltes font rage à Paris, Hervé découvre le cadavre de Suzanne pendu et atrocement mutilé. Il fait alors appel à son demi-frère de flic Jean-Louis Mersch, un type bourru et plus âgé que lui. Avec Nicole, ils vont tous les trois enquêter sur ce meurtre (qui ne sera que le premier ...) à travers les rues d’un Paris décontenancé mais aussi dans une Inde effrayante et fascinante et dans une capitale italienne surprenante.

 Alors que le roman commence sur des airs de rock et dans une ambiance de grève sauvage, il va très vite prendre une tournure plus violente, plus sanglante, tout aussi écarlate que sa couverture. Secrets de famille, hindouisme, tantrisme, pacte avec le diable et lamproies guident les protagonistes dans un road trip effréné et déjanté. J’ai beaucoup aimé les relations tissées entre la belle jeune fille intelligente, l’inspecteur rustre et l’étudiant plus candide. Grangé nous emmène quand même dans ce qu’il y a de plus sordide et glauque dans l’Inde et l’hindouisme. Côté enquête, il y est peut-être allé un peu fort, tout n’est pas crédible mais sacrément ensorcelant et prenant. J’ai donc apprécié ma lecture et n’ai pas vu passer les 759 pages. Je n’ai tout de même pas retrouvé l’engouement éprouvé pour Le Vol des cigognes. Mais la plume de Grangé reste l’une des meilleures au rayon des polars français qui secouent. Mis à part quelques éléments capillotractés, les trop nombreuses références aux drogues diverses et variées que consomment les personnages m’ont agacée (mais c’est l’époque qui veut ça, me direz-vous...). Le bilan reste très positif.

Avec ses 759 pages, ce roman participe au Challenge Pavés de l’été 2024 du blog de la petite liste et aux Epais de l'été chez Dasola.

La manifestation à Charléty : « C'était merveilleux. Des étudiants, des ouvriers, des prêtres, des bourgeois, des retraités ; des hommes, des femmes, de tous âges, de toutes origines, unis par une force invisible... Ça braillait, ça chantait, ça tapait dans ses mains ! Sur la piste du stade, des groupes couraient, représentant des syndicats, des partis, des groupuscules, des usines brandissant drapeaux ou pancartes, à la manière d'athlètes défilant pour leur pays. »

« Tout bon flic est un voyou dans l’âme, un mec qui bande pour le vol, la vie nocturne. »

Les ablutions dans le Gange : « Des hommes et des femmes qui faisaient trempette, tout habillés, dans des eaux grasses et fétides qui évoquaient plus un bouillon de culture qu'un gigantesque bénitier. Mais la pureté à l'indienne se moquait des maladies et de la pollution, elle se situait au-dessus de ses vicissitudes. Tout se passait à l'étage supérieur. Plongés dans ce bar saumâtre, les hindous se purifiaient, récitant leurs mantras. »

 

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5 août 2024 1 05 /08 /août /2024 17:12

POINTS QU'A JAMAIS J'OUBLIE | Librairie Papeterie RUC

Avec ma fille de 15 ans, il nous arrive de plus en plus d’avoir des lectures communes. Pour les vacances, c’est elle qui a lu la première ce titre, quant à moi, il me tardait de découvrir cet auteur.

Nina Kircher, une veuve d’âge mûr retrouve un homme qu’elle connaissait dans un hôtel de luxe, dans le Sud de la France. Elle se lève de son transat, le suit jusqu’à son bungalow et le tue à coups de couteau. Pour Théo, un jeune quarantenaire qui s’apprête à organiser le vernissage rendant hommage à feu son père, le grand photographe Paul Kircher, c’est l’incompréhension la plus grande. D’autant plus que sa mère s’enferme immédiatement dans un mutisme qui fait craindre pour sa santé mentale. C’est alors que Paul décide d’enquêter sur le passé de sa mère qu’il connaît si peu. De Nice à Genève en passant par Lausanne, Théo découvrira que sa mère n’a pas du tout eu l’enfance qu’il imaginait mais qu’elle est passée par Sainte-Marie, une maison d’éducation très particulière, où elle aura fait des rencontres marquant sa vie entière.

Ma fille s’est d’emblée déclarée déçue, pas tellement par l’intrigue de ce polar que par son écriture et tous les éléments qui gravitent autour de l’enquête. Et je suis totalement d’accord avec elle. Le personnage central est agaçant par... par quoi ? une sorte d’attitude d’enfant gâté et de privilégié qui découvre la vraie vie, un égoïsme qu’il n’assume pas, des trajets d’avion à n’en plus finir et la relation gnangnan prévisible entre Marianne et lui (l’intransigeance de ma fille : « Si je veux lire une romance, je lis une romance »). Les portraits souvent caricaturaux associés à un style plat ou désespérément convenu et les retournements de situation finals un peu trop nombreux ne nous ont pas convaincues. Le livre se lit cependant avec une fluidité et une facilité qui peuvent être appréciées sur un transat au soleil et l’histoire racontée dans cette maison d’éducation sordide m’a tout de même tenue en haleine pendant quelques dizaines de pages. Un avis trop mitigé donc pour me donner l’envie de poursuivre avec cet auteur.

« La porte du bureau du docteur Dussaut est entrouverte. Dans l’entrebâillement, j’aperçois une jeune femme d’environ trente-cinq ans, cheveux auburn, plutôt petite, juchée sur un escabeau. Elle est en train de ranger d’épais dossiers sur le dernier rayon de la bibliothèque. » Théo la prend d’abord pour une assistante de l’historien, et non, dadam, c’est cette belle jeune femme elle-même qui est Docteur en histoire, c’est fou quand même hein...

« Le foyer fonctionnait comme une petite société coupée du reste du monde. Durant l’essentiel de la journée, les pensionnaires étaient sollicitées pour accomplir toutes les tâches qui auraient pu incomber à des domestiques. »

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2 août 2024 5 02 /08 /août /2024 13:12

Quelque chose de froid | Éditions Glénat

Dans les années 30, Ethan Hedgeway débarque à Cleveland et se fait (volontairement) serré par les flics. Des années auparavant, il a volé des diamants à son boss, Frank Milano, le chef de la mafia. Ce dernier s’est vengé en tuant et en découpant la femme de Hedgeway (les morceaux ont été envoyés par colis, les uns après les autres...). Le type n’a donc qu’une envie : se venger. Installé par la police dans un hôtel miteux qui ressemble à la cour des miracles, il rencontre la belle Victoria amputée d’une jambe. Alors qu’il s’est juré de ne plus approcher aucune femme, l’attirance est forte, mais le véritable dessein d’Ethan est ailleurs et il arrivera à ses fins.

Noir, tout est noir, glauque, sombre, morbide, dans les dessins, dans le sordide des crimes commis et aussi dans l’âme des personnages ; Ethan lui-même se sent comme habité par une pulsion meurtrière qu’il essaye de contenir. Le rythme est plutôt haletant et les auteurs sont suffisamment malins pour rendre ce gangster solitaire (qui est lui aussi capable de découper un cadavre en morceaux !) attachant, par le truchement du point de vue interne. Se plonger dans cette période de la fin de la Prohibition a toujours quelque chose de frétillant. Un supplément bien intéressant fait un retour sur le genre du film noir (domaine dans lequel j’ai, personnellement, presque tout à apprendre). Ames sensibles s’abstenir.

C’est le premier volet d’une trilogie de one-shots nommée Trois touches de noir.

« contenir ce qu’il y avait de plus sombre, de plus noir, et de plus froid en moi. Le contenir, mais... jusqu’à quand ? »

Quelque chose de froid, bd chez Glénat de Pelaez, Labiano, Maffre

 

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29 juillet 2024 1 29 /07 /juillet /2024 10:23

Le Coeur des ténèbres, Joseph Conrad | Livre de Poche

Dans l’estuaire de la Tamise, le narrateur rapporte les propos d’un « vagabond des mers », Charles Marlow, qui s’est rendu, sur un modeste bateau à vapeur, au Congo, des années auparavant. Il avait alors pour mission de retrouver le célèbre chasseur d’ivoire, Kurtz, réputé pour être le meilleur dans son domaine. Mais au fil des semaines et des rumeurs, les récits qu’on lui fait du bonhomme modifient sa perception et son admiration. Lorsqu’il rencontre enfin Kurtz, après maintes péripéties à travers la jungle, le directeur du comptoir agonise.

Persuadée d’avoir déjà lu cet auteur (j’ai confondu avec Joseph Roth) je n’en connaissais absolument rien, ni ses origines polonaises (alors qu’il est un des plus grands écrivains anglais), ni sa carrière de marin, ni ce roman dont le film Apocalypse now a été librement adapté. Que dire ? Que le livre ne s’apprivoise pas facilement, qu’il est exigeant mais remarquablement bien écrit. Il dénonce la tyrannie des apparences et des préjugés, tournant autour de ce personnage de Kurtz, mystérieux parce qu’on le découvre tard, qu’on entend parler de lui plus qu’on ne le voit, qu’il fascine autant qu’il peut terrifier. Le statut de l’homme blanc et toutes ses soi-disant connaissances et supériorités sont mis à mal puisqu’au final, c’est lui qui extermine et assassine, et non les cannibales indigènes. Dans le « cœur des ténèbres » se niche donc bel et bien la sauvagerie des colonisateurs. Malgré la visée sans aucun doute saine et surprenante pour ce roman paru en 1899, certaines remarques racistes ou misogynes (la femme est d’une naïveté inouïe) pourront effrayer le lecteur d’aujourd’hui. Je pense qu’on peut trouver mieux pour dénoncer le colonialisme...

Je participe à deux challenges avec cette lecture : Book trip en mer chez Fanja (on navigue en mer mais aussi sur le fleuve Congo (4700 kms de longueur et l’un des plus profonds du monde) et Les Classiques c’est fantastique chez Moka (avec la battle Kafka/Conrad ce mois-ci).

Un coucher de soleil façon Conrad : « Et enfin, dans sa chute oblique et imperceptible, le soleil s’enfonça à l’horizon et son incandescence aveuglante se changea en un rouge terne, sans rayonnement et sans chaleur, comme s’il était sur le pont de s’éteindre d’un coup, frappé à mort par cette obscurité qui pesait sur une multitude humaine. »

Première découverte des Noirs : « il étaient solides, tout en muscles, d’une vitalité sauvage, d’une intense énergie de mouvements qui était aussi vraie et naturelle que le ressac bordant la côte de leur pays. Ils n’avaient pas besoin d’excuse pour être là. Ils étaient réconfortants à voir. Et pour un temps, j’avais le sentiment d’appartenir encore à un monde où les réalités étaient simples, mais cela ne durait pas. »

« L’homme préhistorique nous maudissait ou encore nous offrait une prière ou la bienvenue, qui sait ? Nous étions coupés de tout, incapables de comprendre ce qui nous entourait. Nous glissions sur l'eau tels des fantômes, étonnés et secrètement terrifiés comme le seraient des hommes sains d'esprit confrontés à une explosion d'enthousiasme chez des fous. Nous ne pouvions pas comprendre parce que nous étions trop loin pour nous souvenir, parce que nous voyagions dans la nuit des premiers âges, de ces âges qui ont disparu en ne laissant presque pas de traces et aucun souvenir. »

 

Le cœur des ténèbres de Joseph Conrad
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25 juillet 2024 4 25 /07 /juillet /2024 13:34

Highlands - Jérôme Magnier-Moreno - Gallimard - Grand format - Librairie  Delamain PARIS

Cela n’est jamais arrivé, lorsque j’ai commenté le billet d’Aifelle, l’auteur, Jérôme Magnier-Moreno, m’a gentiment proposé d’envoyer son livre à ma bibliothèque municipale... elle-même surprise et très ravie !

Le narrateur a quitté Paris suite à une violente dispute avec sa femme. Avec pour unique bagage son vieux sac à dos rouge éliminé, il est désormais dans le Caledonian Sleeper, un train qui relie Londres à Inverness, en Ecosse. Cette destination n’est pas anodine puisqu’il se rendait régulièrement dans ce trou de verdure avec ses parents et son frère jumeau quand il était ado, et elle lui rappelle sa chère mère disparue dix ans auparavant. Arrivé à destination, il n’a qu’une idée en tête : retrouver ce petit lac sans nom perdu dans les landes écossaises. Sans plus attendre, malgré la courte nuit, son manque de préparation et sa carence en matériel, il parcourt les sentiers dans un paysage magnifique en quête de ses souvenirs de jeunesse.

Quelle jolie parenthèse que cette lecture ! Une respiration, un voyage apaisant, une pause bienfaisante (malgré certains passages peu agréables pour le personnage). Le texte de l’auteur est ponctué de tableaux réalisés par lui-même (sous le pseudonyme de Rorcha) qui à la fois représentent cette nature rocailleuse, verte, stimulante et sereine et sont bien de petites œuvres à part entière, de caractère, singulières et uniques, avec des couleurs vives. J’ai beaucoup aimé le tout, j’ai été un peu frustrée par cette fin ouverte mais j’ai adoré cette impression d’avoir fait un peu partie du voyage en Ecosse, avec ses rivières, ses torrents, ses bruyères, sa tourbe, ses véroniques sauvages, ses gorges abruptes... ça donne très envie !

« Chaque élément de ce vert paradis surgit dans sa beauté singulière, d’autant plus que depuis quelques minutes le train a perdu de sa vitesse. Franges vaporeuses des pins, moutonnements des bruyères, mousses et lichens dans les sous-bois, rayons obliques du soleil à travers les feuillages délicats ployant si près de la voie ferrée que j’entends par moment leurs tendres ramures frôler la carrosserie. »

« Me penchant contre le parapet moussu, bâti il y a des siècles en énormes pierres sèches par des titans écossais dont les bras devaient faire trois fois l'épaisseur des miens, et qui pour se délasser en fin de semaine, jouaient au caber (ce sport traditionnel consistant à lancer un tronc de mélèze afin de lui faire accomplir un demi-tour en l'air), je plonge mon regard à travers l'eau claire. La rivière est tellement transparente que son fond rocheux apparaît d'une façon saisissante, comme s'il n'y avait pas d'eau alors qu'il y en a un bon mètre cinquante, mosaïque luisante aux délicates nuances de caramel et de pain d'épice. Il ne me faut pas plus de trois secondes pour apercevoir une truite évoluer dans l'ombre du pont, se dandinant joyeusement entre deux eaux avant de bientôt monter gober un insecte à la surface, sans doute en signe de bienvenue... »

Un grand merci à Jérôme Magnier-Moreno pour ce livre à la fois bon et beau !

(et je découvre par la même occasion cette belle collection du Sentiment géographique)

Le site de l'artiste

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21 juillet 2024 7 21 /07 /juillet /2024 09:07

Jean-Paul Dubois - L'origine des larmes

            Nous sommes en 2031. Il pleut depuis deux ans. Paul Sorensen, 51 ans, vient de tuer son père... non, pas tout à fait : il s’est rendu à la morgue, a constaté le décès de son père - Thomas Lanski, un être détestable au possible – et lui a tiré deux balles dans la tête. Cet acte étrange lui vaut une peine d’un an de prison avec sursis accompagnée d’une obligation de soins : il ira consulter Dr Guzman, psychologue, une fois par mois. Ces consultations s’avèrent particulières : du côté du praticien, le médecin souffre de conjonctivochalasis qui provoque un épiphora, ce qui signifie plus simplement qu’un œil pleure quasi non-stop. Du côté du patient, le passé est tellement lourd que le psychologue peine parfois à savoir comment réagir. En effet, Paul est né en perdant à la fois sa mère et son frère jumeau. Son père, un ignoble personnage grossier, malhonnête, tyrannique et humiliant avec l’enfant puis l’adolescent qu’il sera, le prive d’amour et de réconfort. Seule Rebecca, la seconde épouse du père et mère de substitution, sera bienveillante avec Paul.

Un mojito ou un praliné, ça ne se refuse pas, un Dubois non plus !  Tous les livres que j’ai lus dernièrement (pas mauvais, sympatoches, parfois assez originaux, ...) ont été balayés d’un revers de manche par ce grand roman où j’ai retrouvé tout ce que j’adore chez cet auteur génial : le ton mordant, les phrases qui percutent, l’humour noir, le style incisif, l’originalité de l’histoire, les personnages hors du commun façon Irving. Paul est à la tête d’une entreprise fabriquant des housses mortuaires, ainsi, en cas de pandémie (comme ça arrive régulièrement), les commandes se font plus nombreuses. Drôle de lubie du père : manger des hosties qu’il commande par paquets entiers. L’IA de Paul, une sorte d’amie virtuelle, ne comprend pas son geste de tirer sur le cadavre du père... Il n’y a pas une seule origine des larmes, elles sont multiples et, à l’image du roman tout entier, elles sont à la fois désespérées et tragiques, loufoques et burlesques. C’est bien un roman qui mêle les genres et les tons, qui bouscule le lecteur, l’enfonçant dans une déprime certaine tout en le faisant douter de la sincérité du personnage central. Je n’en fais pas un coup de cœur à cause de certains passages longuets mais c’est un sacré bouquin, d’un style admirable, affublé d’un des meilleurs incipits que j’ai jamais lus, surprenant à maints égards, mêlant brillamment une noirceur effrayante et une malicieuse bouffonnerie. A lire (si vous n’êtes pas trop déprimés...)

Paul est arrêté juste après son « crime » ; il avoue tout, raconte sa vie si étonnante : « L’inspecteur me regarde comme si j’étais une œuvre d’art, le Bacchus de Caravage. Sans doute le tableau que je viens de brosser à son intention lui révèle-t-il un pan inconnu du lanskisme et de son art d’être au monde. Dans son genre, mon père est une galerie d’art conceptuel, à mi-chemin du MoMA et d’Alcatraz. »

Le choc de la naissance, avoir perdu, d’emblée, mère et frère : « Il y a un trou au fond de moi. Creusé à mes mesures. Suffisamment profond pour m’accueillir. Il habite en moi. Parfois je le sens, il bouge, change de position ou prend toute la place. Il patiente, il a tout son temps. Il attend que je tombe dedans. Et alors il se refermera. Pourquoi je dis cela ? Parce que tout a commencé ainsi. A l’instant même de ma naissance, j’ai senti cette béance s’ouvrir en moi. Comment peut-on encore frissonner cinquante et un ans plus tard à cette évocation, se souvenir aussi intensément d’un pareil moment survenu dès la première seconde de vie ? Je n’en ai aucune idée. La seule chose dont je suis certain et que suggère le rapport de l’intervention, c’est qu’il s’en est fallu d’un rien, ce jour-là, pour que je bascule moi aussi dans le trou qui a englouti ma mère et mon frère. Leur présence, leur contact, leur chaleur me manquent. Pour moi ils étaient tout et je les ai perdus. Ils sont mon conjonctivochalasis congénital, l’origine de mes larmes. »

Quelques autres titres de l'auteur : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, La succession, Une Vie française, etc.

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17 juillet 2024 3 17 /07 /juillet /2024 17:03

Le lierre et l'araignée - Grégoire Carlé - Dupuis - Grand format - Paris  Librairies

En 1995, un garçon pêche la truite avec son grand-père, ce moment de complicité et la présence de la rivière permettent à l’aïeul de raconter ses souvenirs de guerre à son petit-fils. En effet, au début de la 2e Guerre mondiale, des centaines de milliers d’Alsaciens ont fui la région sous la contrainte ou pour éviter de redevenir allemands. Ceux qui sont restés ont dû cohabiter avec l’ennemi qu’ils détestaient. On a brûlé certains livres, on a changé les enseignes, les noms de rue, les noms de famille bien français pour les germaniser (la place Broglie – chère à mon cœur – est devenue la place Adolf Hitler) ; même les lettres C et F des robinets ont dû être modifiées. On a tenté un lavage de cerveau express auprès des habitants généralement dubitatifs et récalcitrants. Le narrateur, un adolescent accompagné d’un groupe de copains, va créer la « Feuille de Lierre », une section de résistance bien décidée à lutter contre ceux qui représentent « l’Araignée » (la croix gammée). Les jeunes vont subtiliser des grenades trouvées dans un fort et les jeter dans la rivière où ils avaient l’habitude de pêcher et multiplier des petits actes qui vont apporter leur pierre à l’édifice de la Résistance mais ils seront dénoncés puis arrêtés.

Trompeuse, la couverture tait tous les secrets que révèlent cette bonne grosse BD de qualité. En tant qu’Alsacienne, j’ai été bouleversée de lire cet hommage rendu à un peuple malmené et souvent mal compris depuis des décennies. J’ai beaucoup appris et des souvenirs d’enfance ont ressurgi, les « Français de l’intérieur », plus particulièrement les Parisiens, je les ai longtemps entendus surnommés les « Hasebocks » sans en connaître l’origine ; c’est une référence faite à leur couardise, les Français ont abandonné les Alsaciens, ont fui comme des lièvres. De nombreuses insultes en alsacien jalonnent le recueil et si je comprends le dialecte sans savoir le parler, je remercie sincèrement l’auteur de raviver ces particularités alsaciennes et uniques qu’on a tendance à oublier. Je me dis qu’enfant, plus encore qu’aujourd’hui, j’avais vraiment le sentiment d’appartenir à un peuple positionné le cul entre deux chaises entre les Hasebocks et les Schwobs (surnom pas sympa donné aux Allemands), il en fallait du caractère pour tenir, coincés entre ces deux mondes ! Les dessins rendent honneur à l’histoire narrée, tantôt bucoliques et champêtres pour les scènes de pêche, tantôt rebelles pour celles consacrées à la 2e Guerre mondiale. La récurrence des vignettes consacrées à une forêt mystérieuse, protectrice et sauvage m’a beaucoup plu. Je ne sais pas si cette BD pourra toucher tout le monde mais elle a parlé à mes tripes, à mes origines et m’a fait penser à mon regretté papa, ardent défenseur de la culture alsacienne.

---     COUP DE CŒUR    ---

« Les rivières ont toutes une odeur, difficile à décrire. Peut-être elle de l’étreinte de l’eau et de la pierre... »

« Mais le lierre continue de poisser à la lumière de la lune. Contrairement aux idées reçues, il n’étouffe pas l’arbre sur lequel il s’installe. Il s’arrête de croître à l’ombre de sa couronne, évitant la lumière crue et offrant au contraire à son hôte un manteau protecteur et un refuse contre toute une faune prédatrice de parasites. C’est un allié. »

« Avant de moisir dans la cabane des jeunes, on avait écopé de la disciplinaire, où l'on nous faisait perdre 20 kilos en un mois. Rien de mieux que la faim pour briser toute camaraderie. Nous étions affamés en permanence et ne pensions qu'à une chose : bouffer. Ça nous rendait fous et les journées étaient interminables. À 05h30, le camp se réveillait. Les chiens lâchés pour la nuit rentraient au chenil. De toute manière, dormir était impossible. Et après un énième appel où nous devions nous compter nous-mêmes, on nous rassemblait dans la cour pour nous affecter au commando extérieur : scierie, carrière, bûcheronnage... Les travaux étaient harassants, mais à l'extérieur du camp des gens de la vallée arrivaient parfois à nous passer un peu de nourriture. »

Le Lierre et l'Araignée - (Grégoire Carlé) - Roman Graphique [CANAL-BD]

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