Fervente lectrice de cet auteur bisontin, cru, drôle et délirant dans ses polars, je ne pouvais pas rater son dernier méfait.
Thibault Morel est CPE à Planoise, un quartier très chaud de Besançon où il a été muté il y a peu. Il a déniché un petit appart, pensant trouver calme et quiétude mais il comprend très rapidement que sur le même pallier, se tient un trafic de drogue à grande échelle. Par conséquent ses allées et venues dans sa propre résidence sont contrôlées par un charbonneur, le mec qui permet de faire circuler les clients vers leur produit préféré. Et c’est parfois à coups de claque qu’il est accueilli devant son logement... jusqu’à une certaine nuit où il entend des coups de feu et trouve, dans l’appart en face du sien, les cadavres de deux caïds du shit. Une voisine l’accompagne et, dans la salle de bains, ils découvrent, par le biais d’un astucieux système de baignoire encastrée, la cache de fric et de shit des malfrats. D’un commun accord, Thibault et Mme Ramla, gentille mère de famille, décident de fermer la cache et de taire le « trésor » aux flics. Les premiers billets serviront à financer un voyage scolaire, les suivants à aider quelques familles en détresse de la cité. Les compères sèment le bien autour d’eux et décident de reprendre le trafic de shit pour le bien de tous. Mais que faire quand la réserve est épuisée ?
C’est tout simple, voilà un looser qui se métamorphose en winner dans un far west bien actuel, dans une cité de Besançon. Comme d’habitude chez Monsieur Schwartzmann, c’est gros et grotesque, souvent drôle mais l’intrigue n’est pas en reste, cette reconversion de CPE en dealer devient (presque) crédible, on s’attache à gars maladroit échoué dans un univers hostile, capable de gravir les échelons de la fraude et de la violence. L’auteur sait bien de quoi il parle puisqu’il a grandi à Planoise, « décor de théâtre de merde », et qu’il a été élève dans le collège Voltaire évoqué dans le roman. Pour le reste, on admettra que ce n’est que pure fiction. Cette lecture m’a bien divertie, elle a rempli sa mission de me faire sourire plusieurs fois. Même si j’avais trouvé l’auteur déjà bien plus irrévérencieux dans Mauvais coûts ou Demain c’est loin, il dépoussière le genre du polar, donne un coup de pied au cul des clichés sur les quartiers sensibles (qu’il réutilise aussi, évidemment) et dénonce tout de même un peu notre belle société actuelle. De belles parenthèses sur la vie d’un collège ne font que colorer ce roman déjà bien allumé.
« Ma rue. Elle est composée de cinq ou six séries de bâtiments différents. Comme si on avait eu plusieurs architectes, qu'on n'avait pas été capables de les départager et qu'on leur avait demandé à chacun de dessiner son projet. Certains sont des gros cubes à sept étages, d'autres, plus ramassés, n'en comptent que cinq. Comme le mien, au tout début de la rue. J'ignore quand, j'ignore pourquoi, mais il a un jour été décidé que les immeubles de plus de dix étages, les tours, ce n'était pas bien. On a ainsi privilégié des petites structures. Pour faire plus cosy, moins parcage. Conneries. C'est toujours la même bêtise de croire qu'en agençant autrement on améliorera le sort des habitants. On repeint, on dresse des parcs de jeux pour les enfants, on ajoute des bancs par-ci par-là, on pense que cela suffira et on ne comprend pas que ce soit toujours le bordel. »
Thibault a trouvé un transporteur, vous devinez pour quoi : « Et me voilà donc à attendre sur ce parking, tendu, pas rassuré. Ce qui me ferait vraiment du bien, là, tout de suite, c'est un joint. Mes poumons se dressent sur la pointe de leur petits lobes inférieurs, ma plèvre froufroute, mes bronches beuglent aussi fort que les tuyaux d'aspirateur croisés avec des didgeridoos. Je stresse depuis quelques jours. Depuis le retour d'Épinal, à vrai dire. C'est vrai que j'ai beaucoup fumé là-bas. »