Euphrate est né et a grandi en France contrairement à Rami, son père d’origine irakienne, qui a fui son pays dans les années 70. Le vieil homme, hospitalisé et atteint d’amnésie, se livre une dernière fois à un fils qui a si longtemps quémandé - en vain - des révélations et des récits du passé. Né à Falloujah, Rami s’est rapidement retrouvé orphelin de mère, contraint de subir maltraitances et actes haineux de la part d’une belle-mère qui a toujours privilégié ses fils. C’est en opposants politiques que lui et son meilleur ami sont arrivés à Bagdad où il a été emprisonné et connu les pires moments de sa vie, si traumatisants pour lui mais aussi, par ricochets, pour son fils.
Premier roman d’un journaliste franco-irakien qui n’en est cependant pas à son premier livre, ce texte respire l’authenticité et la quête des origines. Si la thématique de l’exil est si bien traitée, c’est aussi le traumatisme de l’oppression et de la dictature qui est évoqué ainsi que le devoir de mémoire, cette transmission parfois si difficile entre un père et un fils pourtant demandeur. J’ai aimé découvrir ce pays en entrant dans la sphère intime d’une famille, en savoir plus sur les rivalités entre campagnards et citadins, manger du masgouf en buvant du thé à la cardamome, passer d’une époque à l’autre, voyager de Falloujah à Paris. Une image me restera sans doute en tête, celle de ce défi entre garçons qui veulent se prouver qu’ils sont déjà des hommes : plonger dans l’Euphrate (sans savoir nager parfois...) et enterrer une pastèque au fond du fleuve.
« Mon fils, toi et moi, nous sommes des voyageurs. L'identité est un long voyage solitaire. Chaque voyageur porte une valise. C'est une valise que tu ne vois pas. Elle est invisible, mais elle est là. Au cours de ton existence, cette valise va se remplir de rencontres, d'objets, de souvenirs, d'expériences, bonnes et mauvaises. Pour qu'elle ne soit pas trop lourde et pour que tu puisses avancer, tu devras enlever certaines choses inutiles et garder les plus importantes. Il faudra faire le tri car, face au poids des mots, des rencontres, de l'adversité, de l'amour et de la haine, des victoires et des défaites, les épaules du voyageur se voûtent. L'identité, mon fils, est un long périple. À toi de le rendre le plus léger et le plus droit possible. Sache qu'on n'est pas. On devient. »
« Aujourd'hui, je le sais. La mémoire est un art choisi, un canevas blanc sur lequel on fait courir des pinceaux de couleur pour un résultat bien loin de la représentation exacte de la réalité, mais proche d'une vérité subjective, celle qui nous habite à l'instant où nous la vivons. La mémoire n'est pas forcément une reproduction fidèle de ce qui s'est réellement passé. Elle retient aussi bien ce qu'elle désire que ce qu'elle abhorre. »