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3 octobre 2024 4 03 /10 /octobre /2024 15:55

Je me souviens de Falloujah, Feurat Alani | Livre de Poche

Euphrate est né et a grandi en France contrairement à Rami, son père d’origine irakienne, qui a fui son pays dans les années 70. Le vieil homme, hospitalisé et atteint d’amnésie, se livre une dernière fois à un fils qui a si longtemps quémandé - en vain - des révélations et des récits du passé. Né à Falloujah, Rami s’est rapidement retrouvé orphelin de mère, contraint de subir maltraitances et actes haineux de la part d’une belle-mère qui a toujours privilégié ses fils. C’est en opposants politiques que lui et son meilleur ami sont arrivés à Bagdad où il a été emprisonné et connu les pires moments de sa vie, si traumatisants pour lui mais aussi, par ricochets, pour son fils.

Premier roman d’un journaliste franco-irakien qui n’en est cependant pas à son premier livre, ce texte respire l’authenticité et la quête des origines. Si la thématique de l’exil est si bien traitée, c’est aussi le traumatisme de l’oppression et de la dictature qui est évoqué ainsi que le devoir de mémoire, cette transmission parfois si difficile entre un père et un fils pourtant demandeur. J’ai aimé découvrir ce pays en entrant dans la sphère intime d’une famille, en savoir plus sur les rivalités entre campagnards et citadins, manger du masgouf en buvant du thé à la cardamome, passer d’une époque à l’autre, voyager de Falloujah à Paris. Une image me restera sans doute en tête, celle de ce défi entre garçons qui veulent se prouver qu’ils sont déjà des hommes : plonger dans l’Euphrate (sans savoir nager parfois...) et enterrer une pastèque au fond du fleuve.

« Mon fils, toi et moi, nous sommes des voyageurs. L'identité est un long voyage solitaire. Chaque voyageur porte une valise. C'est une valise que tu ne vois pas. Elle est invisible, mais elle est là. Au cours de ton existence, cette valise va se remplir de rencontres, d'objets, de souvenirs, d'expériences, bonnes et mauvaises. Pour qu'elle ne soit pas trop lourde et pour que tu puisses avancer, tu devras enlever certaines choses inutiles et garder les plus importantes. Il faudra faire le tri car, face au poids des mots, des rencontres, de l'adversité, de l'amour et de la haine, des victoires et des défaites, les épaules du voyageur se voûtent. L'identité, mon fils, est un long périple. À toi de le rendre le plus léger et le plus droit possible. Sache qu'on n'est pas. On devient. »

« Aujourd'hui, je le sais. La mémoire est un art choisi, un canevas blanc sur lequel on fait courir des pinceaux de couleur pour un résultat bien loin de la représentation exacte de la réalité, mais proche d'une vérité subjective, celle qui nous habite à l'instant où nous la vivons. La mémoire n'est pas forcément une reproduction fidèle de ce qui s'est réellement passé. Elle retient aussi bien ce qu'elle désire que ce qu'elle abhorre. »

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30 septembre 2024 1 30 /09 /septembre /2024 17:04

L'Attrape-coeurs

Relecture vingt ans plus tard de ce classique (apparemment le roman de l’adolescence le plus lu dans le monde !?) dans le cadre du challenge Les Classiques c’est fantastique avec pour thème du mois de septembre « L’adolescence ».

Holden Caulfield a 17 ans, il vient de se faire renvoyer de son collège, quelques jours avant Noël, et n’ose pas rentrer chez ses parents. Il fuit donc à travers les rues de New-York, pensant souvent à sa petite sœur adorée, à son frère décédé d’une leucémie, à Jane, sa voisine qu’il aime beaucoup mais qui a peut-être couché avec le gros lourd de Stradlater. Il passe la nuit dans un hôtel sordide, tente de commander de l’alcool au bar (mais on lui refuse parce qu’il est mineur), refuse une prostituée et se fait tabasser par son mac, retrouve une copine qu’il envoie malencontreusement balader...

Je ne sais pas si c’est un roman qu’il faut avoir lu dans sa vie mais il a quelque chose de touchant et de délicat. Ce jeune paumé dans un monde hostile essaye tant bien que mal de rouler des mécaniques, de se faire une place, il pense parfois être à la hauteur de la situation mais se rend aussi compte qu’il a souvent les chocottes... Il est tout de même un des seuls mecs qui arrête de tripoter une fille quand la fille lui dit d’arrêter et après avoir « commandé » une prostituée, il refuse de coucher avec elle. Il n’a que trois noms dans son carnet d’adresses et personne pour répondre à cette question qui l’obsède : où vont les canards de Central Park quand l’eau du lac gèle en hiver ? Il faut y regarder à deux fois : ce roman a bien été écrit en 1951 mais il a une portée universelle et un écho actuel assez incroyables. Le narrateur le dit lui-même, il a un « vocabulaire à la noix », le langage est familier, les négations amputées de leur première partie, il aime manier les hyperboles et les excès (« Fallait toujours qu’il se cure les ongles. » ; « Ce mec, Ackley, faut toujours qu’il tripote quelque chose. » ; « J’ai ôté ma casquette et je l’ai contemplée pour la quatre-vingt-dixième fois environ. ») Le roman traduit aussi un malaise plus profond, qui « vous flanque le cafard » dans une société déficiente et malade.

Une image que j'ai adorée : Allie, le frère de Holden, recopiait des poèmes sur ses gants de base-ball pour avoir quelque chose à lire quand il attendait sur le terrain.

« Je suis le plus fieffé menteur que vous ayez jamais rencontré. C'est affreux. Si je sors même simplement pour acheter un magazine et que quelqu'un me demande où je vais je suis capable de dire que je vais à l'opéra. C'était terrible. »

« Je suis toujours à dire « Enchanté d'avoir fait votre connaissance » à des gens que j'avais pas le moindre désir de connaître. C'est comme ça qu'il faut fonctionner si on veut rester en vie. »

« Je serai juste l’attrape-cœurs et tout. D’accord, c’est dingue, mais c’est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. »

L’attrape-cœurs de J.D. Salinger
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27 septembre 2024 5 27 /09 /septembre /2024 15:31

La Promesse, Armel Guerne, Friedrich Dürrenmatt | Livre de Poche

 -Requiem pour le roman policier-

C’est après une conférence sur le roman policier et non loin du col de Kerens, sur une route glacée et enneigée, que le commandant H. raconte au narrateur l’histoire surprenante de Matthieu, un détective qui a mal tourné. Promu à un brillant avenir et en passe d’être muté en Jordanie, le détective Matthieu est confronté au meurtre d’une fillette, Gritli, retrouvée tuée à coups de lames de rasoir dans une forêt. Les villageois en colère sont unanimes : c’est le colporteur le coupable, plusieurs l’ont croisé non loin du lieu du crime. Allant un peu vite en besogne, Mathieu accepte de l’arrêter et de l’interroger ; ses hommes tortureront l’accusé pendant des heures jusqu’à ce qu’il avoue le crime qu’il n’a pas commis ... et se suicide. Matthieu, parce qu’il a fait la promesse aux parents de la petite Gritli de retrouver le meurtrier, va tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, au détriment de sa carrière et des injonctions de ses supérieurs. S’il ne connaît pas le meurtrier, il va tenter de lui présenter une nouvelle victime qu’il choisira parmi des filles du même âge que Gritli. Il héberge l’ « appât » avec lui et ne la quitte plus des yeux. Mais la vérité ne sera révélée que des années plus tard et, entretemps, le détective aura souillé sa vie et son honneur...

Décidément, j’aime tout ce que je lis de cet auteur suisse. Par le truchement d’un récit enchâssé, on suit avec le commandant H. l’évolution de ses impressions et de ses réactions face aux méthodes de travail tout à fait particulières de Matthieu. C’est un homme qui tente coûte que coûte de résoudre un mystère, de rétablir une vérité qui semble n’avoir d’importance véritable que pour lui. Il va élire domicile dans une station-service idéalement située pour ne pas manquer le présumé coupable et s’accompagner d’une mère et de sa fille pour brouiller les pistes. Ce court roman policier met aussi en avant la parole de l’enfant (Gritli avait dessiné son meurtrier en la figure d’un géant portant un hérisson) et l’incompétence de la police, trop heureuse d’avoir – rapidement -  trouvé un coupable. L’écriture est, comme toujours chez Dürrenmatt, ciselée et efficace et la construction du récit intelligente avec cette mise en abyme du genre policier, ses réflexions sur ce que doit être et ne pas être un polar. A noter que l’auteur a d’abord écrit le scénario du film Ça s’est passé en plein jour (1958) et que ce roman en est l’adaptation. Plus tard, en 2001, c’est Sean Penn qui reprend l’histoire pour réaliser The Pledge (avec Jack Nicholson et Robin Wright).

Un autre polar de l’auteur : Le Juge et son Bourreau.

L’excellent La Panne.

Et je ne peux que recommander La Visite de la Vieille dame, une de mes pièces de théâtre préférée.

« Je ne sais rien de l'assassin. Il m'est impossible de prétendre le rechercher. Ce que je peux chercher, par contre, c'est sa prochaine victime. J'en sais assez pour trouver son type de fillette et pour lui jeter l'enfant comme un appât. »

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24 septembre 2024 2 24 /09 /septembre /2024 07:27

Monique s'évade - Edouard Louis - Seuil - Grand format - Place des Libraires

« Elle m'a appelé au milieu de la soirée. Elle pleurait. J'avais vingt-huit ans à l'instant de cet appel et c'était la troisième, peut-être la quatrième fois seulement depuis ma naissance, que je l'entendais pleurer. » C’est ainsi que commence le récit d’inspiration autobiographique d’un fils qui va raconter que sa mère l’appelle, en détresse, parce que son compagnon l’insulte, l’humilie et la frappe une énième fois. Faut-il rappeler que Monique a déjà quitté le père violent et ivrogne des années auparavant ? L’histoire semble se répéter mais cette fois, la mère écoute son fils. Elle fait une petite valise et s’en va, au petit matin, elle quitte son village du Nord de la France et rejoint l’appartement du narrateur que lui ouvre un ami. Une lente reconstruction démarre. Le fils, resté à Athènes, s’occupe de sa mère à distance, lui procure des habits, lui fait parvenir des repas (elle qui a toujours cuisiné pour les autres), lui permet de se maquiller, lui trouve une petite maison. Et la femme qui a, toute sa vie été soumise et rabaissée, va renaître, devenir une personne importante, vivre une existence libre et même connaître le succès. 

Alors que j'avais été moyennement convaincue par la lecture d’En finir avec Eddy Bellegueule et de Qui a tué mon père ? parce qu’il m’a semblé que la visée de ces textes était trop égocentrique parce que thérapeutique, j'ai trouvé ce récit autobiographique extrêmement touchant, lumineux et admirable. On sent bien que le fils, parce qu’il va (enfin) bien (et qu’il a de l’argent), est tout à fait en mesure d’aider sa mère dans une situation de désespoir et, surtout, que cette femme trouve enfin le courage de se libérer. Leur relation nouvelle grandit avec de la tendresse et un rapport qui n’est plus celui de mère à enfant (puisque ce rapport-là a tellement dysfonctionné dans le passé) ; respect et admiration unissent désormais les deux. L’auteur se permet de faire une référence très juste à Virginia Woolf et sa sublime Chambre à soi : la liberté et l’équilibre d’une femme nécessitent indépendance et aisance financière. Plutôt que d’être une béquille, le fils est un propulseur qui va pousser délicatement sa mère dans le dos pour qu’elle avance dans la vie, dans ce réapprentissage de la vie. Et à 55 ans, sa mère s’autorise une nouvelle existence où elle apprécie d’être choyée et gâtée. L’histoire ne dit pas si elle a pu voler de ses propres ailes en trouvant un travail (qu’enfin, elle cesse de dépendre d’un homme) mais devrait apporter une leçon de courage à toutes celles qui n’osent pas encore... J’ai apprécié la simplicité et l’authenticité du récit.

Monique découvre la cuisine libanaise : «  L'exclusion qui avait formé la matière de sa vie se jouait dans des détails si minuscules, s'il minuscules, je pensais en l'écoutant : à plus de cinquante ans elle n’a encore jamais expérimenté certaines saveurs, jamais éprouvé certaines sensations gustatives, comme une forme de dépossession culinaire et sensorielle. Quand on pense à la dépossession, à la pauvreté, on pense à la difficulté à s'acheter des vêtements ou à payer des factures, mais on ne pense pas à ces choses-là, les saveurs, les odeurs, les sensations jamais connues. »

Le narrateur revoit l’ancien compagnon de Monique : «  Je lui ai fait un signe de tête, de loin,  je ne me suis pas approché, mais en l'observant, je me suis mis à penser soudain que peut-être, cet homme n'était ni le coupable ni le responsable de ce qu’il avait fait, mais qu'il avait lui-même été le corps conducteur d'une violence qui le dépassait et qui n'est pas simple à expliquer, celle de son éducation, celle de sa classe sociale, celle de sa vie en couple, celle de la domination masculine, je me suis mis à penser que peut-être, cet homme était le produit d'une ou plutôt de plusieurs situations entremêlées qu’il ne contrôlait pas, exactement comme ma mère avait elle-même été violente quand elle vivait avec mon père, et qu'elle était sa prisonnière, exactement comme moi j'avais été violent avec elle en retour, je me suis mis à penser, en regardant cet homme d'apparence faible et pathétique, et contre toute attente ou anticipation de ma part, que peut-être, il était innocent, innocent non pas au sens où il m'inspirait de la sympathie ou de l'affection, loin de là, mais innocent au sens conceptuel, pur, au sens où rien en ne lui témoignait de la capacité de faire d'entreprendre (...) »

 

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21 septembre 2024 6 21 /09 /septembre /2024 10:56

La couleur des choses - Martin Panchaud - Ca Et La - Grand format - Paris  Librairies

J’avais déjà souvent ce roman graphique en main avant de le reposer, rebutée par les dessins. J’ai fini par le lire...

Simon, un Anglais de 14 ans vit avec des parents qui se disputent souvent. Il côtoie des jeunes qui le harcèlent et tentent quotidiennement de lui extorquer de l’argent. Un jour, une voyante lui prédit les numéros gagnants d’une course de chevaux et, effectivement, Simon va remporter 16 millions de livres. Mais, mineur, il a besoin de la signature d’un parent pour valider le gain. Or, sa mère est retrouvée inconsciente dans leur maison, apparemment elle aura été violemment tabassée et le père a disparu... Avec un ami de la mère, Simon part en road trip à travers l’Angleterre à la recherche de son père, il rend également visite à sa mère restée dans le coma et va surtout mûrir d’un coup, assommé par une série de découvertes.

Evidemment, suivre les histoires de petites pastilles dialoguant dans des décors de dessins d’architecte et de coupes de maison, ça surprend. C’est conceptuel, expérimental, novateur, géométrique. Le dessin cède sa place au schéma, on se dit qu’on n’accrochera jamais et pourtant l’intrigue est suffisamment prenante pour que ça fonctionne. Entre cartes, plans, factures, coupons et dessins, le lecteur est baladé dans un univers policier et familial qui a même le don de devenir touchant. La BD a reçu le Fauve d’Or 2023, le Prix du Meilleur Album du Festival de la Bande dessinée d’Angoulême, je ne saurais dire si c’est mérité parce que les dessins restent rudimentaires en comparaison avec ceux d’autres auteurs mais la lecture m’a plu et c’est l’audace qui été récompensée.

La Couleur des Choses - (Martin Panchaud) - Roman Graphique [CANAL-BD]

 

Festival d'Angoulême 2023 : le Fauve d'or décerné à « La Couleur des choses  », de Martin Panchaud

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17 septembre 2024 2 17 /09 /septembre /2024 09:21

Coeur-d'amande

Nestor, alias Ness ou encore surnommé Cœur-d’amande, est un homme de petite taille, vendeur de chaussures qui vient d’être mis à la porte. Vivant seul avec la grand-mère qui l’a élevé (seule), choyé, adoré, valorisé toute sa vie, il se sent privilégié dans son petit appartement de Barbès. Mais la mamie, à 86 ans, perd doucement la tête, Ness ne veut pas le reconnaître et il s’accroche à elle comme à une bouée de sauvetage alors que ses amis tentent de lui faire entendre raison : il faut la placer dans un institut spécialisé. Ness s’apprête alors à tout perdre : argent, boulot, famille, appartement, heureusement qu'il est bien entouré, qu'il a une fibre littéraire et une chance de dingue.

Je suis vraiment embêtée. Je n’ai pas lu grand-chose de cet écrivain mais il me semble qu’il a totalement changé de bord, penchant vers un feel good qui me laisse sans voix. Je vais quand même essayer d’expliquer à quel point j’ai lu ce roman avec plaisir parce que c’est doux, cotonneux, certains passages brillent au milieu d’une histoire ... qui est un conte tant elle est invraisemblable. De rencontres non crédibles à un succès foudroyant pour le personnage principal, Barbès est un décor en carton-pâte où Amélie Poulain aurait pu se promener, les habitants y sont tous plus chaleureux et généreux les uns que les autres (avec vue sur le Sacré-Cœur)... Ness tombe quand même sur un type qui est prêt à lui donner sa vie parce qu’il l’a dépanné une seule fois. Et vlà-t-il pas que le citadin débarque à la campagne et s’ennuie sec avant d’apprécier tout de même les charmes de la nature et du bistrot du village. Mouais. Je pense que j’attendais beaucoup plus de ce grand écrivain qu’une histoire facile et mignonnette, cousue de fil blanc ; ça aurait été un premier roman, pourquoi pas. On ne va pas se mettre à encenser les romans juste parce qu’ils se lisent bien...

« Je considère l'existence comme une offrande inespérée sous une cloche de verre piégée. J'ai le choix entre la contempler en salivant dessus ou bien soulever la cloche. J'ai choisi de prendre le risque, il n'y a pas de risque non négociable pour celui qui veut vivre pleinement sa vie. Celui-là doit savoir gérer les échecs, relever les défis et se désaltérer dans la sueur de son front comme dans une eau bénite. Le monde est une combinaison de hauts et de bas et nous en faisons partie. Personne n'y peut changer grand-chose, mais chacun doit composer avec. »

Ness décrit sa grand-mère (je ne suis pas sûre que le sari soit le vêtement le plus flatteur au monde...) « Avec son visage de fée et sa silhouette gaulée, n'importe quelle robe de braderie lui allait comme un sari. »

« Il est des moments où toutes les étoiles se décrochent du ciel et tombent en poussière telles des prières irrecevables ; des moments où les rêves qu'on engrange dans un coin de sa petite tête se défont aussi misérablement qu'un nœud coulant raté. D'un coup, tout ce qui a illuminé nos horizons fiche le camp. Il ne reste que les preuves de notre impuissance. On se frappe dans les mains avec chagrin, on regarde la pointe de ses souliers, on secoue la tête à droite à gauche et on mesure l'étendue du désastre. »

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13 septembre 2024 5 13 /09 /septembre /2024 21:45

Fabriquer une femme eBook : Darrieussecq, Marie: Amazon.fr: Boutique Kindle

Alors que j’avais presque détesté Truismes, je pensais ne plus lire cette autrice. C’était sans compter le pouvoir de persuasion des chroniqueurs du Masque et la Plume.

Rose et Solange ont quinze ans dans les années 80. Elles sont copines et voisines dans un petit village basque, elles se connaissent depuis toujours mais ne se ressemblent pas. Rose est discrète, sérieuse, réservée, amoureuse de Christian (même si elle va voir ailleurs de temps en temps), Solange est extravertie, belle et plus libertine. Elle est tombée enceinte, oui à quinze ans, et elle accouchera d’un petit garçon parce qu’il est trop tard pour avorter. Elle ne pourra donc pas aller au voyage scolaire à Madrid alors que Christian et Rose vivent pleinement leur vie d’ado. Mais, après la naissance du petit, Solange se rattrapera, prendra des cours de théâtre pour aller à Bordeaux, puis à Paris, Londres, Los Angeles. En musique de fond : Les Rita Mitsouko et Nirvana, Barbara et Les Démons de minuit.

Pourquoi est-on tant happés par ce roman ? Les deux héroïnes sont parfois agaçantes voire un peu niaises, je ne pense pas qu’on s’y attache vraiment, les autres personnages traversent ce monde assez inconsistant des années 80 qui ne paraissent pas tant que ça une époque dorée et heureuse. Et pourtant, la magie opère, on se prend au jeu des maladresses des filles et des garçons ; les événements même malheureux leur passent par-dessus la tête avec une facilité déconcertante. Ignorance et insouciance de ces jeunes déclenchent une certaine fascination chez le lecteur d’aujourd’hui où tout paraît mesuré, scruté, quantifié, critiqué (et heureusement ! – dans les années 80, on se faisait tripoter, c’était moche et dégueulasse mais on n’allait pas porter plainte). Malgré quelques évolutions du côté de Solange qui tiennent d’un coup de baguette magique (elle rencontre Bowie, Gainsbourg, Mick Jagger, entre autres... et couche avec Prince !), le roman offre une photographie très juste d’un monde révolu et la vision d’une amitié boiteuse mais vraie. Le style à la fois simple et sans concession participe à cet univers sans fioritures ni complications, et surtout, il rend le texte captivant et addictif. Entre une (bonne) série télé avec un petit air de Simon Liberati et un (bon) roman de Nicolas Mathieu. Bref, une très belle lecture en ce qui me concerne, je suis bien contente de ne pas être restée sur mon a priori négatif au sujet de l’autrice.

Christian et Rose sont allés voir Solange à Londres :« Comme c'est étrange, dans l'alcool et cette ville si profondément sombre, de penser que le village existe toujours, là-bas. Qu'il existe de façon certaine, comme existent en ce moment même, les étoiles sur notre tête, les animaux dans les forêts, les baleines dans les océans - en ce moment même, avec la même réalité qu’eux trois ici, serrés dans le froid et tirant sur le joint, en ce moment même le village occupe deux plis de la croûte terrestre et il distribue ses maisons, ses champs, son église, son bistro, son école et sa putain de boutique de souvenirs, avec la même réalité physique que les bêtes inaccessibles et les atomes des étoiles, et l'absence de Maïder. Buvons. »

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10 septembre 2024 2 10 /09 /septembre /2024 09:08

Silence d'amour, bd chez Casterman de Parciboula

Paul est écrivain ; un écrivain qui a arrêté d’écrire et même arrêté de vivre depuis qu’il a perdu sa compagne, Sofia, six mois plus tôt. La jeune femme souriante et amoureuse, solaire et sublime lui manque à chaque instant. Il la voit partout, l’entend parler, se souvient de tout ce qu’ils ne se sont pas dit, l’écoute sur son répondeur. Il accepte enfin l’invitation de Giovanni en Italie et quitte Lyon qui lui rappelle tellement son amour. En Toscane, il retrouve des amis de Sofia d’origine italienne mais, même bien entouré, il se sent seul et malheureux. Une petit fille nommée Alba l’accueillera dans son refuge caché. Il finit par aller à Stromboli, l’île natale de la jeune femme et erre entre dédale de rues, campagne, volcan et mer.

Lorsque l’amour continue au-delà de la mort, lorsque les êtres chers restent même s’ils sont partis, lorsque la beauté du monde ne suffit pas à consoler, on obtient cet album d’une infinie délicatesse. Malgré le manque et le deuil, tout est sublime : les paysages, les rencontres, les souvenirs. Comme si la mort était capable de rendre plus beau chaque pierre, chaque vague, chaque sourire. Les dessins sont sublimes ; à l’instar de la couverture, ils magnifient la nature et les êtres. Il n’y a ni leçon donnée ni message transmis dans cet album, simplement un amour très fort exprimé au-delà de la mort. Si ce roman graphique se passe souvent de dialogues (le titre est si bien trouvé), je me tais aussi et vous conseille chaudement cette lecture, touchante et bouleversante.

--- Coup de cœur ---

« J’avais peur de ce que j’allais trouver, ou ne pas trouver, en me rendant sur cette île. J’avais aussi peur de ce que j’allais y amener. Peur de coloniser le vide de son absence. Avec ma tristesse. Ma colère. »

Silence d'amour

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6 septembre 2024 5 06 /09 /septembre /2024 08:23

Les guerres précieuses

En quatre chapitres correspondant aux quatre saisons de l’année, la narratrice, Isadora, déroule ses souvenirs, tous en lien avec la Maison, cet endroit familial et intime où elle a vécu son enfance, qu’elle a occupée adulte et qu’elle n’a quitté que pour aller dans une maison de retraite. Les étés rythmés par la venue des cousins cousines, les cabanes dans les arbres, les fuites vers l’extérieur, les complicités enfantines, les siestes obligatoires, les chaleurs torrides. L’automne était synonyme de rentrée, ce qui signifiait aussi qu’il fallait faire ses études en Ville et s’éloigner de la Maison chérie. L’hiver rapprochait la fratrie, Harriett, Louisa, Klaus et Isadora mais les plongeait aussi dans la neige avec des descentes à luge aussi dangereuses que mémorables. Le printemps a toujours réservé des surprises, bonnes ou mauvaises, comme ce groupe de musiciens venu occuper la maison un trimestre, rendant la vie d’Isadora un peu moins solitaire.

Il y a quelque chose de contradictoire dans ce beau récit : on s’y sent bien, touché par les mêmes souvenirs que la narratrice ; je me suis aussi remémorée des scènes lointaines avec ces bousculades joyeuses, ces visages toujours souriants. Et à côté de ce cocon retrouvé, perce un malaise, celui de se dire : plus jamais. Plus jamais l’Isadora trop âgée ne reviendra dans cette maison, plus jamais elle ne reverra sa sœur morte trop jeune, plus jamais elle ne jouera comme une enfant insouciante. L’écriture, absolument sublime, magnifie cette profonde tristesse et cette élégante mélancolie face au temps qui passe. Alors oui, d’autres ont écrit sur ce thème avant Perrine Tripier, et on ne peut évidemment pas s’empêcher de penser à Proust, mais elle s’empare du sujet avec brio, décrivant avec élégance et précision le moindre détail du passé, redonnant vie à ce qui n’est plus. Bravo pour ce premier roman, Perrine Tripier est une autrice à suivre, indéniablement.

« J’étais une ombre, en hiver. L'ombre d'une goule, d'une harpie, d'une banshee, que sais-je, une créature qui ne sait plus si elle vit. Les repas pris seule, le grand silence de la Maison vide, le cliquetis des radiateurs, un gargouillis dans mon ventre, tout devenait et plus bruyant et plus silencieux. Les bruits de la Maison me paraissaient des bruits organiques et mon souffle me semblait mécanique, calculé, artificiel. Je n'avais personne à écouter, alors je m’arrêtais parfois, saisie d'un doute stupide, et mesurais mon pouls, surveillais ma respiration. J'avais soudain peur d'être devenue un esprit, sans m'en être aperçue, d'avoir glissé sans un bruit dans l'inexistence. Je surprenais mon reflet dans les glaces et je me trouvais laide, affreuse, vieille. »

« Je ressasse, à longueur de journée, je pense, je pense, je revois, sans revivre. Je fais l'expérience répétée de l'échec des souvenirs, de l'imperfection de la mémoire. J'oublie des choses qui ne ressurgiront pas, et l'entreprise me semble alors perdue d'avance. »

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2 septembre 2024 1 02 /09 /septembre /2024 16:05

Le Monde perdu sous la mer de Arthur Conan Doyle - Editions Flammarion

D’une pierre deux coups : je sors un livre de ma PAL et participe au challenge de Fanja, Book Trip en mer. Il s’agit d’un court roman ou d’une longue nouvelle (122 pages), comme on voudra.

Le Docteur Maracot a une obsession : descendre dans les profondeurs de l’océan. Pour cela, il embarque avec lui le narrateur, Headley un biologiste, et un sympathique mécanicien, Bill Scanlan, au large de la Grande Canarie. L’objectif est de s’enfermer dans une cage reliée par un câble au bateau, avec un fil de téléphone qui permet de communiquer avec les humains restés à la surface, et de s’enfoncer jusqu’à 8000 mètres de profondeur. Les hommes peuvent allumer ou éteindre une lumière dans la cage et ainsi admirer des centaines d’espèces animales, pour certaines jamais répertoriées. Tout se passe au mieux, la cage parvient même à toucher le sol mais, parce que Maracot voulait analyser la formation volcanique sous leurs pieds, ils se heurtent (au sens propre du terme !) à une créature géante, mi-crabe mi-écrevisse, qui semble s’attaquer à la cage. Finalement, le monstre ronge le filin qui les reliait au bateau et la cage s’enfonce dans les abîmes, les aventuriers n’en ont plus que pour quelques heures d’oxygène et de vivres (et de whisky, ne jamais oublier le whisky !) Pourtant, aux hublots de la cage apparaît soudain... un visage humain ! Les explorateurs sont accueillis dans un microcosme où des humains vivent une existence confortable.

Quel étrange récit ! D’abord très effrayant (si j’adore le snorkeling, l’idée de descendre à des dizaines de mètres dans la mer m’angoisse), on se demande ce qui peut encore se passer lorsque la cage est perdue à tout jamais dans les profondeurs de l’océan (quelle horreur !) surtout qu’on a le témoignage de Headley qui est donc censé survivre. Le récit devient étrange voire cocasse avec ce peuple des mers qui vit en autarcie et dans la plus parfaite autonomie. Des similitudes avec notre civilisation sont rapidement révélées : l’esclavagisme, des connaissances techniques très poussées, le désir du pouvoir. Sans être scientifique, je suis sûre que de nombreuses scènes manquent de crédibilité (doux euphémisme) ; il y règne aussi une ambiance raciste anti-Chinois assez incompréhensible mais le voyage reste plaisant et m’a fait sourire, le personnage de Maracot en tant que savant fou, distrait et prétentieux, vaut son pesant d’or.  Allez, et ça fait même un peu rêver ce mythe de l’Atlantide revisité, on y croirait presque comme dans un conte pour enfants...

« Nous descendrons au fond dans une cage d'acier munie, sur chaque côté, d'un hublot de cristal pour l'observation. Si la pression n'est pas assez forte pour ouvrir une brèche d'un pouce et demi dans une plaque d'acier à double proportion de nickel, nous n'avons rien à craindre. »

« Un fait s’impose (...) C'est que l’Atlantide n'était pas un simple mythe. Elle a trouvé des gens merveilleux pour lui prolonger l'existence. »

 

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