Martin est l’un des gardes du parc national des Pyrénées Orientales, et, depuis la mort de l’ourse Cannelle, il est un farouche anti-chasse, déterminé à retrouver et à protéger le dernier ours des Pyrénées, Cannellito, le fils de Cannelle. Lorsqu’il voit, sur les réseaux sociaux, une jeune femme blonde affichant sa fierté d’avoir tué un lion dans le désert de Namibie, il n’a qu’une hâte : la retrouver et lui faire payer. Elle, c’est Apolline Laffourcade, fille de riche qui, pour ses vingt a reçu un cadeau hors de prix de son père : le droit de tuer un lion en Namibie. Komuti, lui, est un Himba qui vit en Namibie et ne peut que constater les dégâts qu’a fait le lion à cause de la sécheresse : son père a perdu ses chèvres dévorées en une nuit. Pour séduire la plus belle des Himbas de son village et redorer le blason de sa famille, il se jure d’abattre ce lion. Enfin, Charles, c’est le lion qui est au centre de cette intrigue et qui a droit, épisodiquement, à la parole.
Le sujet est brûlant et l’enquête est passionnante. Deux camps opposés s’affrontent et, entre la chasseresse et l’écolo anti-chasseurs, il y a le peuple de Namibie, celui qui veut bien accepter de tuer le lion quand c’est devenu absolument indispensable à la survie de tout un peuple. Les passages narrant les instants de chasse m’ont donné la nausée, je ne suis pas anti-spéciste mais je ne comprends pas quel plaisir on peut ressentir à tuer un autre être vivant et considérer cette activité comme un loisir. L’auteur pousse le bouchon en choisissant une chasseresse jeune, intelligente et sensible et néanmoins convaincue qu’elle est dans son bon droit. Les différentes voix se répondent efficacement et, jusqu’à la fin, on ne sait qui a vraiment tué le roi des animaux et dans quelles conditions. J’ai adoré ce thriller choral engagé aux multiples rebondissements qui ouvre les portes de la réflexion sans tomber dans un manichéisme qui ne ferait pas avancer les choses. Et comme le livre porte bien son titre ! C’est un COUP DE CŒUR ! (Merci Michaël pour ce beau moment 😊)
Colin Niel est aussi l'auteur de Seules les bêtes qui a été adapté au cinéma en 2019 (un film très réussi aussi!)
Komuti a construit un kraal qui n’effraie nullement le lion : « Tout ce qui me passa par la tête, tout ce qui aurait pu l'éloigner, je le tentai. Je pris la marmite, tapai dessus avec un bout de ferraille fis tout le vacarme possible au milieu des braillements. Je voyais bien que j’agaçais le lion, que ses mouvements se faisaient plus nerveux. Mais à aucun moment il ne renonça, il explora chaque recoin de mon enclos, se hâtant vers l'extrémité, revenant à pas plus lents. Alors qu’il était tout proche de moi, à peine à quelques mètres, il fit une halte. Un court instant figé, sans rugir ni grogner. Et malgré l'obscurité, je jure qu'il me fixait de ses yeux jaunes et brillants. Qu'il me défiait, même. J’entendis son souffle entre les cris des chèvres, j'imaginais sa gueule ouverte, sa langue, ses crocs. Mon cœur battait en moi avec violence, des coups que je ressentais jusque dans mes tempes. »
Apolline chasse le zèbre… : « Sans mouvement brusque, je redresse mon AVAIL au milieu des branchages. Je bloque mon bras d'arc, déloge une flèche du carquois, glisse la corde dans l'encoche, enclenche mon décocheur sur le D-Loop. Puis j’amène la flèche à moi, les deux cames tournant sur elles-mêmes tandis que je tracte dans le mur, jusqu'en butée, le même geste cent fois répété à l'entraînement. Les plumes caressent ma joue, j'aligne mon tunnel, visette-viseur-cible, le pin vert des vingt mètres calé en haut de la cuisse du zèbre. J’inspire, j’attends. A cet instant je sais que j'ai sa vie au bout de ma flèche, que tout se joue entre lui et moi, que les autres ne comptent plus. Je ne tremble pas comme ça m'arrive parfois, non, je suis très calme. Un vertige me saisit, fugace et familier, l'impression de ne plus vraiment être là, d'habiter un monde où la vie et la mort n'ont plus tout à fait le même sens, fondues l'une dans l'autre. »