-Chroniques de la vie des Iraniennes-
Le hasard m’a amenée à lire le fascinant roman de Zoyâ Pirzâd, à rencontrer une charmante Iranienne exilée en France depuis des années, à revoir le film Persépolis et à m’intéresser de plus en plus à ce pays tellement riche en paradoxes qu’est l’Iran. Je ne sais pas si vous connaissez cette collection des « Pintades » qui consiste à se téléporter dans quelques grandes villes du monde (New York, Londres, Madrid, Beyrouth, et j’en passe…) et à découvrir la vie de cette mégalopole d’un point de vue sociologique, culturel, culinaire et religieux.
C’est Delphine Minoui (plus récemment vue et entendue pour son dernier livre Les Passeurs de livres de Daraya) qui nous raconte ses quelques années vécues à Téhéran à travers des portraits féminins : femme chauffeur de taxi, business woman, voyante, pleureuse, journaliste, esthéticienne, photographe, etc. Difficile de résumer de telles chroniques, je vous livre ce qui m’a le plus marquée :
- Le port du voile est évidemment indispensable, et c’est même souvent le tchador que les femmes revêtent. Précisons aussi, entre autres, que « les chaussettes sont obligatoires, pour éviter tout signe de sensualité ». A 9 ans, (l’âge de la maturité selon l’Islam… punaise, l’âge de ma fille !) il devient obligatoire. En 1935, il était interdit et, paradoxalement, le port du voile a ouvert les portes des écoles et des universités. La moitié des étudiants sont désormais des femmes.
- Téhéran détient le record mondial en matière de rhinoplastie : eh ben oui, c’est souvent le seul bout de la femme qui dépasse du tchador, il faut bien qu’il soit parfait.
- La femme est la moitié d’un homme. Le témoignage masculin, par exemple, vaut celui de deux femmes. L’épouse, désireuse de voyager, doit demander l’autorisation à son mari.
- Broadway et les Champs-Elysées n’ont qu’à bien se tenir : la principale artère de Téhéran fait 18 kms de long et on y trouve… de tout.
- Les Téhéranaises adorent se maquiller à outrance, aller chez l’esthéticienne (au moins une fois par semaine !), porter des vêtements moulants et criards (sous le tchador, évidemment). Le prêt-à-porter occidental (vestes cintrées, robes à paillettes, strings) arrive, comme les kalachnikovs, à dos d’âne, à travers les montagnes enneigées du Kurdistan. Ces tenues interdites sont portées lors de soirées privées.
- Aucun problème pour se faire livrer à domicile, à Téhéran, qu’il s’agisse de sushis ou de pizzas.
- Des milliards de litres de coca ont déjà été ingurgités au pays où on scande lors de la prière du vendredi « Mort à l’Amérique » !
- Les séminaires de réussite à l’Américaine (« Apprenez à vous aimer », etc.) ont pignon sur rue !
- Les Iraniennes adorent faire des blagues. L’une de leurs préférées : Pour son 13è anniversaire, la première chose à faire est de se débarrasser de son monosourcil. D’ailleurs, pourquoi 13 ans ? Merci à Chirine Ebadi, avocate et prix Nobel de la Paix qui a réussi à faire passer l’âge légal de mariage pour les filles de 9 à 13 ans…
- Il existe des femmes flics mais leur mission se cantonne finalement à la « chasse aux Iraniennes » puisqu’elles n’ont pas le droit d’appréhender un voleur, un malfrat… elles ne peuvent pas toucher un homme !
- Entre ragots, thé, grignotages et papotages, « on va à la mosquée comme on se donnerait rendez-vous au café si on était à Paris. »
- La consommation d’alcool est interdite et sévèrement punie mais la vodka coule à flot lors de soirées privées.
- Dans cette ville de 12 millions d’habitants, les femmes sont toujours accueillantes, elles se distinguent par les multitudes de pâtisseries et confiseries « toujours d’un raffinement incroyable » qu’elles sont en mesure d’offrir à leurs hôtes.
- Si les écarts et les libertés prises avec la loi et une religion contraignantes sont quotidiennes, la peine de mort existe encore bel et bien et on ne plaisante pas avec certains points : une femme doit arriver vierge le jour de son mariage.
Finalement Téhéran est LA ville des paradoxes où les femmes sont les championnes de la clandestinité, où elles luttent chaque jour pour vivre un semblant de liberté et de légèreté. « Sexy sous le tchador » pourrait constituer leur mot d’ordre. Elles y réussissent plutôt bien. Ce monde fait d’hypocrisies permanentes m’a fait penser à la France sous l’Occupation, sauf qu’ici, l’ennemi à berner est le mari, la belle-mère, le voisin, le policier. J’ai beaucoup aimé cette lecture enrichissante et parfumée de safran, de rose et de grenade (le fruit ! le fruit !), je regrette seulement que ces chroniques soient déjà vieilles de dix ans… les choses ont-elles évolué depuis ? J’aimerais vraiment le savoir !