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13 novembre 2023 1 13 /11 /novembre /2023 07:19

L'Alphabet du silence - Delphine Minoui - Leslibraires.fr

Ayla, professeure de français, vit à Istanbul avec sa petite fille Deniz et son mari, Göktay. La vie tranquille de la petite famille bascule le jour où Göktay se fait brutalement arrêter dans leur appartement. Pour quelle raison ? Parce qu’il a signé une pétition de paix, visant notamment à protéger les Kurdes ; nous sommes en janvier 2016. Ayla tente tant bien que mal à continuer à vivre, elle rend de courtes visites à son mari désormais en prison, élève comme elle peut sa fille toute seule, assiste à la lente dégradation de son pays. Les attentats se multiplient, associés à un besoin de glorification d’Erdogan, le peuple se divise entre les pro-Erdogan et les rebelles, et les mensonges de part et d’autre s’accentuent. Ayla commence à sortir la tête de l’eau lorsqu’elle rencontre un groupe de dissidents pacifistes qui imaginent des maisons de la culture secrètes, inventent des universités clandestines au fond d’un restaurant, dans une ancienne supérette, créent une chaîne YouTube pour évoquer les droits de l’Homme ou pour raconter l’histoire des Kurdes. L’espoir renaît alors pour Ayla, accru par le procès de Göktay des mois plus tard. Elle aussi va se mettre à combattre

Par le biais du roman, Delphine Minoui dépeint la situation d’un pays, la Turquie, qui glisse lentement mais impitoyablement vers une « République de la peur » ou, pour être plus claire, vers une dictature pure et dure. Dans ce pays où poussent les centres commerciaux les plus laids mais aussi de plus en plus de mosquées, la liberté est en danger mais la résistance s’organise de manière spontanée et joyeuse. Dans ce magnifique roman, le prisonnier Göktay, après avoir mené une grève de la faim, entreprend de dessiner les traces et les plis laissés par son corps dans les draps, ce processus fait partie de cet « alphabet du silence », des regards, un air fredonné, un dessin peuvent résonner autant sinon plus que les mots qui valent parfois une arrestation. Un grand coup de cœur pour ce livre à la fois intense et émouvant, engagé et salvateur, édifiant et empli de poésie. Delphine Minoui a l’art d’interpeller les consciences, de nous amener à suivre ces parcours de vie atypiques, de nous faire voyager dans son pays d’adoption qu’elle connaît bien puisque cette journaliste spécialiste du Moyen-Orient y vit depuis 2015 après avoir vécu pendant dix ans en Iran. J’ai vu l’Istanbul de 2006, comme je me languis d’y retourner !

C’est ma 2è découverte de l’autrice que j’avais déjà beaucoup appréciée dans Les Pintades à Téhéran.

Ayla apprend qu’un assistant-chercheur, persécuté, lui aussi, s’est suicidé : « Si elle n'avait pas Deniz, elle aurait pu être cet homme. Ce solitaire qui abandonne la vie. Elle l'imagine. Ses deux bras vers le ciel. Ses ailes qui se brisent en plein vol. Parce que c'est ça, aussi, ce à quoi les professeurs et leurs familles sont condamnés : l'appel du néant, puisque, aux yeux du pouvoir, ils ont cessé d'exister. Des parias de la société, qu'on arrête, qu'on licencie, qu'on assigne à une retraite anticipée. Qu’on radie de la Sécurité sociale et des allocations chômage. Ceux dont les bureaux sont placés sous scellés. Ceux dont les badges ont été déconnectés. Ceux qu'on fait disparaître des registres des universités et dont on ferme subitement les boîtes mail. »

Quand Göktay tend à sa femme les dessins de ses plis de la nuit, des empreintes de son corps sur les draps : « Ayla étudie un à un les dessins, émue par ce qui ressemble à une nouvelle langue, à la fois fragile et audacieuse. Ses doigts caressent les traits ébauchés, suivent les courbes, accompagnent leurs trajectoires. Elles ont la nervosité d'un muscle et la mélancolie d'une fleur fanée. Il y a dans ces tracés toute la puissance des non-dits, tout un silence, qui bruisse de mots absents. Elle y devine la main d'un homme qui a perdu la force d'écrire, mais qui invente un vocabulaire singulier dont lui seul détient les codes. L'ébauche d'une renaissance. »

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commentaires

P
J'adore le titre que je trouve très beau. Ce que tu en dis me plaît aussi beaucoup et les extraits sont fantastiques. Bref tout bon ! Je surnote et je te remercie.
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V
Je pense effectivement que tu pourrais beaucoup aimer!!
C
J'aime bien cet éditeur, je prends note de ce titre que je ne connaissais pas !
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V
Je suis aussi une adepte de L'Iconoclaste qui ne m'a jamais déçue.
M
Beaucoup aimé également. Mon préféré reste Les passeurs de livres de Daraya.
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V
Il me reste à le lire, tant mieux pour moi !
G
Un beau coup de coeur
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V
eh oui !
D
Je note ce titre en lisant ton avis enthousiaste !
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V
intéressant, touchant et bien fichu, ce qui est déjà pas mal :)
S
J'avais lu et bien aimé les pintades. Je note celui-ci vu ton coup de coeur !
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V
Les Pintades, ça n'a rien à voir mais j'avais déjà aimé le style. Je crois d'ailleurs que L'alphabet du silence est son premier roman.
P
Je ne connais pas du tout, mais je pense que ce livre pourrait me plaire. On dirait qu'on y apprend plein de choses...
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V
oh oui! A moins d'être très calé en histoire turque...
A
Une lecture qui semble idéale si on veut mieux comprendre la Turquie contemporaine.
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V
C'est tout à fait ça et l'intrigue tient à la route et les personnages sont bien dessinés.
M
Celui-ci est présent dans ma médiathèque ce qui n'est pas le cas du précédent alors bien entendu je le note sans savoir quand je pourrais le lire...cela fait longtemps que je n'ai rien lu sur la Turquie
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V
j'ai tellement adoré !!
T
Les éditions l'Iconoclaste ont encore frappé ! Je note 😇
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V
Je suis d'accord avec toi, quelle superbe maison d'édition !
A
Tu me donnes envie de découvrir ce roman, car rien que le titre de son précédent avait été rédhibitoire.
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V
oh tu te trompes, c'est très drôle et elle sait de quoi elle parle !
A
Les pintades à Téhéran.
V
Les passeurs de livres??
A
Je n'ai pas lu sur la Turquie depuis un bon moment, alors je n'hésite pas à noter celui-ci qui a l'air touchant.
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V
captivant, aussi !
K
Merci pour ce billet, le sujet m'intéresse, et ton coup de coeur m'incite à aller y regarder de plus près ! il se trouve, ainsi que d'autres livres de l'autrice, à la médiathèque que je fréquente.
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V
j'ai vraiment été emportée par cette histoire et par l'Histoire de ce pays
I
Coucou, si tu le permets je récupère ton lien pour l'ajouter au récapitulatif de l'
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V
ah oui, oui, bien sûr, je n'y pense jamais, merci à toi !
I
Zut, j'ai validé mon commentaire sans le faire exprès.. donc : si tu le permets je récupère ton lien pour l'ajouter au récapitulatif de l'activité autour des minorités ethniques (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-les-minorites-ethniques-le.html).<br /> <br /> Bonne semaine !
J
J'apprécie de plus en plus les éditions de L'Iconoclaste
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V
mais oui !! On n'est jamais déçus !!
L
Les ecrivains et les intellectuels turcs qui résistent à Erdogan et à l'islamisme sont des héros que j'admire. Jai lu avec beaucoup demption Altan .
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V
Ahmet Altan, c'est ça? Je ne l'ai jamais lu mais tu m'en as donné envie !
L
il faut traduire "demption" par "d'émotion" merci et excusez moi !

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