En 2021, Joann Sfar est cloué au lit dans une chambre d’hôpital puis reclus chez lui, terrassé par le covid. C’est pour lui l’occasion de se souvenir de son enfance et de son adolescence. A Nice, l’enfant qui s’appelait Eliaou de son nom hébraïque craint les synagogues, il trouve qu’on y chante trop fort, il n’aime pas cette interdiction de pouvoir jouer ou de porter des jeans. Adolescent, pour fuir cette contrainte, il fera partie de cette corporation de jeunes gens qui gardent la synagogue. A la manière d’un vigile, Joann Sfar va donc conseiller aux pratiquants de ne pas s’attarder à l’entrée du lieu de culte et guetter les terroristes potentiels. Pourtant, on lui reproche trop souvent d’être distrait ou d’avoir le nez dans son carnet de dessin. Joann n’est pas doué non plus pour le combat, ses entraînements de kung-fu se terminent en général plutôt mal. Mais surtout, Joann grandit dans l’ombre de son père, charismatique, belliqueux, intelligent, héroïque aux yeux de l’adolescent... ses accointances et ses brouilles avec Jacques Médecin sont également évoquées.
Je ne sais pas pourquoi j’ai arrêté de lire Joann Sfar il y a déjà de nombreuses années mais si un titre était désormais à conseiller, c’est bien celui-là. J’ai trouvé ce gros album très intéressant, sensible, touchant et édifiant en ce qui concerne l’antisémitisme (niçois ... entre autres). Culpabilisant parfois de ne pas être assez combattif, complexé face au modèle Joseph Kessel dont le fantôme vient souvent le voir lorsqu’il est alité, Joann Sfar nous démontre surtout qu’il est un homme pacifiste, malmené par cette discrimination (que personnellement je ne comprendrai jamais) à travers les décennies de sa vie. Evidemment non dénué d’humour, l’album met en scène pas mal de skinheads que Joann Sfar a croisés, plus inoffensifs que franchement méchants. La maladresse du narrateur-auteur le rend sympathique, sa sincérité aussi. On pourrait reprocher quelques bavardages superflus mais, dans l’ensemble, j’ai passé un excellent moment de lecture.
« Mon père a été livré sans l’option « adapte ta syntaxe et ton sujet à l’âge de l’auditoire. » Il me parlait comme si j’étais politologue. »
« A Nice, il fait toujours beau. Sauf quand je monte la garde devant la synagogue. »