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2 octobre 2025 4 02 /10 /octobre /2025 18:40

Impératrice des airs - Pete Fromm - Éditions Gallmeister

Fiona alias Flea, vingt ans, vit seul avec son père Rudy dans le Montana. Sa voisine et meilleure amie, Midge, son père Taz et sa belle-mère sont devenus sa seconde famille. Pourtant Flea ressent le besoin de retrouver sa mère qui a disparu peu après sa naissance et le peu d’informations délivrées par son père ne l’incite pas à abandonner son projet. Laissant tomber des études de comptabilité qui l’ennuyaient, elle suit Taz pour retaper des maisons, poser des plinthes, scier des planches, .... en attendant son passeport pour se rendre au Canada. Un incendie dont elle se croit responsable va précipiter le départ de Flea vers la région où vit sa mère.

Cent pages ... plus de cent pages que j’ai trouvées laborieuses. D’emblée, on a une héroïne prête à chercher sa mère mais elle est freinée par une question de transport puis par un passeport qu’elle n’a pas. Et ça dure trop longtemps. Et puis il y a ces dialogues plutôt creux qui ne servent pas à grand-chose et sonnent parfois faux. Et ces clins d’œil trop nombreux pour les lecteurs américains dont on ne pige pas grand-chose. Heureusement, au bout de cette bonne centaine de pages, le récit prend enfin du relief, Flea rencontre sa mère mais aussi une région hippie, le Valhalla, où les gens aiment se baigner nus et manger du tofu. Cette partie-là du roman m’a davantage captivée même si j’émets là aussi encore des bémols sur la relation mère-fille, pas tellement crédible, après vingt ans d’abandon maternel. Je suis évidemment déçue d’être déçue par ce roman d’apprentissage puisque j’apprécie généralement la plume de Pete Fromm... mais aucun titre jusqu’à présent n’est venu égaler en qualité son superbe Indian Creek. Allez, je finirai tout de même par une note positive pour ne pas me fâcher avec l’écrivain américain : la relation père-fille est un vrai délice de lecture, les deux complices peuvent s’appeler pendant des heures, elle peut compter sur lui sans être jugée ni remise en question, cette tendresse réciproque force le respect tant elle est pure, drôle même et émouvante (et je vous rassure, elle ne débouche pas sur un plot twist dégoûtant). Taz, le copain de la famille, a cette même image d’homme fiable et généreux, c’est devenu assez rare en littérature, et ce n’était pas désagréable. Je suis bien contente de n’avoir pas acheté ce roman mou du genou au début, un brin naïf tout le long, un poil déconcertant d’optimisme... (on n’a plus l’habitude).

« Je m’endors dans l’étang, la seule personne sur terre capable d’un tel exploit. La seule que je connaisse, en tout cas, après avoir mené une étude exhaustive basée sur cinq des huit milliards d’êtres humains entassés sur le globe. Mais je ne suis pas près de le renier, mon unique superpouvoir. Et si je n’étais vraiment qu’un tas d’os, ainsi que l’affirme mon père lorsqu’il est lancé, est-ce que je pourrais flotter comme un bouchon ? J’en doute. Et pourtant. A moins que, comme le prétend mon père, je ne sois pas vraiment endormie, mais plongée dans un état méditatif profond. »

De Pete Fromm : Indian Creek, Le lac de nulle part, La vie en chantier,

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29 septembre 2025 1 29 /09 /septembre /2025 16:50

Le Menteur - Pierre Corneille - Hatier - Poche - La Boîte à Livres TOURS

Dorante, un jeune homme accompagné de son valet Cliton, arrive tout juste de Poitiers à Paris. Désirant se faire bien voir, il se vante d’avoir participé à la guerre en Allemagne. C'est faux. S’ensuit un quiproquo qui va constituer le cœur de la pièce : deux jeunes femmes se présentent à lui et lorsqu’un cocher dit que la plus belle des deux se nomme Lucrèce, pour Dorante, ça ne fait pas de doute mais il y a confusion et il va appeler Lucrèce Clarice et inversement tout le long de la pièce. Il va aussi imaginer une collation somptueuse sur "cinq bateaux" qui rendit jaloux le Soleil lui-même. Il cumule les mensonges, les récits fictifs et les vantardises, provoquant ainsi des jalousies et des imbroglios dont il a dû mal à se dépêtrer. Son père, Géronte, veut notamment lui donner pour femme Clarice mais comme Dorante est amoureux (de la fausse) Lucrèce, il va s’inventer un mariage déjà conclu à Poitiers. Tout va se compliquer quand Géronte voudra écrire au père de sa nouvelle femme... (qui n’existe pas).

Si cette pièce en alexandrins n’est pas aussi drôle qu’une pièce de Molière, elle prête à sourire dès les premières scènes. Dorante atteint des sommets quand il commence à mentir à son fidèle valet plus ou moins complice de ses « menteries » jusqu’alors, souvent agacé, parfois effrayé de tant d’audace. Il lui raconte qu’il a tué en duel Alcippe mais cet adversaire entre en scène quelques secondes plus tard, tout à fait bien portant. Dorante, ce « menteur par coutume » s’englue dans ses mensonges qui finissent évidemment par lui retomber dessus. S’il se trouve parfois dans de mauvaises passes, il s’en sort tout de même et la fin est heureuse pour tout le monde (c’est une comédie, ne l’oublions pas). Les genres se mêlent : l’épique quand Dorante se la raconte, le parodique quand Corneille pastiche Le Cid ou encore le précieux lors des scènes de séduction. Le public du XVIIè siècle a adoré, notamment certaines références de l’époque (les travaux à Paris, le nom d’un journal, ...). Le dénouement m’a paru bien vite expédié pour un auteur peut-être un peu trop bienveillant avec son personnage principal. Vous l’aurez compris, je préfère nettement Molière qui se serait inspiré de cette pièce pour écrire ses chefs d’œuvre.

Avec ce titre, je participe au challenge de Moka, Les classiques, c’est fantastique qui met à l’honneur, en ce mois de rentrée, les œuvres au programme des étudiants et des lycéens. Ici, ce sont les bacheliers qui pourront plancher sur cette pièce, je leur souhaite bien du courage.

Dorante : « J'aime à braver ainsi les conteurs de nouvelles ;

Et sitôt que j'en vois quelqu'un s'imaginer

Que ce qu'il veut m'apprendre a de quoi m'étonner,

Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire,

Qui l'étonne lui-même, et le force à se taire.

Si tu pouvais savoir quel plaisir on a lors

De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps... »

 

Dorante : « Oh ! L'utile secret que mentir à propos ! »

 

Cliton : « Vous avez tout le corps bien plein de vérités,

             Il n'en sort jamais une. »

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26 septembre 2025 5 26 /09 /septembre /2025 09:01

Stella (Grand format - Cartonné 2020), de Cyril Bonin | Éditions Glénat

Taylor Davis est un écrivain newyorkais qui s’apprête à terminer son dernier roman narrant l’histoire d’une jeune femme, Stella, qui, dans les années 50, vient de découvrir que son mari la trompait et commence à « douter de la réalité qui l’entoure ». Et pour cause... Une fois Taylor a-t-il tapé le mot « Fin » que Stella apparaît dans le monde réel des années 2020. Une fois passée la première surprise, l’écrivain fait découvrir les nouvelles technologies à son personnage ainsi que la ville moderne. Si Stella reste un être fictif qui n’a pas besoin de se nourrir ou qui n’a pas de nombril, elle se glisse dans le nouveau siècle avec la grâce et l’élégance d’une jeune femme des années 50. Mais elle n’a pas de papiers et risque de se faire arrêter. Une solution s’offre peut-être à elle : un scientifique lui propose de se joindre à ses recherches sur la noosphère, cette enveloppe qui entoure la Terre et qui contiendrait l’ensemble des pensées et des idées du monde. Stella accepte de participer à ce programme financé par le gouvernement.

J’ai toujours aimé le travail de Cyril Bonin, le soin qu’il apporte à ses dessins, la dimension onirique qu’il parvient à transmettre dans chacun de ses cases. J’ai retrouvé ce plaisir des yeux ici. Mais alors l’intrigue... !? Le personnage qui sort du roman n’est pas vraiment une nouveauté -et pourtant j’adore qu’on mêle fiction et réalité- mais tout est cousu de fil blanc ici, rien n’est vraiment crédible à mes yeux. Stella évolue dans notre monde moderne sans que ça ne pose problème quand surgit un gros bonhomme (le scientifique) qu’on devine immédiatement être le méchant de l’histoire (sans que Taylor se méfie de quoi que ce soit). Là-dessus se greffe une histoire d’amour sortie de nulle part. Cette idée de noosphère se rapproche de celle de l’IA actuelle (la BD a été publiée en 2020) avec des réflexions prémonitoires sur la disparition des artistes. J’ai trouvé ça bourré de clichés et j’ai eu l’impression de lire une histoire dédiée à de jeunes ados... ou, pire, écrite par un enfant. Je suis dure parce que ça reste divertissant mais vraiment, ça ne vole pas très haut.

Avant que Stella ne sorte de son roman, son créateur dialogue avec elle : « Je m’appelle Taylor Davis, je suis écrivain et il faut que tu saches que tu vis dans un roman... »

Dans la nouvelle résidence où vit Stella : « Vous savez, Stella, les idées que Taylor développe dans ses romans ne lui appartiennent pas en propre, elles sont issues de la noosphère. Ce ne sont que quelques bribes auxquelles il a pu accéder. » 

du même auteur : Chambre obscure, Les dames de Kimoto, Comme par hasard.

Stella de Cyril Bonin

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22 septembre 2025 1 22 /09 /septembre /2025 16:11

Iris tient un hôtel à Bad Heim, une ville allemande. Nous sommes en octobre, les températures restent élevées (jusqu’à plus de 40 degrés) et l’incendie continue de faire des ravages par-delà la rivière Bruch. L’air devient irrespirable, les masques sont de rigueur et les cendres volètent un peu partout. L’hôtel est vide depuis belle lurette dans une région désertée quand surviennent une jeune femme et sa fille de quatre ans. La mère, au comportement distant et étrange, demande une chambre. Iris va s’habituer à cette présence, s’occuper d’Ilya, l’enfant, un peu plus qu’il ne faudrait, sympathiser avec Dori. Mais le coup de fil d’un homme lui met la puce à l’oreille : il cherche sa femme et sa fille disparues il y a quelques jours. Iris, intuitivement, protège Dori qu’elle comprend maltraitée par ce mari autoritaire et pervers, et se tait. L’homme va rappeler, les femmes se rapprocher.

Pour un premier roman, cette autrice allemande a su faire monter la tension ! En peu de mots, dans un style efficace fait de phrases simples et concises, le décor est planté : que ce soit la nature en train de brûler, de ravager un morceau de planète faute d’une pluie qui se fait cruellement attendre, ou la sphère familiale avec cette mère en souffrance fuyant un mari violent, on attend. « Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » au sens propre comme au sens figuré... Et pourtant, ces femmes vont s’épauler, accompagnées d’autres femmes, pour former, au plus fort de la tourmente, un groupe, un cocon, un îlot certes illusoire mais où l’espoir et la solidarité resteront possibles. J’ai vraiment beaucoup apprécié ce roman marquant, réaliste tout en étant apocalyptique, qui apporte de belles réflexions sur la place de la mère, le militantisme, et ce satané dérèglement climatique. A la fois très juste et nuancé dans ses propos, le texte est en prise directe avec notre époque. Une belle réussite !

« Ainsi se passaient nos étés entre jaune et orange. Des masques, du vent, des cendres. Des yeux qui pleurent, des maux de gorge. Les parcs, piscine, aires de jeux, tous fermés. Des jours d'été entiers passés à la maison, derrière des fenêtres fermées. Des feuilles qui se consumaient lentement dans l'air et se posaient sur le gravier brûlant. Tout cela devant la lueur rougeoyante de la forêt de l'autre côté du Bruch. »

« Mais j'ai fini par devenir cette femme qui s'excuse pour tout, qui ment, qui baisse constamment la tête, qui dit oui à tout, qui s'excuse et s'excuse encore, à tout bout de champ, et qui a peur de ce qu'il va dire à propos de tout ce qu'elle a fait. Ça fait un moment que je me dis que je me comporte comme si j'avais l'âge d'Ilya, comme si nous avions le même père, sauf qu'il est tendre avec elle et dur avec moi. »

Un couple dysfonctionnel : « Nous faisons tous les deux ressortir le pire l’un de l’autre. »

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18 septembre 2025 4 18 /09 /septembre /2025 19:53

Palmer dans le rouge : Une enquête en bord de Médoc - René Pétillon, Manu  Larcenet - Dargaud - Grand format - La librairie de la bande dessinée et de  l'image Angouleme

René Pétillon est un auteur illustrateur décédé en 2018, célèbre -entre autres- pour ses dessins publiés dans Le Canard enchaîné. Mort en 2018, il a laissé un scénario pratiquement terminé d’une nouvelle aventure de son héros, Jack Palmer. Manu Larcenet a repris le flambeau et dessiné l’aventure du détective à sa manière.

Au domaine viticole de Grolo-Laglotte, rien ne va plus : la fille de la famille a mystérieusement disparu laissant les parents dans le désarroi. En effet, elle devait épouser John Moroso, un roi du vin californien et ce mariage devait être « comme un assemblage » sauvant le domaine situé « en bord de médoc » de la faillite. Mais la fille s’en est allée, laissant à John une lettre signifiant qu’elle ne voulait plus de ce mariage. Les propriétaires engagent le détective Jack Palmer qui tombe rapidement sur un trafic de faux vins ; les deux affaires seraient-elles liées ?

C’est une farce avec tous ses ingrédients : le comique de répétition (des accidents qui ont toujours lieu dans les vignes du concurrent, un téléphone qui a le chic de sonner au mauvais moment, un détective qui ne sait pas renoncer à un bon verre de rouge), les personnages caricaturaux, les revirements de situation peu crédibles, le franglish de John (et sa mèche blonde), les méchants pas très futés, le rire gras des types qui ont bien picolé, et j’en passe. Si l’intrigue n’est pas finaude, frisant parfois le grand n’importe quoi, j’ai aimé les personnages savoureux ; aussi bien les personnages principaux que les secondaires (une œnologue très drôle avec son jargon très imagé, Caracou, l’employé de chai pour qui la pause est sacrée, Ange, l’ami corse qui ne jure que par son Rossignolo). Et puis il y a le dessin de mon chouchou Larcenet, son trait épais, rond et précis, ses gros nez, ce burlesque qui sait si bien virevolter en compagnie du poétique. Il m’avait manqué. A la fois généreux et émouvant, il rend un bel hommage au grand René Pétillon. On termine la BD en trinquant avec le sourire.

  • Et si nous discutions ?
  • Ça va à l’encontre de mes principes, mais je suis ouvert à l’expérience.

Palmer boit et respire les vapeurs de vin toute la journée : « Mais peut-être que si Hercule Poirot avait mariné dans une cuve de Château-Lasoupière, les assassins de l’Orient-Express courraient encore. »

L’œnologue : « Commençons par ce Piqueté-de-Chaboul 2002 : Robe trouble, odeur de basse-cour, fond de garde-robe, de confessionnal, de cierge éteint... pour un Piqueté, c’est normal. »

 

Du même dessinateur : Thérapie de groupe, Le retour à la terre (une merveille !), Le sens de la vis, Le Combat ordinaire, La Route, ...

 

Palmer dans le rouge - Une enquête en bord de Médoc - Sceneario

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14 septembre 2025 7 14 /09 /septembre /2025 10:28

Je pleure encore la beaute du monde

J’avais découvert l’autrice avec son premier roman Migrations qui a été un coup de cœur.

La biologiste Inti Flynn est en Ecosse pour un programme de réinsertion des loups. La forêt va mal, le gibier trop nombreux empêche la croissance des arbres et des végétaux et l’introduction des loups devrait permettre d’équilibrer l’ensemble. Evidemment, l’accueil fait aux scientifiques et aux loups est hostile, les agriculteurs craignent pour leurs bêtes et pour eux-mêmes. Inti, dotée d’un don particulier - la synesthésie visuo-tactile qui lui permet de ressentir dans son corps tout ce qu’elle voit vivre ou subir par autrui - vit avec sa sœur jumelle muette, Aggie. Très vite attirée par Duncan, le policier en poste dans la région, elle est confrontée à l’antipathie des habitants de la région et surtout celle d’un certain Stuart qui, Inti le découvrira rapidement, bat sa femme.  Les loups restent pour la scientifique sa passion, voire son obsession, et elle est prête à tout pour les protéger.

J’ai trouvé une écrivaine que j’affectionne, c’est certain, pour son style à la fois doux et musclé, pour la femme qu’elle place au cœur de son livre, une femme forte et vulnérable, déterminée et un peu perdue (Inti ressemble beaucoup à Franny de Migrations) et pour ces réflexions écologiques qui traversent tout le roman. En effet, l’autrice pose des questions sans y répondre, soulève le débat du rapport à la nature, de la cohabitation entre humains et animaux sauvages, de l’impact destructeur de l’homme sur les écosystèmes. Elle évoque aussi d’autres thèmes comme la résilience, la sororité ou les violences conjugales. Par-dessus tout, j’adore cette façon de nous emporter complètement ailleurs, durablement, tout au long de ces belles pages. On peut qualifier le roman de « polar écoféministe », fi des étiquettes, je garderai longtemps avec moi ce souffle puissant, cette énergie époustouflante et cette envie d’y revenir. Je fais de cette lecture un coup de cœur même si j’ai trouvé la fin excessive, le plaisir de lecture est resté !

Renseignements pris, ce que raconte l’autrice a bien été réalisé dans le parc national de Yellowstone, des loups ont été réintroduits (il y en a 108 en 2022) et la végétation a repris de plus belle. Et il y avait bien des loups dans les Highlands écossais jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

« La synesthésie visuo-tactile. Mon cerveau recrée les expériences sensorielles des créatures vivantes, de tous les êtres humains et parfois même des animaux. Quand je vois, je ressens, et pendant quelques instants je suis les autres, eux et moi-même ne faisons qu'un et leur douleur ou leur plaisir est le mien. Ça ressemble à de la magie, c'est d'ailleurs ce que j'ai cru pendant longtemps alors qu'en réalité ce n'est pas si éloigné du fonctionnement des autres cerveau : quand on voit quelqu'un souffrir, notre réaction physiologique est une grimace, un tressaillement, un rictus. Nos circuits sont programmés pour l'empathie. Fut une époque où j'étais ravie d'éprouver les sensations des autres. Aujourd'hui, ce flux constant d'informations sensorielles m'épuise. Aujourd'hui, je donnerais n'importe quoi pour qu'on me déconnecte. »

« J'étudie les cartes cognitives dessinées par les loups sur leur territoire. Ils se transmettent ces cartes géographiques et temporelles de génération en génération et connaissent si intimement leur domaine que chacun de leurs déplacements est programmé. Les loups ne se baladent pas au hasard. Ils bougent dans un but précis et ils apprennent à leurs petits à reproduire le même schéma. Ils se partagent les images mentales. »

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10 septembre 2025 3 10 /09 /septembre /2025 11:06

Pleurer au supermarché

L’autrice raconte la mort de sa mère survenue quand elle avait vingt-six ans mais surtout, à travers ce portrait maternel, son amour de la cuisine coréenne. En effet, Michelle est la fille d’un Américain de l’Oregon et d’une Coréenne et, si elle a grandi aux Etats-Unis, elle passait régulièrement l’été à Séoul et sa mère l’a « éduquée » à sa manière qui incluait la passion et la richesse de la gastronomie coréenne et chinoise. Au moment de l’adolescence, rien ne va plus entre mère et fille mais le cancer annoncé à la suite de simples maux de ventre de la mère va les rapprocher. Michelle va mettre sa carrière de musicienne entre parenthèses et va oublier les reproches formulés par la mère pendant toutes ces années et cette tyrannie des apparences qui l’a faite souffrir adolescente. Elle va l’accompagner au mieux dans sa maladie et dans ses dernières heures de vie.

Si le titre (que je trouve affreux) renvoie aux réminiscences que provoque une virée dans un supermarché asiatique, le roman n’est pas tellement larmoyant même si je déteste encore et toujours lire des récits de maladie, de souffrances et de fin de vie. Je sais pourquoi j’évite ce genre de livres qui ne m’apportent personnellement rien à part (au mieux) une morosité tenace, (au pire) une angoisse profonde. Heureusement qu’il y a la gastronomie coréenne qui occupe bien les trois quarts du roman ! Qu’il serait intéressant de le lire et de déguster en même temps tous les nombreux plats évoqués ! Je n’en connais pas la moitié mais l’hommage est bien rendu à cette cuisine méconnue chez nous et il est vrai que ce lien culinaire entre mère et fille est bien traité, c’est comme si la mère n’avait jamais su exprimer son amour autrement que par des mets bien cuisinés. Elle a toujours choisi la sincérité en critiquant sa fille pour son teint, sa posture, ses choix vestimentaires, sa corpulence... une franchise qui peut être mal perçue mais qui était une preuve particulière de son amour. Il lui est même arrivé de porter les santiags neuves de Michelle pour assouplir le cuir. En bref, un amour maladroit pour une mère monomaniaque qui n'avait finalement que sa fille à aimer dans sa vie. Mon ressenti est à l’image de ce billet, plutôt confus, entre enthousiasme pour cette relation ambiguë entre les deux femmes mais aussi pour les kimchi, tteokguk, gyeran jjim, jatjuk (une sorte de porridge de pignons de pin que j’aimerais essayer si ça n’était pas si complexe à réaliser) ... et révulsion pour les pages traitant de la maladie. Inutile de préciser que si vous envisagez un voyage en Corée du Sud, cette autobiographie constituera un délicieux amuse-bouche.

les billets de Luocine et  d'Antigone, davantage convaincues.

« Ma mère avait sa propre manière de préparer nos retrouvailles : en faisant mariner un plat de côtes pendant deux jours. Elle remplissait le frigo de mes banchan préférés, achetait mon kimchi de radis plusieurs semaines en amont, et le sortait du frigo un jour avant pour qu'il soit parfaitement affiné et salé à mon arrivée. Les côtes de porc, marinées dans l'huile de sésame, le sirop de sucre, le soda, puis caramélisées à la poêle, imprégnaient la cuisine d'un alléchant parfum fumé. Ma mère rinçait des feuilles fraîches de laitue rouge et les posait sur la table basse en verre devant moi, puis apportait les banchan. Des œufs durs marinés dans la sauce soja et coupés en deux, des haricots mungo croquants assaisonnés d'oignons verts et d'huile de sésame, un doenjang jjigae avec un supplément de bouillon, et du chonggak kimchi fermenté à la perfection. »

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7 septembre 2025 7 07 /09 /septembre /2025 10:33

Fausses pistes de Bruno Duhamel

Frank Paterson vient d’avoir quarante ans. Il joue, depuis quinze ans, le rôle du Marshal Johnson dans un spectacle mettant en scène des scènes de western. Il prend son rôle tellement à cœur qu’il ne sait plus démêler le vrai du faux et c’est pour cette raison que son patron le licencie. Il se décide à participer à un voyage organisé dans le Grand Canyon où il va côtoyer tous les clichés des touristes ignares ou pédants accompagnés d’une guide mexicaine bien plus futée qu’il n’y paraît. Mais les touristes ne vont pas tarder à comprendre qui est le véritable homme qui se cache derrière ce « marshal » même si ce n’est pas lui qui est le plus à redouter dans le groupe.

D’un western classique avec tous les clichés qui le construisent, on parvient à une sorte de western moderne où l’homme blanc est devenu fou, abruti par la drogue et amoureux des armes à feu. J’ai aimé les « fausses pistes » qui jalonnent la BD mais je les ai trouvées difficilement crédibles avec des revirements de situation plutôt grotesques. Il en résulte une impression de confusion avec le sentiment que l’auteur a voulu caser plein de thématiques (hommage au western, satire des voyages organisés, dénonciation de la violence actuelle) sans en approfondir réellement aucune mais en cumulant les clichés (le touriste trop gros, l’aigle ami de l’Indien, l’ancien soldat au cerveau détraqué). Je n’ai pas vraiment adhéré à l’histoire même si elle est originale mais j’ai aimé les dessins ; qu’on soit au far West, dans le Grand Canyon ou dans la Vallée de la mort, Duhamel excelle dans la représentation des grands espaces, ce n’est pas nouveau. J’ai préféré Jamais, Le Retour de Bruno ou Le voyage d’Abel.

Fausses pistes de Bruno Duhamel

 

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3 septembre 2025 3 03 /09 /septembre /2025 15:07

Devenir Zéro de Anthony McCarten - Editions J'ai Lu

A l’initiative de l’agence Fusion, un jeu, un bêtatest a été lancé : les dix candidats en lice ont pour mission de disparaître. Si au bout de trente jours, ils n’ont pas été repérés, ils empocheront trois millions de dollars. L’objectif de Fusion est de prouver à la CIA qu’il lui est possible de retrouver n’importe quel criminel au monde et de devenir le leader sur le marché. Le jeu démarre, les candidats se font tous avoir les uns après les autres grâce à des dispositifs très élaborés (basés notamment sur la compilation de leurs goûts personnels, sur l’utilisation de drones et de caméras postées un peu partout) et parmi eux des professionnels de la surveillance se font attraper avant la fin du mois. Seule Kaitlyn Day, nommée Zéro 10, une bibliothécaire, parvient à déjouer les talents multiples de Fusion. Qui est-elle réellement ? Qui sont réellement Cy Baxter et Erika Coogan à la tête de Fusion ?

Roman d’aventure moderne qui constitue un formidable page-turner, cet ouvrage peut faire penser à une bonne série américaine (et tiens, comme c’est fou, l’auteur est justement scénariste à Hollywood), tant il est rythmé, haletant et étonnant à chaque chapitre. J’ai beaucoup aimé le début du livre, ses réflexions sur l’absence de réelle liberté dans notre monde 2.0, le besoin de se montrer, les réseaux sociaux, mais aussi les difficultés des différents candidats à rester terrés sans se faire repérer. Je me suis demandé pourquoi on n’avait pas davantage accès aux pensées de cette Kaitlyn, et tout s’explique dans son identité réelle et ses motivations véritables, dévoilées assez rapidement. A une bonne moitié du livre, tout s’emballe et va un peu trop loin selon moi : il est question de voler les données complètes de la CIA, chacun des personnages se révèle être un autre et finalement, tout cela perd un peu en crédibilité. Il n’en demeure pas moins que j’ai passé un très bon moment de lecture, j’avais l’impression d’enchaîner des épisodes de la série 24 Heures chrono. L’esprit d’Hunger games n’est pas loin non plus avec le tempérament de guerrière de Kaitlyn. Roman lu sur la plage, les deux s’assortissaient bien 😊

D’autres blogueuses ont lu le roman addictif avant moi : Dasola, Philisine, Alex...

« Le froid. Le froid et l'obscurité. Elle rêve. Puis le tintamarre soudain de la douleur. Un cri qui la secoue, l'arrache à la torpeur et la projette en pleine conscience. C'est quoi ce bordel ? Où suis-je, mon Dieu ? Qu'est-ce qui se passe ? Elle s'oblige à respirer profondément jusqu'à ce que la douleur et la première vague de panique reflue. Je suis Kaitlyn Day, je me cache dans les bois. Je suis Kaitlyn Day, je me cache dans les bois. »

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31 août 2025 7 31 /08 /août /2025 14:39

Le maître des insectes - Stuart Prebble - Gallimard - Poche - Le Hall du  Livre Nancy

Jonathan est né six ans après Roger, mais il a vite été plus débrouillard et plus intelligent que son frère étiqueté « simplet » par la société londonienne des années 50-60. Les parents des garçons ont toujours fait en sorte que Jonathan soit là pour ce grand frère attachant mais lent d’esprit. Et même si Jonathan rencontre l’amour de sa vie en la personne de la sublime et originale Harriet, il n’a jamais oublié Roger resté un enfant dans sa tête même une fois adulte. Sa vie d’étudiant se voit totalement chamboulée le jour où ses parents meurent dans l’incendie de leur maison. Contraint d’abandonner ses études, Jonathan va vivre avec son frère, subvenir à ses besoins, l’accompagner dans sa nouvelle passion, les insectes. En effet, Roger s’est pris d’affection pour ces petites bêtes et a créé un insectarium qu’il a agrandi et tellement amélioré au fil des années que son œuvre est devenue impressionnante. Une nouvelle tragédie va encore changer les habitudes des garçons devenus adultes.

Le récit commence tout doux pour bien planter le décor, une famille presque ordinaire avec ce grand et beau garçon dont, à première vue, rien ne laisse deviner son handicap mental. L’auteur s’appesantit sur la relation assez exceptionnelle qui va lier Jonathan et Harriet, Roger restant comme en arrière-plan, toujours là, une contrainte sans l’être vraiment dans la vie de son petit frère. Et puis survient ce retournement de situation assez délirant mais qui amène avec lui un dénouement réellement touchant et bouleversant qui met en lumière les liens puissants entre les deux frères. J’ai dévoré ce roman partout où j’ai pu, goulûment, je me suis attachée aux personnages et à ce contexte de l’Angleterre des années 60, j’ai apprécié le traitement empli de bienveillance et de douceur du portrait de Roger ainsi que l’habile construction du livre. Une profonde humanité se dégage de ces deux existences explorées (presque) dans leur entièreté. Et je m’en vais cataloguer cette lecture parmi mes coups de cœur.

« Parfois, le matin, il m'arrivait de m'asseoir à côté de Roger et de l'observer avant de le réveiller. Dans ces moments-là, il semblait plus vulnérable - et sans doute plus pathétique - que jamais. Imaginez un homme de près de vingt-cinq ans dont le menton se serait recouvert de poils noirs et de drus pendant la nuit, mais qui vivrait dans le monde d'un gamin de huit ans. Quelqu'un qui ignorerait son état s'attendrait à voir un adulte émerger de ce sommeil, un homme qui aurait peut-être l’haleine empesée après avoir abusé de l'alcool ou qui se rappellerait ses prouesses sexuelles de la veille. Au lieu de cela, Roger ressemblait à un petit enfant quand il se réveillait. Il clignait des yeux pour reprendre pied dans un monde qu'on devait lui expliquer en permanence et qui recelait une multitude de mystères. Souvent, lorsque j'allais dans sa chambre le matin, j'avais l'impression de voir quelqu'un plonger dans un profond coma : son visage était écrasé contre l'oreiller, des petites traces de salive s’agglutinaient sur sa joue et tachaient les draps. Aucun des tourments propres à l'âge adulte ne paraissait troubler son repos. J'enviais la capacité de Roger à dormir du sommeil des innocents, son aptitude à habiter paisiblement un autre monde avant de se réveiller dans le nôtre. »

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