Le narrateur-auteur, Mathieu Palain, journaliste, décide de rencontrer celui qui a son âge et qui a grandi, comme lui, en banlieue : Toumany Coulibaly. L’homme est à la fois champion et voyou. Repéré pour ses talents de course à pied, il deviendra vite un champion du 400m… tout en continuant son vice préféré : le vol. Dès l’âge de 6 ans, il se met à chaparder tout ce qui se trouve autour de lui, de la console de jeux du copain à la boutique SFR du coin. Plus tard, alors qu’il vient de rafler la victoire au championnat de France, il braque des pharmacies, en Ile-de-France, les unes après les autres. Et c’est en prison, au parloir, que le journaliste Mathieu Palain le rencontre tous les mercredis et qu’il écoute son interlocuteur avec attention, retranscrivant ensuite ses paroles. La dernière partie du roman est plus personnelle, le journaliste se demande pourquoi il a choisi ce « sujet » et lorsque deux psys finissent par lui dire « Protégez-vous », il s’interroge davantage sur son attrait de la thématique carcérale.
Qu’est-ce qui charme tant dans ce roman ? Ce n’est pas l’écriture qui n’a rien d’extraordinaire, ce n’est peut-être pas non plus le personnage principal qui hésite entre le rôle de héros et de looser… c’est peut-être la sincérité et l’authenticité de l’auteur, la relation forte entre les deux hommes dont on partage un petit bout. Et puis, on aimerait tellement qu’un petit délinquant banlieusard s’en sorte et arrête ses conneries. Le roman prend une autre dimension dans la dernière partie, plus psychologique, plus fouillée. C’est à ce moment-là que l’auteur fait des parallèles vraiment intéressants entre sa propre vie et celle du prisonnier. Des réflexions sur la vie carcérale jalonnent également le livre accompagnant celles sur la réinsertion, apparemment impossible lorsque le prisonnier a été enfermé plusieurs décennies. Le sujet est passionnant, le journaliste se rend attachant par ses tâtonnements et ses questionnements et c’est aussi ce qui prouve, selon moi, qu’il le maîtrise à fond. Un portrait tout en nuances, sans manichéisme d’un « vainqueur le jour, voleur la nuit. »
Où vol et course à pied se rejoignent – et c’est un conseil que Toumany donne à son petit frère ! : « Le secret dans le vol, c’est le cardio. Il te faut un gros cœur pour courir vite et tenir longtemps. Fais confiance à tes jambes et tu te feras jamais prendre. »
Toumany participe au programme Sycomore qui a pour visée de confronter détenus et victimes : « L’idée, c’est que des personnes de chair et d’os viennent raconter à des auteurs ce que ça fait de se trouver de l’autre côté du canon. Le traumatisme débarque dans votre vie. Les relations sociales qui s’effritent. Le sommeil qui disparaît. A la fin des six semaines, on espère que ces échanges auront provoqué une prise de conscience chez les détenus, des regrets sincères, quelque chose d’un peu zacchéen : « Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. »
« Plus on en parlait, et plus je sentais Toumany parvenu au seuil de toxicité de la prison. Il lui était encore possible d’envisager l’avenir mais il ne fallait plus traîner, sous peine de devenir un insortable, un de ces mecs pour qui la taule est comme un tatouage sous leur peau. »