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3 mars 2024 7 03 /03 /mars /2024 15:21

A la ligne, Feuillets d'usine de Joseph Ponthus (La Table Ronde) A la ligne

Feuillets d’usine

Le narrateur, éducateur spécialisé, a suivi son épouse dans l’ouest de la France où il ne trouve pas de boulot. Il se rabat sur les agences intérim et accepte tous les postes qu’on lui propose en usine : il va trier les crevettes, ranger et déballer toutes sortes de poissons (grenadiers, lieux, sabres, églefins, ...), de poissons panés aussi, égoutter du tofu, faire de la béchamel en quantité XXL, nettoyer un abattoir (il aura du sang jusque dans la bouche), déplacer les carcasses de porc et de vaches... S’il tient ce rythme infernal et abêtissant, c’est qu’il a en tête des poèmes, des chansons, des citations d’auteurs célèbres. Face à un collègue ivrogne et paresseux, aux chefs méprisants, il apprend à se taire et à se faire discret. Il ressent même une forme de contentement une fois la journée (ou la nuit) finie, se sent apaisé et compare le travail à l’usine à des séances de psy.

Le récit se distingue d’emblée par sa forme hybride : entre prose en poésie, sans aucune ponctuation, le style crée une fluidité très agréable. On est plongés dans le quotidien d’un ouvrier, de celui qui fait le sale boulot comme il y en a tant. Si on le savait abrutissant et bêtifiant à souhait, ce genre de travail répétitif et physiquement difficile assomme l’humain, le change un peu plus chaque jour, surtout s’il n’est pas intérieurement armé par une certaine culture. C’est un livre que j’ai adoré tant par cette forme originale que par cette perception accrue d’un quotidien sordide et des personnes croisées à l’usine. Pour avoir fait pas mal de jobs d’été pas très sympas, je me suis retrouvée dans pas mal de ces mots. Le temps qui se rallonge indéfiniment, les heures qu’on vomit tant elles sont longues, les collègues et les chefs, les pauses dont on savoure les secondes tout en sachant qu’elles sont trop courtes, le boulot aberrant... De l’auteur, on ne pourra plus rien lire puisqu’il est décédé en 2021, le récit en est d’autant plus touchant. Cette magnifique et « folle complainte de l’ouvrier d’aujourd’hui » (dixit François Busnel) est à lire sans aucune hésitation, d’un seul souffle.

-    Coup de cœur    -

Les balades avec le chien sont parfois un calvaire tant il est fatigué de sa journée (ou de sa nuit) de travail :

« L’usine bouleverse mon corps

Mes certitudes

Ce que je croyais savoir du travail et du repos

De la fatigue 

De la joie 

De l'humanité 

Comment peut-on être aussi joyeux de fatigue et de métier inhumain

Je l'ignore encore

Je croyais n'y aller

Que pour pouvoir te payer des croquettes

Le véto à l’occase

Pas pour cette fatigue ni cette joie »

 

« C’est ignorer jusqu'à l'usine qu'on pouvait

Réellement 

Pleurer

De fatigue

Ça m'est arrivé quelques fois

Hélas non quelquefois

Rentrer du turbin

Se poser cinq minutes dans le canapé

Et

Comme

Un bon gros gros gros point noir que tu n’avais pas vu et qui explose à peine tu le touches

Je repense à ma journée

Sens mes muscles se détendre

Et

Explose en larmes contenues

Tâchant d’être fier et digne

Et ça passera

Comme tout passe

La fatigue la douleur et les pleurs

Aujourd’hui je n’ai pas pleuré »

 

 

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29 février 2024 4 29 /02 /février /2024 15:48

Dali tome 1

Quand j’étais ado, j’étais fan de Dalí et aller à Figueras à 18 ans avec les copines a été une jubilation.

Salavador Dalí est un jeune écolier très rêveur qui est capable de fixer le mur pendant des heures en cours. Portant les cheveux longs et des habits vieillots, il s’exclut lui-même des camarades de son âge. A la mort de sa mère, son père accepte qu’il quitte sa Catalogne natale et aille faire les Beaux-Arts à Madrid. Là-bas, il se démarque encore une fois par ses excentricités, son immense talent et sa passion pour Vélasquez. Grâce à ses deux nouveaux amis, et non des moindres, Federico Garcia Lorca et Luis Buñuel, il s’ouvre au monde, change de look et rêve de conquérir Paris. L’album se clôt sur la rencontre avec Gala, la femme d’Eluard.

Si je me réjouissais de découvrir ce début de biographie, j’en sors frustrée, non pas de n’avoir rien appris mais de ne pas avoir été passionnée par ce que j’ai lu. Certes, la part de rêve propre au courant surréaliste est bien présente et la plongée dans les années 20 est réussie mais un je-ne-sais-quoi m’a empêchée de m’attacher à ce Dalí jeune, un peu niais, agaçant et complètement à l’ouest (bon, il devait l’être, on est bien d’accord). Il y a cependant des passages drôles et cocasses comme la passion de Dalí pour les aisselles féminines épilées ou cette réincarnation en Méphisto, un chat machiavélique qui lui ressemble tant. J’ai aimé aussi la référence à Jérôme Bosch dont les points communs avec la peinture de Dalí ne sont plus à prouver. J’attends donc la suite de cette BD que je lirai évidemment, en espérant un peu plus d’audace et d’extravagance dans le dessin et dans le propos. (Je veux bien vos retours sur le film de Quentin Dupieux si vous l'avez vu.)

« La Catalogne a fait de moi son héros. Je suis le roi incontesté de Madrid. Maintenant autour de Paris... de succomber à Salvador Dali ».

Dali tome 1

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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 09:51

La Femme qui fuit, Anais Barbeau-Lavalette | Livre de Poche

Le challenge Les classiques c’est fantastique du mois de février s’attaque à la « pile francophone », l’occasion pour moi de découvrir une autrice (et cinéaste) québécoise, nommée « Artiste pour la paix » en 2012. Ce roman, La femme qui fuit, a remporté de nombreuses récompenses en 2015 (mais je ne suis pas sûre que ce soit un « classique » oups)

La narratrice évoque sa grand-mère maternelle, Suzanne Meloche, née en 1926, au parcours particulier puisqu’elle a abandonné ses deux enfants, François et Manon dite « Mousse », respectivement âgés de un et 3 ans. Elle s’est séparée de leur père, Marcel, pour vivre sa liberté qu’elle a voulu totale. Elle a multiplié les conquêtes et les voyages : née au Canada, elle a très vite rejoint Montréal, puis l’Angleterre, puis New-York. Elle a participé au mouvement automatiste avant de se détacher de ce groupe d’artistes pour prendre part à la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, son statut de « nigger lover » lui vaudra un court séjour en prison.

Lorsqu’on démarre la lecture de ce livre, on sent immédiatement une aversion pour cette mère qui, non seulement a abandonné ses enfants mais a refusé de les revoir une fois adultes. Pourtant, lorsqu’on avance dans cette lecture écrite à la 2e personne du singulier, on se rend compte que ce n’est pas tout blanc ou tout noir et que cette femme extra-ordinaire a eu une vie riche et complexe. D’autant plus qu’il est à signaler que, si elle a abandonné ses enfants, le père, Marcel Barbeau, les a abandonnés aussi (évidemment, pour un homme, c’est plus courant). La personnalité de cette femme a toujours été à part, marginale dans un groupe de marginaux, elle s’est attelée à ne s’attacher ni à un homme ni à des principes ni à une terre. Elle a continué, malgré tout, à aimer ses enfants et ce déchirement la rend évidemment plus humaine, presque attachante. L’écriture est absolument sublime, l’autrice magnifie de petits instants de vie, exalte cette relation fille/grand-mère de manière unique et cisèle son texte à la manière d’un orfèvre. Le résultat est assez déroutant, original, les chapitres sont très courts, la poésie s’infiltre partout dans le récit, les références à l’art sont omniprésentes et le tout contribue à garder le lecteur en alerte, happé par cette existence hors du commun axée sur une liberté ... tabou.

COUP DE CŒUR pour cette lecture hypnotique et enivrante !

Dans l’autobus, au moment d’abandonner sa fille, Suzanne observe deux vieillards : « Ils ont traversé la vie sans faire de bruit, en se tenant par la main. Ils ont souri quand il fallait. Ils ont peu pleuré et jamais crié. Ils s'assoient côte à côte comme d'habitude. Leur odeur se confond et ils pensent en choeur à des choses qui ne dérangent personne. Tu ne veux pas mourir comme eux. Ordinaire. Tu prends enfin la main de Mousse dans la tienne et y déposes la promesse brûlante de ton envol. En espérant qu'un jour, elle s'y abreuvera. Mais Mousse a trois ans et c'est dans tes jupes et tes chansons qu'elle existe. C'est dans les fleuves rassurants de ton cou et l'antre de tes bras refermés sur elle qu'elle trouve son souffle. Ce matin-là, sur une route de terre sans fin, tu lui passes la corde au coeur, tu lacères ce qui la relie au monde. »

 

Commandez La femme qui fuit | Service Scolaire SESCO

 

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22 février 2024 4 22 /02 /février /2024 11:34

Sauveur & fils Saison 7 | L'école des loisirs, Maison d'Édition Jeunesse

Nous sommes en 2021, le psychologue comme les patients et comme tout le monde portent un masque, on veille à ne pas trop s’approcher des autres, bref, la Covid est passée par là. Au cabinet, les pathologies se développent liées à cette pandémie : peur de sortir, peur de mourir, besoin de se cacher derrière un morceau de tissu, tensions entre les antivax et les triples-quadruple-vaccinés. Côté vie personnelle, Sauveur a parfois du mal à être présent, il pense à ses patients, n’épaule pas toujours Louise qui fait ce qu’elle peut avec leur petite Léopoldine aux cheveux frisés et au caractère bien trempé. Lazare et Paul sont de vrais ados qui se font souvent la gueule. Alice, jeune adulte, fait n’importe quoi en attendant le retour de Gabin qu’elle aime toujours. Grégoire est la petite merveille de la famille, constamment de bonne humeur, et qu’il faudrait peut-être songer à adopter officiellement. Jovo est toujours là, avec ses remarques bourrues et ses conseils venus d’une autre époque. Bref, ça fourmille toujours autant au 12, rue des Murlins.

Cette série, nous la lisons ensemble, à voix haute, avec ma fille, depuis le début. Danaé avait 9ans1/2 à la lecture du premier tome, elle en a 15 maintenant. C’est dire que cette série nous tient à cœur... c’est dire aussi comme il a été compliqué de trouver du temps entre nos deux emplois du temps de ministre pour lire ensemble (toutes nos plates excuses aux adhérents de la bibliothèque qui ont attendu leur réservation pendant des mois !!). Eh bien, il faut l’admettre, le plaisir est intact, Lazare a grandi en même temps que ma fille, Sauveur et moi avons vieilli côte à côte et il y a un petit quelque chose du 12, rue des Murlins à l’intérieur même de nos murs. C’est incroyable de garder cette qualité sur sept tomes, de savoir savamment doser tendresse, humour, gravité, de multiplier les thématiques concernant la vie de chacun. Ma fille a conclu par un « c’est mon tome préféré » (elle a donc répété cette phrase 7 fois en six ans...) , moi je garderai en mémoire les efforts de Louise pour dompter la chevelure frisée de Léo et sa visite dans un salon de coiffure afro, Mme Dumayet qui a dû voir passer tous les enfants de la ville dans sa classe et ses vaines tentatives d’améliorer ses pratiques pédagogiques, Babette l’infirmière qui fait de son mieux pour humaniser son service de comateux, et bien sûr le planteur de la scène finale qui accompagne la révélation qui laisse imaginer un tome 8.

Jovo garde, exceptionnellement, la petite Léopoldine :

- Gueuda !

Puis elle tendit la main vers une grosse balle rouge qu'elle affectionnait. Ses esclaves habituels ramassaient tout de suite l'objet désigné pour lui permettre de le lancer à nouveau. Mais Jovo restait vissé sur son canapé.

- Gueuda ! tonna Léopoldine.

- C'est quoi ce que tu dis, la mouquère ? Tu peux pas parler français comme tout le monde ?

Léo comprenait que le vieil homme s'adressait à elle, mais sans manifester le moindre signe d'obéissance à ses désirs.

- C'est la balle que tu veux, ch’tiote ? Alors tu dis « balle » ou t'auras peau de zébi.

Le tome 6.

 

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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 10:52

Back up - Paul Colize - Folio - Poche - Librairie Le Divan PARIS

En 1967, quatre musiciens appartenant à un groupe de rock, Pearl Harbor, meurent mystérieusement à tour d’un rôle dans un laps de temps très court : l’un meurt défenestré, l’autre d’une overdose, un troisième sous les rames du métro, le dernier se suicide. Il est difficile de parler de coïncidence, pourtant la police n’en veut rien savoir... c’est le journaliste Michaël Stern qui mène l’enquête. En parallèle, en 2010, un type est retrouvé inerte, renversé par une voiture à Bruxelles ; l’équipe médicale finit par se rendre compte qu’il est conscient mais victime du syndrome de l’enfermement : il est tétraplégique et ne peut que remuer les paupières. Son identité reste inconnue, et il faudra, des mois plus tard, la persévérance de Dominique, un super kiné, pour que le malade accepte de livrer ses secrets et le drame qu’il a connu.

Si le roman est un excellent polar, il brille également, surtout, par ses références au rock. Le personnage principal découvre « Maybellene » de Chuck Berry et c’est le coup de foudre, il se met à taper sur tout ce qu’il trouve, s’initie à la batterie et finit par exceller dans la pratique de cet instrument. On en prend plein les oreilles du début à la fin, ça foisonne de rythmes endiablés, ça secoue le cocotier, ça rend même nostalgique des années qu’on n’a pas vécues (drogues mises à part parce qu’il y en a des paquets de sachets dans le roman). L’autre atout se niche dans le dernier tiers du roman et -je ne veux pas trop en dire- a un rapport avec les mille possibilités qu’offrent le son, la musique, ce qu’on en fait et les mystères de l’audition. Le dénouement est tout aussi réussi que le reste du livre, intelligent, surprenant et pêchu. Admirative du travail de documentation de l’auteur (on se promène dans les années 60), j’ai encore été davantage bluffée par la construction du roman, complexe, audacieuse et subtile... à tel point que je m’y suis parfois perdue ! Le bilan reste extrêmement positif, ce fut une lecture jouissive de bout en bout et les presque 500 pages donnent envie d’écouter la playlist fournie dans les premières pages.

Merci à l’auteur de faire revivre les meilleures années de rock, merci à toutes les blogueuses pour cette recommandation judicieuse, vous avez été nombreuses à citer ce titre, je ne peux que conseiller cette lecture à mon tour... sauf si vous détestez le rock (c’est triste mais peut-être que ça existe !?)

La découverte des Beatles : « C'était un rock, c'est sûr, mais pas un rock comme les autres. C'était un rock mélodique, énergique, d'une simplicité qui poussait au génie. Marqué par un harmonica lancinant et une surprenante complicité vocale, le morceau était d'une fraîcheur qui me laissait muet d'admiration. On sentait que les gars s'amusaient, qu'ils aimaient ce qu'ils faisaient et prenaient du plaisir. La face B était tout aussi convaincante. J'ai écouté le disque de nombreuses fois en cherchant à saisir la recette de ce tour de magie. »

Même auteur, dans un tout autre genre : Devant Dieu et les hommes.

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15 février 2024 4 15 /02 /février /2024 13:09

Zoc - Jade Khoo - Dargaud - Grand format - Librairie Passages LYON

Pouvoir ? Malédiction ? Zoc attire l’eau avec sa longue chevelure, capable ainsi de créer rivières et fleuves. Elle ne sait que faire de cette particularité et essaye de trouver du travail parce qu’elle n’aime pas l’école. Chargée de détourner le cours de l’eau d’un village inondé, elle rencontre Kael qui, lui, prend feu lorsqu’il est en contact avec une personne trop malheureuse. De leur amitié va naître une belle collaboration : lorsque l’une va capter et attirer l’eau, l’autre va assécher les crues.

Original et onirique, cet album allie avec malice l’eau et le feu dans un univers fantastique tout de même ancré dans notre réalité. Le graphisme rond et coloré fait penser aux mangas et au style de Miyazaki. Entre fable et récit initiatique, cet album peut se lire à tout âge ; les dialogues sont d’ailleurs peu nombreux pour laisser toute la place aux beaux dessins. Les personnages sont tous attachants, mention spéciale pour le père de Zoc qui, sous des allures bourrues et une grosse frange qui lui masque les yeux, se révèle compréhensif et empathique. Pour une jeune dessinatrice, c’est une belle réussite, elle a su créer une ambiance douce et réconfortante sans être mièvre.

Zoc - (Jade Khoo) - Heroic Fantasy-Magie [CANAL-BD]

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 11:16

Les Hamacs de carton | Actes Sud

Après le formidable Entre fauves, je savais que je voulais poursuivre ma découverte de l’auteur. Ici, c’est un polar, premier tome de la "Série guyanaise."

En Guyane, dans un carbet, maison traditionnelle au bord du fleuve Maroni, trois cadavres sont retrouvés au petit matin : une mère, Thélia, et ses deux jeunes fils, chacun couché dans son hamac ; ils semblent dormir. Cette mort inexplicable déclenche les traditionnelles cérémonies funèbres guyanaises mais convoque surtout le capitaine Anato et le lieutenant Vacaresse. L’enquête traîne parce qu’il y a d’autres priorités à St Laurent et à Cayenne où règne un climat fait de violences. Mais Anato se fie à son instinct et ordonne à Vacaresse de passer quelques jours dans ce village où le lieutenant apprivoise doucement les coutumes ancestrales. Près de Cayenne, une joggeuse est retrouvée morte et Anato voit immédiatement un lien entre les deux affaires. Il y a aussi Olivier, un gros rustre connu pour être violent qui s’est pourtant rangé depuis quelques années avec Monique, une jeune et jolie Guyanaise qui a réussi à l’assagir. Leur amitié avec Thélia est examinée à la loupe.

Un voyage en Guyane, depuis son canapé alors qu’il verglasse dehors, ça n’est pas négligeable et je pense que cette escapade dépaysante prime sur l’enquête policière même si celle-ci est très bien ficelée (je pensais avoir compris le nœud de l’intrigue, il se trouve que j’avais tout faux). C’est une véritable immersion en Guyane que nous propose l’auteur qui sait de quoi il parle puisqu’il y a vécu quelques années : rites ndjuka, traditions ancestrales, forêt, fleuve mais aussi complications administratives qui seront au cœur de l’enquête et relations entre la Guyane et la métropole (ou la « nécropole » comme disent certains) jalonnent le roman. Si je suis loin de l’enthousiasme du génial Entre fauves, j’ai beaucoup aimé cette lecture dépaysante et j’ai hâte de lire les suites des aventures du capitaine Anato qui n’est lui-même pas tout à fait au clair avec ses origines ndjuka et son passé.

« Le colibri et le tatou. Anato avait enfin trouvé la traduction guyanaise de sa théorie. Mal à l'aise dans la gestion des relations avec ses subordonnés, le capitaine en était réduit à ranger chaque collaborateur dans une case, à user des méthodes héritées de son précédent commandant. Le colonel Fontaine, un homme resté pour lui un modèle de droiture et d'honnêteté. Le colonel défendait une vision du monde du travail répartit en deux profils opposés : les renards et les sangliers, qu’Anato venait de convertir en colibris et tatous. Faute d'améliorer les rapports, la typologie permettait de cerner rapidement les agents. Une sorte de psychologie simplifiée. »

« Les actes de sorcellerie en eux-mêmes sont moins fréquents qu'on peut l'imaginer en fait. Ce qui est répandu, par contre, je dirais même permanent, c'est la crainte de l'ensorcellement. Tous les Noirs- Marrons, ou en tout cas ceux qui vivent sur le fleuve, sont obsédés par la sorcellerie, même s'ils n'en parlent jamais. Au moindre problème, un homme malchanceux, une femme stérile, ils se demandent si la personne n'a pas été ensorcelée par quelqu'un qui lui veut du mal. C'est comme une menace omniprésente qui pèse sur tout le monde. »

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9 février 2024 5 09 /02 /février /2024 15:36

L'EMBARRAS DU CHOIX : Gaîté Montparnasse

Une virée à Paris équivaut toujours à une sortie théâtre. Sans réfléchir (c'était avant Noël et j'étais crevée), j’ai choisi la dernière (enfin, plutôt l’avant-dernière, il en a déjà une autre sur le feu) comédie d’Azzopardi dont j’avais pu constater le talent avec Dernier coup de ciseaux.

Max a 35 ans et il travaille dans la bijouterie de son beau-frère, il vivote auprès de sa femme qu’il ne se décide pas à épouser. Lorsqu’il tombe par hasard sur son amour de jeunesse, il perd un peu les pédales. Le soir où il se décide à la retrouver, il a aussi un concert prévu avec ses vieux potes rockers. Il ne sait que choisir et va donc demander à une bande d’amis : le public. En passant le téléphone à quelques spectateurs, il va pouvoir faire avancer (ou non) - à différents moments - sa vie de couple, son histoire adultère ou encore sa carrière de rocker, se révéler honnête ou malhonnête, choisir cette direction ou bien l’autre.

C’est une pièce drôle et rythmée, menée par des acteurs impeccablement au point avec ce fonctionnement interactif. La palme revient à Thomas Perrin que j’ai trouvé excellent, autant dans son jeu que dans ses réparties face au public. Tout ça est donc très divertissant, léger voire festif, on passe un bon moment mais comme avec Dernier coup de ciseaux, je pense que ce sera vite oublié. Il manque un peu de profondeur à l’ensemble, j’ai trouvé certains acteurs pas impliqués à 100% et le décor m’a paru brinquebalant. Qu’on se le dise, les différentes versions possibles de l’intrigue que le public pense détenir sont parfaitement maîtrisées par l’ensemble des comédiens et il n’y a aucune place à l’improvisation. Vous me sentez un peu sur la réserve, rassurez-vous toutes les critiques lues ou entendues sont dithyrambiques, la pièce n’a donc pas besoin de moi !

La pièce est jouée jusqu’à cet été à la Gaieté Montparnasse. Si vous êtes dans le coin, La Claque de Fred Radix est vraiment excellent !

Un petit aperçu 

LE PARISIEN : L'embarras du choix

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6 février 2024 2 06 /02 /février /2024 10:15

Une éducation orientale - Charles Berberian - Casterman - Grand format -  Librairie Sillage PLOEMEUR

Comme pour le monde entier, l’auteur-dessinateur a vu son quotidien et ses projets stoppés net à l’arrivée du Covid en mars 2020. Il compare cette situation à celle de Beyrouth en 1975, lorsque la guerre civile l’a contraint à rester dessiner chez lui. Lui et sa famille ont passé beaucoup de temps cloîtrés dans le couloir de leur appartement sans savoir combien de temps les fusillades allaient durer. Si le refuge n’est pas le dessin, Charles et son frère Alain se retrouvent chez la grand-mère Yaya qui ne sait jamais rien refuser à ses petits-fils et les couve comme une mère poule. Les explosions survenues dans le port de la ville sont également évoquées, les rescapés racontent : les vitres qui ont éclaté, les gens qui ont demandé des nouvelles de leurs proches, les chats qui s’étaient cachés quelques minutes avant le drame.  

Ce que j’ai complètement adoré dans cet album un peu foutraque, c’est la variété des dessins. Du croquis en noir et blanc à la magnifique aquarelle en couleurs, en passant par des dessins hachurés au stylo, l’auteur se montre polyvalent flexible dans son art. C’est une merveille à regarder. Côté scénario, c’est un peu décousu mais l’hommage que Berberian rend à sa ville tant aimée, si combattive, est touchant, à tel point qu’appeler son album « une enfance beyrouthine » aurait été plus juste. Certains personnages sortent du lot comme l’immuable Yaya, le grand frère Alain qui a toujours été le modèle de Charles. Et puis, la dimension fouillis prend tout son sens, elle est comme la ville, elle est comme les souvenirs qui affluent sans être ni organisés, ni bien ordonnés. Une lecture que je recommande.

« Cette ville a survécu au chaos tellement de fois, elle s’est reconstruite avec l’idée que le chaos était une manière de fonctionner. »

 

Une éducation orientale de Charles Berberian

Une éducation orientale

Une éducation orientale : Beyrouth d'hier à aujourd'hui par Charles  Berberian – L'EssentiART

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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 15:35

Où vont les larmes quand elles sèchent - Baptiste Beaulieu - L'iconoclaste  - Grand format - Librairie Passages LYON

 

Jean est un jeune médecin qui a travaillé aux Urgences et qui a quitté les Urgences parce qu’il avait du mal à se remettre de la mort d’un enfant. Il décide donc de s’installer dans un cabinet dans une ville du Sud-Ouest. Il se rend compte qu’il est plus là pour écouter les patients que de les soigner. Il apprend aussi à supporter certains patients insupportables car désagréables, indociles et mauvais. Il voit d’autres partir à regret, certains illuminent sa journée, d’autres - surtout les femmes maltraitées – le rendent plus triste encore. Et il n’arrive pas à exprimer son chagrin par des larmes, elles restent coincées à l’intérieur de lui.

Il arrive qu’on récupère un bouquin réservé depuis plusieurs semaines, hop, on ne sait plus trop pourquoi on voulait l’emprunter. On commence à le lire un soir de fatigue et les premières lignes font mouche tout de suite. Je crois que ce livre possède beaucoup de qualités mais ce sont surtout son authenticité, sa simplicité et sa sincérité que je retiendrai. Au bout de quelques dizaines de pages, le soufflet d’enthousiasme est un peu retombé à cause de quelques clichés et évidences, je dois bien l’admettre, mais le tout est sauvé par de jolis passages et, surtout, un engagement profond de l’auteur en faveur des femmes, c’est tout de même assez rare pour être relevé venant de la part d’un homme. Ce médecin-écrivain-poète très sensible est vraiment touchant par les mots qu’il nous délivre comme de petits cadeaux. Et pourtant, pourtant, je suis partagée : tantôt éblouie par une belle écriture, tantôt crispée par des banalités – des redondances et des étincelles, des fulgurances et des flops. A vous de juger, le bouquin semble faire l’unanimité un peu partout.

Le souhait de la plupart des patients : « avoir quelqu’un qui s’intéresse à eux. Juste de temps en temps. »

« C'est juste qu'on aimerait être prévenu au début de nos études : les gens, souvent, ne viendront pas pouvoir parce qu'ils sont malades. Ils viendront pour avoir l'illusion d'exister quelque part dans cette société de merde : exister pour de vrai et pour quelqu'un, même qu'au cabinet médical c'est remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 25 euros les dix minutes. »

« Je n'ai pas eu souvent, durant ma carrière, de vrais moments où j'ai trouvé un homme admirable. Les femmes, oui, très souvent. Elles affrontent tout, les frangines. Tout. Des tourments de l'adolescence aux affres de la maturité. Un patron harceleur, un mari incapable, deux-trois enfants à élever, la bouffe, les courses, le yo-yo hormonal et les mêmes questionnements sur la condition humaine que les hommes : qu'est-ce que je fous là, est-ce que j'ai la vie que je rêvais d'avoir, est-ce que j'ai pas tout gâché, est-ce que c'est trop tard pour tout recommencer, est-ce que je resterai seul jusqu'à la fin de mes jours si je le quitte, bla-bla-bla ? Ça, c'est admirable. Vraiment. Mais un homme admirable ? Je me gratouille le cervelet : vas-y, Jean, cherche bien, c'est quand la dernière fois que t'as vu en consultation un homme qui t'a rendu fier d'appartenir à la gent masculin ? Ben, désolé : rien ne vient. »

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