J’appréhendais de lire (encore) un roman sur ce sujet (la guerre des tranchées) mais Laurent Gaudé est Laurent Gaudé et il sublime chaque souffrance.
Première Guerre mondiale. Une poignée de soldats parle. Il y a Jules qui a droit à une courte permission qui va se muer en désertion, il y a Boris qui est persuadé que Jules lui a sauvé la vie lors de la dernière attaque, il y a Marius qui est content de voir son copain Jules souffler un peu. Barboni, lui, a mal tourné, il semble prendre du plaisir à tuer l’Allemand. Castellac est un paysan qui a laissé trois frères se battre sur un autre front et se demande si les parents verront au moins l’un d’eux rentrer vivant. Et puis, un jour, retentit un cri terrible, comparable à des « suppliques de loup », un bruit qui déchire les entrailles de ceux qui l’entendent. Est-ce une bête ? un homme égaré ? une créature fantastique ? C’est un fou, qui court, nu ; surnommé l’ « homme-cochon », il va errer, avec ses airs de satyre et de sauvageon, dans les champs de bataille. Le dénouement ne sera pas heureux, c’est la guerre, la terrible réalité de 14-18. Seul Jules sera là pour témoigner à sa manière.
Le roman a réussi sa mission de marquer, frapper, horrifier le lecteur, de faire revivre ces soldats et leurs derniers instants de vie. Aucune place n’est laissée à l’espoir, aucun sursaut d’optimisme et à peine un brin de patriotisme venant d’un homme déjà atteint par la démence. Le récit, polyphonique, s’autorise des phrases courtes, un ton haché pour aller à l’essentiel qui est souvent ce que l’homme a de plus primaire en lui. Le tout dans un univers apocalyptique fait de boue, de pluie et de cadavres humains. La fin, plus lyrique, fait apparaître un soldat africain, M’Bossolo, qui, part son discours protecteur et rassurant, sauve le soldat Ripoll : « T’avoir mis en lieu sûr me rendra indestructible. Je retrouverai sans trembler la pluie des tranchées et l’horreur des mêlées. » Quel texte riche pour les débuts de Laurent Gaudé (c’est son premier roman, publié en 2001)
« j’ai vieilli de milliers d’années »
« L’essentiel est de ne pas crever sans personne pour te fermer les yeux. »
Jules, dans le train : « Le voyage continue. Dormir. Je ne peux pas. Dès que je fermerai les yeux, je retrouverai la tranchée. Je le sais. Non. Il faut tenir éveillé. »
Marius : « Je n'oublierai jamais cette course hallucinée. Je suis Vulcain et chacun de mes talons qui heurte le sol fait éclater la terre et gicler des milliers d’étincelles. Je suis Vulcain, haletant, et je cours au milieu des détonations et du souffle chaud du métal. Je cours dans le déluge crépitant. Je suis un lapin fou dans l'incendie et je pourrais rire à gorge déployée si je n'étais pas si avare de mon souffle. »
Quelques autres titres de l'auteur : La mort du roi Tsongor, Salina, Eldorado.