Lorsque Michel a 16 ans, son frère plus âgé travaille déjà à la mine de Liévin. Joseph est son modèle absolu, il l’admire et lui voue un amour fraternel intense. La catastrophe du 27 décembre 1974, une terrible explosion due à un coup de grisou, tue 42 mineurs de la fosse 3 dite Saint-Amé. Joseph ne succombera à ses blessures que quelques jours plus tard. En 2014, Michel enterre l’amour de sa vie, Cécile, mais n’a pas enterré ce passé qui l’obsède chaque jour. Il s’est construit un mausolée où il suspend la tenue de travail de Joseph à la manière dont il le faisait à la mine, il a gardé précieusement sa barrette, sa taillette, un morceau de charbon… et des souvenirs de ses derniers instants de liberté avec lui. Michel a décidé de se venger. De se venger de la mine qui lui a ravi son frère mais aussi son père pendu, sa mère dépressive, qui lui a ravi sa jeunesse et son insouciance. Il s’invente donc une nouvelle identité et retrouve le village de son enfance où tout le monde l’a oublié. Mais lui, Michel, n’a pas oublié celui qu’il considère comme un des responsables, Dravelle, celui pour qui le rendement passait avant la sécurité. Pour sauver l’honneur de son frère et venger tous les mineurs, Michel est prêt à aller très loin…
Les huit romans de Sorj Chalandon, je les ai tous lus, je les ai tous aimés, j’en ai adorés certains (La Légende de nos pères, Le petit Bonzi, Profession du père, Une promesse, Le quatrième mur) mais ce roman-là sort du lot car il est complexe et remarquable : mêlant admirablement la fiction et la réalité, il gagne en intensité lors du procès, épisode particulièrement réussi et finalement surprend son lecteur jusqu’à la dernière page. Entre culpabilité et déni, entre vrais coupables et faux innocents, Chalandon prouve brillamment qu’il sait rendre hommage à un événement historique mais également sonder l’âme humaine, si complexe et passionnante. Le style est, comme à l’accoutumée, sobre et efficace, rendant aux mots leurs plus belles couleurs… Bravo Monsieur Chalandon!
Le père prévient Joseph : « Tu n’iras pas au charbon, tu iras au chagrin. Même si tu ne meurs pas. Même si tu survis à la poussière, aux galeries mal étayées, à la berline qui déraille, à la violence du marteau-piqueur, à la passerelle glacée quand tu reviens au jour. Même si tu prends ta retraite sur tes deux jambes, tu ramèneras cette saloperie de charbon avec toi. Tu auras laisse du cœur au fond. Tu seras silicosé, Joseph. Tes poumons seront bons à jeter dans la cuisinière pour allumer le feu. Tu seras empoisonné. Tu seras à moitié sourd, à moitié mort. »
Après la catastrophe : « Au bas de la fiche de salaire, en plus des trois jours dérobés, la direction avait retenu le prix du bleu de travail et des bottes qu l’ouvrier mort avait endommagés. »
Michel, avant de passer à l’acte : « J’ai bu. Une bouteille de vin, seul sous la lumière morne. La photo de Jojo devant moi. Jojo qui frère encore. Qui a retrouvé un père mort de dignité et une mère morte de peine. Qui tous me demandent réparation, à moi. Le dernier, l’épargné, le survivant. »