Si vous suivez un peu ce modeste blog, je lis les romans de Chalandon en respectant la chronologie de leur parution. Après Mon traître et avant Retour à Killybegs, voilà La Légende de nos pères, un roman sur la Deuxième Guerre mondiale, sur la vérité et la résistance.
Le narrateur, Marcel Frémaux, est biographe, un écrivain qui propose ses talents pour raconter la vie d’un homme, d’une femme, d’une famille. Lorsque Lupuline s’est présentée à lui, il a tout de suite su que cette rencontre-là était particulière. Ne portant que des chaussures rouges, jolie comme un cœur, la jeune femme demande au biographe de raconter la vie de son père, Tescelin Beuzaboc, et plus précisément, sa vie pendant la guerre. En effet, Beuzaboc a passé des soirées entières à raconter à la petite Lupuline ses exploits de résistant. Et la fillette devenue femme aimerait que tout cela soit consigné dans un beau livre qu’elle pourrait offrir à son entourage, qu’elle pourrait offrir à son père pour ses quatre-vingt-quatre ans. « Il a passé sa vie à hausser les épaules chaque fois qu’on lui reparlait de ça. Il dit qu’il a fait ce qu’il fallait, et que ce n’était pas la peine d’en faire toute une histoire. Et moi, je viens vous voir aujourd’hui pour vous demander d’en faire une histoire. »
Un peu troublé par le charme de Lupuline, Marcel se met à la tâche. Beuzaboc est d’abord réticent, il a du mal à s’ouvrir puis, dans la chaleur lilloise de l’été 2003, il se livre, raconte l’Anglais qu’il a caché, le train qu’il a saboté, sa jambe blessée à la suite d’un bombardement. Pourtant, Marcel sent une distance, un petit quelque chose qui le rend méfiant. Il se renseigne sur le contexte, les faits narrés, les amis de Beuzaboc pendant la Deuxième Guerre… et ne trouve rien ! Il comprend que le vieil homme ment et a menti toute sa vie à la petite fille.
Entre mémoire et mensonge, entre amour filial et fierté, l’intrigue se déroule doucettement, toute en subtilité, gagnée par la moiteur de la ville aux volets clos. Marcel a eu un père résistant, un père qui n’a jamais voulu raconter à un fils qui n’a jamais voulu savoir. Il n’est donc pas neutre dans cette histoire de passé réécrit, modifié, inventé.
C’est une très belle histoire, racontée en retenue, à tâtons, avec des phrases courtes et simples. Tantôt c’est le vieil homme qui mène le jeu, tantôt l’écrivain. La jeune femme est comme une fée qui virevolte entre les deux. Si j’ai beaucoup aimé ce livre, je n’ai toujours pas retrouvé l’enivrement que j’avais éprouvé à la lecture du Petit Bonzi.
Cette image de deux enfants jouant, grimpant sur un monument aux morts dédié aux héros de la Seconde Guerre. Le père de Marcel Frémaux en agrippe un : « Je me suis battu pour que tu aies le droit de jouer, a souri mon père. »