Il est peu d’auteurs dont j’ai tout lu mais Chalandon en fait partie. C’est assez drôle parce que c’est dans ce dernier tome paru cette année que j’ai trouvé le plus de résonnances avec le premier, Le Petit Bonzi que j’ai tant aimé, paru dix ans plus tôt.
Emile vit avec son père et sa mère dans un appartement à Lyon. Son père omniprésent, comme le titre le souligne, se veut tour à tour général, pasteur évangéliste, prof de judo, parachutiste et principalement agent secret. Il initie lentement et durement son fils à ses manigances, à sa double vie, à ses mensonges surtout, car le père n’est qu’un mythomane, qu’un affabulateur. C’est une éducation militaire qui tyrannise le garçon souffrant d’un « asthme d’effroi ». Le père le frappe, le méprise, le rabaisse, parfois lui confie des missions - et ce qui fait tenir Emile. Il a le privilège d’être lui aussi un membre actif de l’Organisation Armée Secrète, cette OAS qui est une vraie religion dans ce foyer. De foyer, parlons-en car la mère n’y circule qu’en fantôme, celle qui doit se taire et acquiescer, celle qui doit se contenter de nourrir la gente masculine.
Ce récit d’une enfance malheureuse a sans doute une fonction thérapeutique pour l’auteur qui, on s’en étonne, a parfaitement tourné la page, a été plus traumatisé par la trahison de son ami (voir ses romans précédents) que par cette enfance maltraitée. L’absence d’auto-apitoiement donne toute sa puissance à l’œuvre qu’on a du mal à quitter puis à oublier. Cette emprise paternelle a quelque chose de malsain et de fascinant à la fois, sa maladie mentale décide de la vie de deux êtres qui paraissent sans défense, la mère et le fils. Je ne suis pas la première à le dire mais la position de la mère, son attitude passéiste et mutique paraît tout aussi condamnable que celle du père. L’éducation tyrannique qu’a subi le fils se répercute sur un de ses amis qui entre lui aussi dans le jeu de l’espionnage… Un bourreau ne peut devenir qu’un bourreau et pourtant l’éloignement du narrateur de ses parents lui a été salvateur.
Une lecture âpre et violente que j’ai beaucoup appréciée.
Le père à son fils : « Rien ici n’est à toi, tu m’entends ? »
« Je me suis réfugié dans mon carnet à dessin, que j’ouvrais dès que j’avais peur. »
« il avait demandé à ma mère de ne plus acheter d’eau d’Evian, ville souillée par les accords de paix en Algérie. »
Un passage qui fait que j’aime tant l’écriture de Chalandon : « Mon lit était froid d’avril. L’appartement était froid d’habitude. J’ai passé mon enfance à cacher mes pieds sous la glace des draps. Ce soir-là, je n’ai pas été battu. »
« Lorsque les coups tombaient, je savais ça aussi. L’orage, la foudre, et plus rien au matin. Quelques larmes de pluie sur le front de ma mère.
- A terre. Série de pompes ! »