Le roman commence ainsi : « Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. »
Un vieil homme, atteint par la maladie d’Alzheimer, entreprend de raconter, dans une longue lettre, sa vie, son parcours, ses amours. Cette lettre, qui deviendra ce livre, est destinée à l’amour de sa vie, Sara, et c’est son meilleur ami, Bernat, qui fait figure d’intermédiaire.
Barcelone dans les années 50. Adrià Ardèvol est un enfant doué, surdoué même. Il apprend différentes langues à la vitesse de la lumière. Pourtant, sa vie n’est pas aisée : son père est sévère et exigeant avec lui, sa mère ne montrant pas plus d’affection envers son fils, souhaite qu’il devienne un violoniste professionnel. A la mort de son père, l’adolescent comprendra progressivement que son père était un escroc, un voleur. En effet, Félix Ardèvol tenait une boutique d’antiquités dont la plupart des trésors avaient été acquis de manière frauduleuse.
Il est difficile voire impossible de résumer un tel livre qui, la quatrième de couverture l’explique très bien, « défie les lois de la narration ». Non seulement la trame n’est pas linéaire mais les contours de cette autobiographie ne sont pas nets non plus, Adrià s’exprime tantôt à la première personne, tantôt à la troisième ; dans une même phrase, il passe du présent d’énonciation au passé plus ou moins lointain. Un violon très précieux, un Storioni, constitue un des personnages centraux du roman, il nous guide à travers les âges et les lieux, de l’Italie du XVIIIème siècle à Auschwitz en passant par la dictature franquiste et un petit salon bourgeois barcelonien… D’autres objets revêtent une grande importance : un morceau de linge usé, une médaille.
N’ayons pas peur des mots, ce livre est un chef-d’œuvre. D’une richesse, d’une intelligence rares, il est difficile à lire à plusieurs égards : la trame narrative malmène le lecteur (j’ai fait l’erreur d’emporter le roman en vacances et c’est tout sauf une lecture de plage !) mais les sujets traités sont également poignants : la mort, la maladie, les camps de concentration, le mal et surtout le rapport entre l’homme et le mal. Ponctué par des pointes d’humour et d’auto-dérision, ce livre érudit au style remarquable, reste fluide et très agréable à lire.
Lire ce roman, c’est un peu comme être face à un océan déchaîné, on observe, on admire, on se tait. Je sais déjà que les livres que je lirai après celui-là me paraîtront fades. Un monument, une somme, un classique, un bouleversement littéraire… il est temps que je me taise !
« Si bien que j’étais un enfant unique observé par des parents avides de voir leur fils intelligent faire des étincelles. Ceci peut être le résumé de mon enfance : la barre très haut. »
« Un livre qui ne mérite pas d’être relu ne méritait pas davantage d’être lu. »
« l’œuvre d’art naît de l’insatisfaction ; le ventre plein, on ne crée pas d’œuvre d’art, on fait la sieste. »
Et voilà le génie :
Avec ses 772 pages, c'est mon deuxième pavé de l'été pour le challenge de Brize !