Dans les années 1910, Franz Reichelt est tailleur pour dames. Un de ses amis, Antonio Fernandez, est tailleur lui aussi mais a déjà le regard et le cœur tournés vers ce qui deviendra sa passion : l’aviation. Malheureusement son aéroplane s’écrase au premier essai, il meurt sur le coup. Pour rendre hommage à son copain, pour donner un sens à sa vie, Franz va lui aussi se lancer dans l’aviation : il va imaginer un costume-parachute qu’il ne va tester que de rares fois, sur un mannequin, du haut d’une grange. Il croit en lui, il aimerait séduire la veuve d’Antonio et s’envoler… Il choisit la Tour Eiffel, le 4 février 1912 : il monte au premier étage et grimpe sur la rambarde, hésite longtemps avant de sauter dans le vide et … de s’écraser au sol.
Cette biographie romancée a quelque chose d’aérien, comme le sujet qu’elle évoque, cette évanescence perturbe un peu au début mais finalement tous les morceaux du puzzle de l’intrigue, des intrigues, s’emboîtent pour former un récit assez original et marquant. J’ignorais tout de cet aventurier raté mais j’ai visionné trois fois sa tentative d’envol à la tour Eiffel. Etienne Kern l’utilise comme noyau dur de son roman, il s’adresse à Franz quand il raconte. On y retrouve l’esprit des toutes premières images que nous offre le cinéma : quelque chose de beau, de saccadé, de burlesque, de naïf et d’un peu flou. J’ai un petit regret : l’auteur a glissé quelques pages de sa vie, des tragédies qu’il a vécues et qu’il veut relier à cette anecdote de 1912 ; il le fait de manière trop brève et trop fugace. J’aurais aimé y trouver plus de profondeur. Ce roman reste à lire pour la mise en lumière de ce héros raté de la Belle Epoque.
Goncourt du Premier Roman 2022 (je ne vous dis pas que j’ai choisi le livre parce qu’il est né dans la même ville que moi…)
« J’aimais cette idée : te donner la parole. Dans la vidéo, on ne t'entend pas. Le film préserve le visage, l’allure, le sourire, l'assurance bonhomme avec laquelle tu te présentes à la caméra, la peur même, quand tout ton corps se cabre au-dessus du vide, mais il te condamne au silence. »
« Tu es tous ceux qui sont tombés. Tu es ceux qu'on a perdus. Tu es cette évidence qui suffit à me rendre le jour un peu plus beau et le soir un peu plus triste, cette évidence que mes mots ne font qu'attester, cette évidence que dit chacune des images où demeure quelque chose de leur présence et se retrouve leur visage familier, aimé, envolé : ils ont été. »