Le hasard fait bien les choses, j’ai lu ce roman au moment où il a reçu le Prix Goncourt des Lycéens, et la récompense est méritée.
Une famille ordinaire quelque part dans les Cévennes. Un troisième enfant naît mais la mère se rend compte qu’il est aveugle, quelques semaines plus tard, qu’il ne tient pas sa tête et ne réagit à aucun stimulus. Le verdict tombe : il va rester handicapé, ne saura ni marcher ni parler ni même se tenir assis. Il faudra lui donner des purées, lui changer les couches, le porter ; et son espérance de vie sera très courte. L’aîné se sent rapidement investi d’une mission, c’est lui qui s’occupe de cet « être évanoui avec les yeux ouverts », veille à ce qu’il ait chaud, qu’il porte son pyjama violet préféré, il lui parle, lui décrit la nature, lui caresse la joue. La cadette se braque, rejetant ce petit frère si différent qui lui interdit d’inviter des copines à la maison, qui lui a pris son grand frère. Elle s’oppose sans cesse, refuse ; seule sa grand-mère lui offre une normalité où elle va s’engouffrer sans rien plus voir d’autre. Mais la mort du petit frère constitue pour elle un réveil, elle aura à cœur de mettre ses élans de rébellion de côté et d’apaiser l’ambiance familiale, en veillant au grain au bonheur des autres. Enfin, il y a « le dernier » car, à la mort de l’enfant handicapé, les parents ont eu un quatrième enfant qui a su très tôt qu’il venait après un être à part qu’il a considéré comme un « invisible compagnon. »
C’est un roman de pure beauté dans tous les sens du terme. L’écriture est sublime, un brin suranné, elle enivre le lecteur de mots choisis avec élégance et justesse. Le contenu, quant à lui, est tout aussi précieux : le garçon handicapé devient le centre de cette famille dont les membres tournent autour de cet astre lumineux qui reste présent et influent même après sa mort. Les narratrices sont les pierres, de « vieilles gardiennes », et ce choix rend le texte encore plus fort car, comme chez Cécile Coulon, le lieu revêt une importance capitale. Montagne, rivière, crapauds, pipistrelles, gloméris, sapins, … sont les témoins muets de l’existence de cette famille si remarquable. J’ai vraiment été très touchée par ce récit qui est tout sauf larmoyant mais solaire, vivant et plein d’amour, et qui prouve que chacun « s’adapte » à sa manière à l’arrivée d’un être différent - c’est aussi une vision étrangement rassurante de la mort.
COUP DE CŒUR ! Il vous reste deux choses à faire : lire ce beau livre si ce n’est pas déjà fait et me proposer d’autres titres de cette autrice que je suivrai désormais de près !
« Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies. Depuis des millénaires, nous sommes les témoins. Les enfants sont toujours les oubliés d’une histoire. On les rentre comme des petites brebis, on les écarte plus qu’on ne les protège. Or les enfants sont les seuls à prendre les pierres pour des jouets. Ils nous nomment, nous bariolent, nous couvrent de dessins et d’écritures, ils nous peignent, nous collent des yeux, une bouche, des cheveux d’herbe, nous empilent en maison, nous lancent pour faire un ricochet, nous alignent en limites de goal ou en rails de train. »
L’aîné : « Il aimait par-dessus tout l’impassible bonté, la primaire candeur de l’enfant. Le pardon était dans sa nature puisqu’il n’émettait aucun jugement. Son âme ignorait, de façon absolue, la cruauté. Son bonheur se réduisait à des choses simples, la propreté, la satiété, le moelleux de son pyjama violet ou une caresse. L’aîné comprenait qu’il tenait là l’expérience de la pureté. »
Le dernier : « Voilà, c’était aussi simple qu’un panorama, aussi limpide : il était là tandis que l’enfant n’était plus là. Il le pensait sans dramaturgie i tristesse, c’était le constat d’un compagnonnage, je suis ici tandis que toi, tu es ailleurs, et ceci valait pour lien. »