Olga, 38 ans, mère de deux enfants, reste à la maison depuis des années pour tenter d’écrire un livre, et son mari la quitte, brusquement et imprévisiblement, un après-midi d’avril. Commence alors la longue descente aux enfers. Mario, le mari, a quitté sa femme pour une jeune fille avec qui il entretenait une liaison depuis les 15 ans de Clara. Olga les imagine en train de faire l’amour, elle se néglige, délaisse ses enfants, son hygiène et son appartement turinois. Petit à petit, le père reprend les enfants le week-end mais ils reprochent à leur mère d’être choyés chez leur père, admiratifs de sa maîtresse. Et Olga plonge dans la dépression encore un peu plus. Désespérée, elle offre son corps au voisin musicien bien plus âgé qui ne comprend rien. L’acmé de cette crise qui dure des mois se situe un soir où le chien de la famille agonise dans une pièce pendant que le fils vomit et délire dans sa chambre, affaibli par un virus. Et Olga ne sait plus quoi faire, distraite par des pensées parasites, elle demande à sa fille de lui piquer la jambe, régulièrement, avec un coupe-papier. Elle a des hallucinations, se retrouve incapable d’ouvrir la porte d’entrée et de demander de l’aide.
J’ai failli arrêter ma lecture, déstabilisée par le glauque, le sordide et le vulgaire de l’histoire de cette femme trompée, « rompue » (la référence vient de Simone de Beauvoir). Au début, j’ai même cru qu’il y avait une part d’ironique et de second degré avant de comprendre que je m’étais trompée. Ce qui m’a le plus dérangée, ce sont les répercussions sur les enfants, les obscénités et la folie dévastatrice de la narratrice. Alors pourquoi n’ai-je pas abandonné ? Sans doute que, derrière ce tableau apocalyptique, j’y ai trouvé une grande justesse dans la manière de dépeindre la détresse de la femme humiliée. On a envie de la secouer pour qu’elle lutte plutôt que de sombrer mais, heureusement, après cette nuit épouvantable, elle remonte doucement la pente. On est aussi amenés à s’interroger sur le coupable qui ne fait finalement que de maigres apparitions mais qui porte les responsabilités du chaos. Je reste très surprise de savoir que c’est la même Elena Ferrante qui a écrit L’Amie prodigieuse. Même si, en y réfléchissant bien, des points communs émergent : la mince frontière entre équilibre et folie, l’adultère, l’amour ou plutôt le désamour filial. Je ne regrette pas cette lecture mais j’avoue l’avoir détestée par moments.
Manou a sans doute plus apprécié que moi mais je me retrouve dans son billet et nous avons même une citation en commun.
« Tout était si fortuit. J’étais tombée amoureuse de Mario encore jeune fille, mais j'aurais pu tomber amoureuse de n'importe qui d'autre, d'un corps auquel nous finissons par attribuer je ne sais quelles significations. Un long lambeau de vie passée ensemble et on pense que c'est le seul et unique homme avec qui on aimera vivre sa vie, on lui attribue certaines vertus résolutoires, et c'est, au contraire, seulement un bois émettant des sons de fausseté, on ne sait qui il est véritablement, il ne le sait pas davantage lui-même. Nous sommes des occasions. Nous consumons et nous perdons notre vie parce que, en des temps reculés, tel ou tel a été gentil avec nous, il nous a élue parmi les femmes, tellement il avait envie de décharger son braquemart dans notre corps. Nous prenons son banal désir de foutre pour quelque gentillesse exclusivement adressée à notre personne. Nous aimons son envie de baiser avec nous, avec nous seulement. Oh oui, lui qui est si spécial et qui nous a reconnue "spéciale". Nous lui donnons un nom, à cette envie du braquemart, nous la personnalisons, nous l'appelons mon amour. Au diable tout cela, quelle foutue bévue, quelle flatterie dépourvue de fondement. »