Voilà un livre que j’aurais voulu ne jamais avoir lu, voilà une histoire que j’aurais préféré ne jamais connaître. Et je me demande même, violemment, ce que ce roman foutait dans ma bibliothèque.
Le narrateur et auteur nous raconte comment sa fille de trois ans, atteinte d’un cancer, est morte un an plus tard. Voilà l’austère résumé que j’ai pu me faire au bout de trois, quatre pages de lecture. Et j’aurais dû m’arrêter là. Et pourtant je n’ai jamais lu un livre aussi vite.
Pauline est une adorable fille de trois ans qui a une petite douleur dans le bras gauche. Son pédiatre, un peu inquiet, l’envoie faire une série d’examens. Il s’agit d’un cancer très rare qui se répand rapidement et fait gonfler le bras. Les parents, Alice et Philippe, suivent avec consternation l’engrenage médical. Dopée à la morphine, la fillette se fera opérer… c’est un succès de courte durée, la « boule » revient, la douleur aussi. Après de multiples hospitalisations, il s’avère que le mal a décidé de rejoindre un poumon. Une lourde opération parvient, encore une fois, à supprimer la tumeur et pourtant, « le cancer était comme une flamme courant sur une large feuille de papier », il s’étend à l’autre poumon, empêche l’enfant de respirer. Cette fois, c’est vraiment la fin, ce n’est qu’une question d’heures, de minutes. Les parents assistent à la mort de leur enfant unique.
Mon compte rendu est froid, le récit de Philippe Forest ne l’est pas du tout. Il raconte les journées de vacances avec Pauline, ses jouets préférés, les histoires racontées, la patience et le courage de cette petite fille, sa maturité face à la douleur et à l’impensable. Il propose des réflexions plus générales sur la mort des enfants, son besoin d’écrire ; en tant que littéraire, il évoque Camus, Joyce, Victor Hugo mais aussi Peter Pan qui était le personnage préféré de sa petite Pauline. L’écriture est poétique, belle, pour narrer ce qu’il y a de pire. Le Pire. J'étais en apnée durant toute ma lecture, sur le point d’étouffer, au bord des larmes. Le livre m’a hantée plusieurs nuits d’affilée. En tant que maman, je n’ai pas réussi à prendre le moindre recul par rapport à cette tragédie, à cet Incompréhensible. J’ai lu beaucoup de critiques dithyrambiques, pourtant, je ne parviens pas, malgré ses qualités, à qualifier ce livre de « magnifique ». J’aurais préféré ne pas l’avoir lu…
A la naissance de Pauline : « Avec un enfant, on rentre dans l’irrémédiable. Abasourdi par la fatigue, on conçoit trop tard ce que la vie donnée a d’irréparable. »
« Je n’aurais jamais écrit. »
« Nombreux étaient ceux d’ailleurs qui se détournaient de vous car ils vous savaient voué au malheur et ceux qui tentaient de vous accrocher au passage, vous saviez qu’ils cherchaient sur vous la trace de ce même malheur que les autres fuyaient. Votre perte, ils la savouraient comme la promesse de leur salut. »
« C’est étrange mais c’est ainsi : beaucoup de malades préfèrent se penser justement punis par une puissance vague de rétributions des joies et des peines plutôt qu’injustement châtiés par la divinité aveugle du sort. Ils se préfèrent coupables dans un monde juste plutôt qu’innocents dans un monde injuste ! Toute épreuve est donnée alors comme une mortification secrètement choisie. Toute mort est un suicide inconsciemment désiré. Chacun n’a que ce qu’il mérite. Le monde, après tout, n’est pas si mal fait… »
Les deux catégories de malades : « Ceux qui se battent, triomphent. Ceux qui renoncent au combat, succombent. Il faut l’écrire noir sur blanc : tout cela est un peu mythe. »