Je ne suis pas une grande fan des récits qui racontent souffrances, malheurs, maladies, résurrections. C’est surtout parce que j’ai une certaine affection pour le slameur que j’ai pris ce livre en main.
GCM, de son vrai prénom Fabien, a plongé dans une piscine dont le niveau de l’eau était trop bas. Hélicoptère, réanimation, et au final : tétraplégie. Il raconte sa sortie de réanimation et son entrée dans un centre dédié aux handicapés : tétraplégiques, paraplégiques, grands brûlés ou encore amputés. Arrivé en plein été, Fabien ne savait ni marcher, ni tenir seul une fourchette, ni même uriner ou déféquer tout seul. Lorsqu’il quitte le centre, quelques mois plus tard, il sait faire quelques pas à l’aide de béquilles, il a acquis de plus en plus d’autonomie.
L’artiste raconte son quotidien, les rencontres qu’il fait, la journée laborieuse et souvent trop longue (un copain parlait de trouver tous les moyens pour « niquer une heure », la faire passer le plus vite possible), le personnel soignant, les autres patients, les efforts et la grande lutte pour s’en sortir (les premiers mois sont décisifs), les déceptions, les dépressions et les espoirs. De tous ses potes du centre, Fabien est celui qui s’en est le mieux tiré… si on peut dire ça. Le jeune homme rêvait de faire une carrière dans le sport, ce projet est désormais complètement exclu. Mais son voisin de chambre, lui, est condamné à resté allongé, le plus souvent sur le ventre pour éviter les eschares.
Ce livre est une grosse claque, une énorme secousse qui nous fait dire « Putain, qu’est-ce que je suis bien, dans ma vie ! ». Grand Corps Malade raconte ce qu’il a vécu avec sobriété, avec humilité, avec humour aussi. Etrangement, les patients du centre ne sont presque que des hommes, généralement, entre 20 et 30 ans, souvent issus des banlieues parisiennes. Le centre est un microcosme qui est comparé, à la fin du récit, à une prison. On est obligé d’y rester…
Ce qui paraît étrange, c’est que Fabien n’évoque jamais sa carrière à venir, comme si ce livre n’était qu’un unique hommage au personnel soignant, qu’un regard tourné vers les personnes handicapées. Et pourtant, on entend son slam à chaque page, sa voix grave qui raconte posément les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles ont été. Un beau livre, touchant mais aussi revigorant, qui offre une vision différente des « personnes à mobilité réduite » (voilà bien un euphémisme que Fabien n’a pas utilisé dans son livre !)
Même faire pipi demande assistance… : « Six fois par jour, on se retrouve donc en tête à tête avec une infirmière qui, à l’aide de compresses et de gants stériles, enfonce dans notre pénis une sonde de trente centimètres. La sonde, dans son voyage intérieur, atteint la vessie, et l’urine est aussitôt vidée dans une poche plastique.
Alain, un tétra très cultivé d’une soixantaine d’années, surnomme nos infirmières « les femmes aux mille verges ». Il est vrai que, dans une carrière de plusieurs années à notre étage, une infirmière en aura vu des vertes et des pas dures…
Les paraplégiques, qui ont l’usage de leurs bras et de leurs mains, peuvent se sonder seuls après une petite formation. Mais les tétras doivent partager ce moment avec une tierce personne… détail supplémentaire à accepter.
Puisque le mieux est de prendre la chose avec le sourire, il n’est pas rare de croiser dans notre couloir des patients roulant à la recherche d’infirmières disponibles en criant : « Bonjour, mademoiselle, c’est pour un sondage ! »