Je ne connaissais pas cette pièce de Vian, alors qu’elle est sa pièce la plus jouée en France et à l’étranger.
Le premier acte se passe dans un appartement bourgeois où débarque une famille par l’escalier d’en bas. Il y a le père et la mère, leur fille, Zénobie, et Cruche, la bonne. On comprend que si la famille s’installe dans cet endroit, c’est parce qu’elle a fui le précédent logement, celui du dessous, bien plus vaste et plus confortable que celui-ci. Un cinquième personnage se tient à l’écart, déjà présent dans la pièce. C’est le Schmürz. Il est le bouc émissaire des adultes. Chaque fois que l’un d’eux est contrarié, gêné ou ne sait pas quoi dire, il va aller le bastonner. Seule Zénobie l’épargne. Seule Zénobie remarque sa présence et parle de lui. Il est question de marier la jeune fille au voisin, Xavier.
Dans le deuxième acte, la famille a encore déménagé à un étage supérieur, pour un appartement plus petit. Pourquoi ce changement ? A cause du « Bruit », une menace indéterminée venant de l’extérieur. Le Schmürz est toujours là aussi, il prend des coups de plus en plus violents, sans broncher. On apprend que Xavier est mort, mais ça n’a pas l’air d’affecter la famille. « Notre sort est enviable » répète le père. La bonne quitte le navire. A la fin de l’acte, les parents envoient Zénobie toquer chez les voisins. Lorsque le Bruit retentit, le père claque la porte, condamnant ainsi sa fille : « Les enfants finissent toujours par quitter leurs parents. C’est la vie. »
Le dernier décor est misérable. De la même manière que le père avait lâchement abandonné sa fille, il mure la trappe de l’escalier où se trouve sa femme. Il se retrouve seul. Diverses réflexions parsèment son monologue, il nie son passé et dit s’être toujours trouvé seul.
Le Schmürz pourrait symboliser un exutoire, un défouloir. La quatrième de couverture de mon livre donne une autre piste : celle de la figure du travailleur immigré, rejeté et humilié par les Français. Ainsi, la jeune génération serait plus à même d’accepter l’étranger ; Zénobie, balayant le conservatisme et l’aveuglement de ses parents, se montre plus ouverte et plus tolérante vis-à-vis du Schmürz.
Voilà une pièce intéressante qui prête à réfléchir. Le lecteur-spectateur est sans cesse tiraillé entre le rire, provoqué par le cocasse des situations, et la honte, l’indignation face au traitement infligé au bouc émissaire de la pièce mais aussi à l’individualisme et à l’égoïsme des personnages. L’absurde fonctionne à plein régime, les jeux sur le langage m’ont beaucoup amusée, la bonne, par exemple, est l’incarnation d’une figure de style : l’énumération. Elle ne s’exprime que pour faire des listes :
« Zénobie : Qu’est-ce que tu vas faire avec cette laine ?
Cruche : Un chandail, un tricot, un vêtement, un jersey, un sweater, un pull-over, une camisole, un ouvrage au crochet. »
La question du jeu de l’acteur incarnant le Schmürz peut être posée : rôle ingrat par excellence, le pauvre bonhomme encaisse coups et crachats, il se fait même piquer avec une épingle à chapeau !