Kitty Genovese n’a tout simplement pas eu de chance ce soir de mars 1964. Elle tombe sur un type complètement fêlé qui prend du plaisir à voir des femmes se débattre puis mourir. Et c’est exactement ce qu’il va faire avec Kitty. Il va l’agresser, la poignarder, la violer. Dans une rue newyorkaise. Comme si le meurtre en lui-même ne suffisait pas, on apprend que trente-huit témoins observaient la scène. Trente-huit personnes qui, malgré les appels à l’aide de la jeune femme, se disent qu’ils n’ont pas à se mêler de ce qui ne les regarde pas, qui pensent qu’il s’agit d’une scène de ménage ou encore que la jeune femme est alcoolique et complètement ivre ce soir…
Didier Decoin raconte ce fait réel avec sobriété et délicatesse. Entre l’enquête journalistique et la fiction, il lève le voile sur une affaire qui a fait grand bruit. Sa retenue et sa pudeur font qu’à un moment donné, la lâcheté et l’indifférence des témoins apparaissent comme presque aussi lourdes sur la balance que la sauvagerie et la folie de l’agresseur, Moseley.
C’est le côté sombre des Etats-Unis qui est montré du doigt. New York dans les années 60 est parfaitement décrit, on s’y croit et on n’a pas tellement envie d’y mettre les pieds. Mais le lecteur est amené à se poser des questions : Est-ce qu’il aurait porté secours en deux temps trois mouvements à Kitty ? Ne vous est-il jamais arrivé de voir un accident au bord de la route, quelques voitures autour, et de vous dire, c’est bon, quelqu’un d’autre a fait le nécessaire ? Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt… Didier Decoin ne condamne ni ne juge ces trente-huit personnes immobiles, inactives, inertes, il expose la situation et laisse la porte ouverte aux réflexions.
Il se trouve que j’ai lu ce roman un peu tous les soirs avant de m’endormir, ce n’est pas forcément mes habitudes de lecture, et je vous déconseille fortement de procéder ainsi avec ce livre. J’en ai mal dormi. Ces quelques pages donnent la chair de poule en montrant ce qu’il y a de plus noir dans l’humanité. Il ne s’agit pas d’un ou deux cinglés isolés mais bien ce qu’il y a de plus négatif et de plus mauvais en chacun de nous.
Certains auront peut-être remarqué que j’ai beaucoup de mal à apposer la mention « coup de cœur » à une lecture. Je ne le ferai pas, encore une fois, pour les frissons que celle-ci a provoqués en moi, mais à coup sûr, je commence à tomber en amour avec l’écriture de Didier Decoin, déjà découverte Avec vue sur la mer. A suivre.
« D'après le rapport des flics, ils étaient trente-huit. Trente-huit témoins, hommes et femmes, à assister pendant plus d'une demi-heure au martyre de Kitty Genovese. Bien au chaud derrière leurs fenêtres. Certains entortillés dans une couverture, d'autres qui avaient pris le temps d'enfiler une robe de chambre. Aucun n'a tenté quoi que ce soit pour porter secours à la pauvre petite. »