On commence un court roman de 179 pages, sans a priori particulier, on entre dans cette histoire, et là, c’est le choc. Ca faisait longtemps qu’un livre ne m’avait plus secouée à ce point.
Une soirée, à Paris. C’est la rencontre de deux malheureux. Lui, Michel, vient de se faire quitter par une femme qui l’aime et qu’il aime. Quatorze ans d’amour sans heurt mais la maladie a contaminé son corps à elle et elle a décidé de se donner la mort cette nuit-là. Il respecte son choix mais erre comme une âme en peine. Elle, Lydia, n’en peut plus de la vie qu’elle mène depuis six mois : victimes d’un accident de voiture, sa petite fille est décédée et son mari s’en est sorti avec une « aphasie jargonnesque », un trouble du langage qui rend sa parole logorrhéique et incompréhensible. C’est donc l’histoire de deux êtres brisés qui se rencontrent ou plutôt qui s’entrechoquent, au sens propre comme au sens figuré. Et il va lui proposer un pari fou : celui de prendre le relais de son ancienne compagne, Yannik (oui c’est une femme), qui a confié Michel à une autre femme, qui sera Lydia. Une sorte de réincarnation : « Je te demande de ne pas faire de mon souvenir un petit magot jalousement gardé. Dépense-moi. Donne-moi à une autre. Ainsi, ce sera sauvé. Je resterai femme. Au moment de m’endormir, je m’efforcerai de l’imaginer, pour savoir de quoi j’aurai l’air, quel âge j’aurai, comment je m’habillerai, quelle sera cette fois la couleur de mes yeux… ». « La plus cruelle façon de m’oublier, ce serait de ne plus aimer ».
Il n’y a ni sentimentalisme, ni complaisance dans ce roman. De la violence, certes, mais à bon escient, je dirais. Il est à lire d’une traite et peut-être que vous serez comme moi, une fois commencé, on ne peut plus le lâcher. Quand on a une œuvre de génie entre ses mains… Si l’histoire semble dramatique, l’humour et le second degré ne sont pas absents. Certains dialogues sont époustouflants entre une femme qui exprime sa détresse et un homme complètement ivre qui lui répond du tac au tac où sens littéraux se mêlent aux sens figurés, où foisonnent humour noir et ironie. Truculent et tragique à la fois. Philosophique et poétique. Le mot « résilience » m’est également venu à l’esprit… La vie reprend le dessus, quoi qu’il arrive…
Du côté de l’irréel, du fantasmagorique, on est servi aussi : entre un paso doble dansé par un caniche rose et un chimpanzé, une fête tzigane complètement abracadabrantesque menée par une femme-sourire, ou encore l’ivresse quasi permanent de Michel, on nage parfois dans un absurde tout de même bien contrôlé.
A lire. Plutôt dix fois qu’une.
Je n’ai pu m’empêcher de relever quelques petits projectiles qui m’ont régalée :
« Les hommes oublient toujours que ce qu’ils vivent n’est pas mortel. »
« Je n’avais encore jamais vu un sourire aussi immuable et je me demandais si elle l’enlevait pour dormir. »
« Elle a eu tellement de malheurs dans sa vie qu’elle ne peut plus qu’être heureuse. »
« La frigidité, c’est lorsque la morale et la psychologie couchent ensemble. »
« il y a des moments où je suis capable de prendre l’horreur, de lui tordre le cou et, pour qu’elle crève plus vite, je la force à rire. »