Al et Trig sont jumeaux. Si leur cher père a transmis sa passion des mathématiques dans le choix des prénoms de ses enfants (je vous laisse trouver…), il les a délaissés un long moment au début de leur adolescence. Mais Al (la sœur qui multiplie les conquêtes) et Trig (le frère bien plus réservé et, à l’heure actuelle, complètement fauché) sont aujourd’hui convoqués par le père pour une randonnée géante qui leur faire traverser les lacs canadiens à canoé. Les jeunes ont désormais 27 ans et le père vieillissant semble être plus tête en l’air que par le passé. Entre boutades et complicité, portages, pêche et feux de camp, le trio passe de bons moments même si le père a oublié l’essentiel du matériel. Nous sommes en novembre et la neige ne va pas tarder à tomber, les endroits fréquentés sont de plus en plus éloignés de la civilisation… Pourquoi diable, le père a-t-il choisi cette saison hostile ? Sans tout vous révéler, le trio deviendra duo.
Quel plaisir de retrouver ce romancier ! A la fois road trip canadien et nature writing, ce livre est aussi un roman à suspens sur fond de psychologie familiale (j’ai parfois songé à David Vann). Il se lit avec délectation (allez comprendre, je déteste le froid mais j’aime lire des récits qui se passent dans des endroits aussi hostiles) et les 445 pages se tournent aisément. J’ai aimé la relation entre ce frère et cette sœur, toujours soucieux de bien-être de l’autre, tout en se taquinant avec des expressions qui viennent de leur enfance. Le bémol que j’émettrais, c’est le côté prévisible et « déjà-lu » de cette histoire mais, comme j’ai pris beaucoup de plaisir de lecture, ça ne compte pas vraiment ! Ce huis clos canadien à ciel ouvert est à lire.
« Quelque part sur le deuxième lac, Al finit par lancer sa ligne mais nous passons la plus grande partie de la journée à pagayer. Les nuages moutonneux sont aussi nets dans l'eau que dans le ciel et un vieux dicton tourne sans arrêt dans ma tête, « Ciel pommelé et femmes fardées ne sont pas de longue durée". Nous abordons le deuxième portage, qui n’en est pas vraiment un, à peine une menée de cerf. Soit Papa a décidé de se la jouer Indien, soit il a perdu la boule. D’un geste vif, Al écarte le canoë de papa - jamais ils n'auraient dû payer ensemble, c'est de loin la pire idée du séjour - et remonte à grand pas le ruisseau aussi mince qu'un filet, un chaos de saules, de boue et de rochers, la coque sur la tête, cognant la proue contre les arbres. »